Bayern Munich - Thibaud Leplat : "Aller voir Guardiola, c'est comme aller voir le dernier Tarantino"

T.L. : Si cela doit changer quelque-chose, ce sera seulement pour ceux qui regardent le Bayern. Guardiola n'évoluera pas en fonction des résultats. Ce serait contredire l'idée qu'il se fait du football. Il approfondit ses convictions, va plus loin dans son idée du jeu et va tenter de faire ce qu'il n'avait pas réussi à faire contre le Real Madrid l'an dernier (défaite en demi-finale de Ligue des champions 0-1, 0-4, ndlr). Le match retour à Porto est un bon indicateur. Il a encore inventé quelque chose. Jouer avec quatre ailiers, je n'avais jamais vu ça.

T.L. : On a entendu tout et n'importe quoi après ce match. Il faut examiner Guardiola dans sa capacité à transmettre et à inventer. Le jour où il aura l'impression de ne plus pouvoir inventer, il s'arrêtera, comme quand il a quitté Barcelone en 2013. Il faut bien voir que Guardiola créé quelque chose de nouveau à chaque match. Ce sont le plus souvent des détails, qui ne se remarquent pas toujours. Regardez cette année les coups de pied arrêtés du Bayern. Ils ne sont jamais tirés deux fois par le même joueur. Pour le corner, c'est une fois un droitier, une fois un gaucher. C'est la force de Guardiola, et la force du Bayern.

T.L. : Il y a effectivement une grosse distinction à faire entre le Bayern tel qu'il est aujourd'hui, et le Bayern tel qu'il devrait être. C'est sans doute la seule équipe parmi les cadors européens qui n'a jamais eu tout son effectif à disposition. L'atout de Guardiola face à ça, c'est l'intelligence de jeu. Savoir faire jouer un Philipp Lahm milieu droit à l'aller face à Porto, et ailier droit au retour en alternance avec Rafinha. Le football de Guardiola prépare l'imprévu. Il a une grande capacité de lecture du jeu et il sait corriger immédiatement les erreurs. Contre Porto, il mène 6-1 mais il passe quand même cinq minutes à expliquer à Müller qu'il doit jouer ailier droit pour bloquer ce côté.

T.L. : Il a énormément progressé. Il ne faut pas oublier qu'il est encore en train d'apprendre son métier. Pour moi, ce qu'il fait au Bayern est beaucoup plus fort qu'avec Barcelone. Il a moins de talent individuel, pas de Messi ou de Xavi. Ses joueurs ne se retrouvent pas intuitivement dans le logiciel Guardiola. Et puis il n'a plus l'avantage de la surprise. Maintenant tout le monde sait comment jouer contre lui. Ça le force à toujours se réinventer. Voir contre Porto quelqu'un capable de prendre autant de risque à ce niveau d'enjeu, c'est magnifique. C'est un peu comme Mohamed Ali, qui boxait avec la garde baissée pour mieux voir son adversaire. Avec Guardiola, le Bayern joue un football au bord du gouffre. Il peut être tour à tour sublime et grotesque, mettre 7-1 à la Roma et en prendre quatre à Wolfsburg avec quatre contres (défaite 4-1 en Bundesliga fin janvier, ndlr). C'est la beauté de ce foot-là.

T.L. : Guardiola est un prescripteur. Il est énormément observé par les autres entraîneurs. Quand vous regardez Lyon, vous voyez des sorties de balles avec Gonalons qui descend entre les deux centraux, c'est exactement comme Xabi Alonso et Busquets. C'est quelque chose qu'on ne voyait pas en Europe avant. Lui-même s'est inspiré de Van Gaal, Menotti, Bielsa, Cruyff, Sacchi et La Volpe. Finalement, il est comme les auteurs ou les cinéastes. Il réactualise le football comme Tarantino réactualise le cinéma. Aller voir Guardiola, c'est comme aller voir le dernier Tarantino.

T.L. : J'aimerais surtout qu'il puisse avoir son équipe au complet, pour qu'on ait une chance de voir le Bayern tel que lui veut le voir lui. En 3-4-3 avec Javi Martinez en défense, Thiago en sentinelle et Ribéry, Robben et Lewandowski ou Götze devant. Ça vaudra le coup d'œil.

T.L. : Il veut aller en Angleterre, il l'a répété plusieurs fois. S'il a une opportunité là-bas, il ira. Mais pas à Manchester City. Guardiola est un grand ami de Pellegrini, il n'ira pas là-bas pour le remplacer. Je le vois bien à Arsenal, qui a fait ses preuves dans la manière de soutenir son entraîneur. C'est le principal critère pour Guardiola. Et puis Wenger, c'est le Guardiola des années 1990. Le problème, c'est qu'il est resté bloqué à cette époque-là. Guardiola apportera le feu que n'a plus Wenger.

Auteur en 2013 de l'ouvrage "Le cas Mourinho", Thibaud Leplat a publié en avril "Guardiola : L'éloge du style" aux éditions Hugo Sport (16,50€).