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"La Chine, pas l'Eldorado"

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ParEurosport

Mis à jour 12/04/2012 à 16:44 GMT+2

Le flou qui entoure l'équipe de Nicolas Anelka illustre les errements d'un championnat chinois "très fragile" pour Philippe Troussier. Globe-trotter du football, l'entraîneur français de Shenzhen y a posé ses valises il y a plus d'un an. Il nous décrypte "un château de cartes sur un banc de sable".

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Crédit: Eurosport

L'arrivée de Nicolas Anelka à Shanghai a-t-elle eu un effet bénéfique sur le football chinois ?
Philippe TROUSSIER : Elle a créé une petite attraction, une émulation. L'idée, c'était de redonner envie aux gens d'aller au stade. De ce point de vue-là, il y a une légère effervescence. Mais elle n'a rien à voir avec celle qu'on vous décrit en France. La réalité, c'est que ce transfert est un coup marketing.
Un coup marketing qui coûte tout de même près de 12 millions d'euros par an... 
P.T. : C'est vrai. Mais Anelka, comme Jean Tigana d'ailleurs, est payé par des sponsors. Et non par leur club. N'allez pas surtout pas croire que la Chine a des moyens démesurés pour développer. La Chine, ce n'est pas l'Eldorado ! C'est un château de cartes sur un banc de sable.
Qu'est-ce qui vous faire dire ça ?
P.T. : Le modèle économique du football chinois est très fragile. Il n'existe que par son élite. Il n'a aucune fondation, aucune organisation. Il dépend essentiellement de riches propriétaires, qui se font plaisir. Du jour au lendemain, ils peuvent retirer leur argent pour investir dans une autre équipe. Je dis bien dans une équipe, pas dans un club...
Pourquoi cette nuance ?
P.T. : Ici, les clubs n'ont aucune identité, aucune racine. Et ils n'ont aucun soutien de la ville. Aujourd'hui, on défend les couleurs de Shenzen. Mais il suffirait qu'un riche investisseur décide de délocaliser l'équipe à 1000 kilomètres de là pour que ça se concrétise, sans que ça dérange quiconque. Les Asiatiques ne s'attachent pas aux choses. Il suffit d'observer comment ils vivent. Tous les ans, ils vident leur appartement, font le grand ménage de printemps. Ça ne les gêne absolument pas de jeter des objets auxquels on serait attaché en France. Ça peut paraître choquant, mais ça ne l'est pas. C'est dans leur culture. Le football n'est que le reflet de cette culture.
Revenons au terrain. Comment qualifieriez-vous le football chinois ?
P.T. : C'est un football plutôt physique. Les équipes chinoises cherchent surtout à recruter des joueurs puissants et grands. Ici, si tu ne mesures pas au moins 1,90 m, tu ne joues pas. Messi et Gameiro n'auraient aucune chance de s'imposer en Chine. Les arbitres accordent des coups francs toutes les trois secondes. La meilleure façon de marquer, c'est de balancer de longs ballons dans la surface. Si tu n'a pas de grands gaillards à la réception...
A vous entendre, les footballeurs chinois ont l'air limités techniquement...
P.T. : Individuellement, ils sont doués. Pas autant que les Japonais qui, techniquement, n'ont rien à envier aux Brésiliens. Les Asiatiques ont une conception de la technique assez particulière. Pour eux, être technique, c'est prendre la balle, la caresser, dribbler, jongler. Ils n'ont pas encore intégré qu'être technique, c'était avant tout être capable de faire un contrôle impeccable, de faire une passe propre, dans les pieds.
A quoi attribuez-vous ce déficit collectif alors ?
P.T. : Les Chinois n'ont aucun repère. Ils ne connaissent pas le football européen, tout simplement parce qu'ils ne captent aucune image des championnats. Leur seule connaissance du football européen se résume aux buts du championnat anglais, qu'ils peuvent voir le samedi soir, à partir de 23 heures. L'Espagne, l'Allemagne, l'Italie et la France, ils ne connaissent pas. Ne leur demandez pas qui est Yoann Gourcuff. Pour eux, c'est un corsaire du 16e siècle.
Comment situeriez-vous le niveau du championnat chinois ?
P.T. : Honnêtement, il est assez faible. Seules deux équipes - Shanghai Shenhua et Guanghzou Evergrande - pourraient jouer en Ligue 1. Elles auraient largement le potentiel pour se maintenir. Pas pour jouer les premiers rôles. Pour situer, elles seraient largement supérieures à Auxerre ou à Brest, par exemple. Derrière, dix équipes ont le niveau de la Ligue 2. Et les quatre autres ont plutôt celui du National.
Le football chinois est-il en progrès ?
P.T. : D'une certaine façon, oui, parce que la Fédération affiche une vraie volonté de nettoyer ce qui devait l'être. Dans le football chinois, il y a longtemps eu des zones d'ombres. De la corruption, des tricheries. Les joueurs, les dirigeants et les arbitres incriminés ont tous été condamnés. C'était indispensable pour repartir d'une page blanche. Maintenant, le retard est assez conséquent par rapport à d'autres pays de l'Asie. Le Japon et la Corée du Sud, par exemple, ont beaucoup d'avance.
Pour quelles raisons selon vous ?
P.T. : Le football souffre avant tout de la politique de l'enfant unique. En Chine, la natalité est contrôlée. Les familles chinoises ont aussi tendance à surprotéger leur enfant. Elles ne l'incitent pas à pratiquer un sport de haut niveau. Pour elles, c'est même incompatible avec les études et la réussite professionnelle. L'autre problème, c'est le manque d'infrastructures. De ce point de vue-là aussi, la Chine est très en retard. Forcément, tous ces facteurs limitent le nombre de pratiquants et n'aide pas le football chinois à se développer. Et voilà pourquoi le football chinois a 30 ou 40 ans de retard sur le football japonais.
Ce sont les seules explications ?
P.T. : Non. Il y en a une autre : la Chine a voulu monter un Championnat à la va-vite. Il ne s'est pas structuré, contrairement au Japon, qui a d'abord cherché à monter une Ligue digne de ce nom avant de se lancer. Quand j'ai pris en mains la sélection japonaise, un seul joueur évoluait eu Europe : Nakata. Aujourd'hui, ils sont une quarantaine. Le Japon est un football à la mode, qui s'exporte admirablement bien, parce qu'il a n'a pas mis la charrue avant les bœufs. Il s'est construit progressivement, intelligemment. Et ça s'est ensuite ressenti dans les résultats de sa sélection nationale. La sélection chinoise, elle, part de trop bas. Et ça ne changera pas dans que football chinois ne sera pas mieux organisé.
*Entretien réalisé le 29 février dernier.
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