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TOUR 2015 – La légende perdue du dossard 51, rendu mythique par Merckx, Hinault, Thévenet et Ocana

Laurent Vergne

Mis à jour 11/07/2015 à 10:57 GMT+2

TOUR DE FRANCE – La Grande Boucle forge ses propres légendes, ses propres croyances. L'une des plus étranges concerne non un coureur, un col ou une équipe, mais… un dossard. Le 51. Un mythe né en seulement neuf ans, mais enfoui depuis près de quatre décennies.

Eddy Merckx lors du Tour 1969, sur lequel il portait le dossard 51.

Crédit: AFP

D'éminentes plumes du siècle précédent ont comparé le Tour de France à L'Odyssée d'Homère. La Grande Boucle, ou l'épopée des temps modernes, fondatrice et évocatrice. Pas étonnant donc qu'elle génère au fil des ans, des exploits et des drames, sa propre mythologie. Certaines légendes ont la peau dure, d'autres résistent moins à la patine du temps. Mais si l'empreinte s'efface, le souvenir, lui, ne demande qu'à être ravivé. Comme avec le dossard 51.
Le champion cycliste, comme tout sportif de haut niveau, est le plus souvent superstitieux. Même s'il ne (se) l'avoue pas toujours. Le journaliste, comme le supporter, n'est pas que champion par procuration. Il pousse bien souvent le mimétisme jusqu'à épouser ces superstitions. Nous comme eux, nous aimons nous accrocher à ces talismans aussi indispensables qu'inutiles. La raison convient qu'ils n'impactent en rien le destin des hommes et des compétitions. Mais, c'est plus fort que nous. Plus forts qu'eux. Il nous faut croire que nous avons raison d'y croire. Comme nous avons cru au dossard 51.

Le dossard anisé et son manteau de légende

Le cycliste et son dossard. Tout un poème... Un duo indissociable. On ne pourrait imaginer une course sans dossard floqué au dos des maillots. Il y a là presque un côté fétichiste. De tous, le dossard 51 est sans aucun doute le plus légendaire de l'histoire du Tour de France. Il n'est pourtant pas, et il s'en faut de beaucoup, celui qui a le plus souvent accompagné le vainqueur final. 24 fois sur 101, le maillot jaune à Paris portait le dossard 1. Bien logique, à partir du moment où le tenant du titre l'arbore. Viennent ensuite le dossard 11 (6 victoires) puis le 2 (5 victoires). Le 51 apparait au pied du podium, en compagnie des anonymes dossards 15 et 21.
Alors, pourquoi draper le "dossard anisé", comme disait Antoine Blondin en référence à une célèbre boisson, d'un manteau de légende ? Parce qu'il a consacré quatre champions remarquables sur une période si courte (moins de 10 ans) que cette concentration temporelle a créé autour de l'association de ces deux chiffres l'illusion d'une aura spéciale. Tout commence en 1969. Le Tour a déjà l'âge de la retraite. En 66 ans, jamais un dossard 51 n'a gagné l'épreuve. Puis Eddy Merckx arrive. L'avènement du plus grand champion de l'histoire du cyclisme s'accompagne pour la première fois du numéro 51. Personne n'y prête vraiment attention.
Bernard Thevenet lors du Tour 1975.

Chany : "Il faudra bien finir par éclaircir ce mystère"

Le Cannibale s'adjuge ensuite les trois Tours suivants. Avec le dossard 1, évidemment. En son absence, en 1973, Luis Ocana triomphe. Son dossard cette année-là ? Le 51. Tiens donc. Merckx remet le couvert en 1974 pour son 5e Tour mais en 1975, il doit baisser pavillon devant Bernard Thévenet. Or il se trouve que le leader de Peugeot a lui aussi traversé cette édition 75 avec le nombre 51 floqué dans le dos. L'affaire devient cocasse. On évoque un porte-bonheur. Puis, en 1978, le Tour entre dans l'ère Bernard Hinault. Le jeune loup d'Yffiniac n'a pas 23 ans. Mais il porte le dossard 51 lors de ce premier Tour, celui de sa première victoire.
En seulement neuf ans, quatre champions, dont deux des plus grands personnages de l'histoire du Tour de France, ont donc triomphé en jaune avec un dossard commun. Si ces quatre succès s'étaient étalés sur 30 ou 40 ans, il est probable que personne n'aurait relevé cette drôle d'histoire. Mais pourquoi diable, alors que personne n'avait jamais gagné avec lui auparavant, devenait-il soudain indispensable ? Pierre Chany, immense figure du journalisme sportif, patron de la rubrique cyclisme de L'Equipe des décennies durant, dira à l'époque : "il faudra bien finir par éclaircir ce mystère". Depuis lors, la question brûlante à l'approche du mois de juillet n'était plus de savoir quel favori était le plus en forme ou à qui le parcours seyait le mieux, mais bien qui hériterait du dossard 51. Comme s'il était devenu par ses vertus spécifiques, sinon une garantie de victoire, en tout cas un sérieux allié dans la quête du jaune.

Si on hésitait entre deux outsiders, celui qui portait le 51 avait forcément notre préférence

Le premier Tour de France dont je me souvienne est celui de 1983. J'avais huit ans. Le dossard 51, c'est une madeleine de Proust. A l'époque, la mystique du 51 conservait une réelle force. On en parlait. Tout le monde regardait qui le portait et à l'heure des pronostics, c'était encore un atout non négligeable. Si on hésitait entre deux outsiders, celui qui portait le 51 avait forcément notre préférence. Le 51 plutôt que le 21 ou le 31. Etait-ce absurde? Bien sûr que oui. Evidemment, le dossard 51 n'avait pas davantage d'influence sur le classement final du Tour que le fait de croiser les doigts. Mais quelle importance ?
Au fil des ans, le dossard 51 a cessé de porter bonheur. Personne, depuis Hinault en 1978, n'a gagné avec. En 1987, Pedro Delgado a failli faire renaitre la tradition. Il ne lui a manqué que 40 secondes. Quatre ans plus tard, Gianni Bugno fut lui aussi le dauphin de Miguel Indurain avec le 51. Aujourd'hui, seuls les plus anciens jettent un œil, plus distrait que vraiment excité, au porteur du 51 à l'heure de l'annonce de la start list.

Quintana, la meilleure chance du 51 ?

Mais comme toutes les légendes urbaines, il en reste toujours quelque chose. Quand Fabian Cancellara a gagné son deuxième Paris-Roubaix en surclassant la concurrence en 2010, certains n'ont pas manqué de noter qu'il portait "le mythique dossard 51". Ce n'était pas une manière de dire que cela l'avait aidé en quoi que ce soit, mais de raccrocher les wagons du passé. Pas plus tard qu'au mois de mars, avant Milan-Sanremo, Jérôme Gilbert, le frère de Philippe, s'était réjoui du dossard de son illustre frangin pour la Primavera... Mythifiez, mythifiez, il en restera toujours quelque chose. Tant mieux.
Aujourd'hui, qui, parmi les 198 concurrents du Tour 2015, connait la légende du dossard 51 ? Pas grand monde, sans doute. Alors, pourquoi remettre ça sur le tapis ? Parce que le dossard 51, cette année, est porté par un certain Nairo Quintana. Et vous verrez que, s'il se rapproche du jaune et, mieux, s'il l'endosse, la légende du 51 ressortira du placard.
Le grimpeur colombien est probablement bien loin d'une telle histoire. Mais il est la meilleure chance depuis bien longtemps de la faire ressurgir du passé. Et s'il n'y parvient pas, tant pis. Au fond, l'important n'est pas de percer le mystère, puisqu'il n'y a pas de mystère et qu'il n'y a rien à comprendre. Malgré tout, le dossard 51 restera. Comme le Père Noël, on sait que ce n'est pas vrai. Mais c'est tellement mieux d'y croire. Ou de faire semblant ce qui, au fond, revient au même.
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