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Et si l'Euro avait acté la fin du chauvinisme dans le foot ?

Thibaud Leplat

Mis à jour 09/07/2016 à 13:44 GMT+2

On en a toujours voulu au football de stimuler le nationalisme. Mais est-ce que Bosman, la mondialisation, les droits télés et cet Euro 2016 ne provoquent pas plutôt le contraire : la fin du chauvinisme et une nouvelle forme d’identification à des patries imaginaires ? C'est la thèse de notre contributeur, Thibaud Leplat.

Les supporters belges et irlandais communient dans la fan zone de Bordeaux avant la rencontre entre leurs deux sélections. Les Irlandais avaient certainement un peu moins le sourire au coup de sifflet final après leur défaite 0-3.

Crédit: Panoramic

Dans nos reportages, Clément d’Antibes porte toujours le même maillot bleu délavé, celui qui fait gagner la Coupe du Monde : "C’est peut-être le plus célèbre des supporters des Bleus. Clément Tomaswietzki, avec son coq Baltazar, a plus de 200 matchs des Bleus derrière lui, s’il a prévu d’aller en Russie suivre le Mondial dans 2 ans pour son ultime tour de piste, l’Euro 2016 est bel et bien son dernier". La plus grande décoration arborée par le soldat de toutes les campagnes françaises a bien été dessinée à la main dans le dos de son célèbre uniforme.
C’est le compteur de matchs auxquels l’emblématique Antibois a assisté depuis 1982. L’homme dont les souvenirs personnels se mêlaient avec celui des déplacements des Bleus et dont l’accompagnant à plumes et à crête avait déjà été mis au placard par l’UEFA (pour ne pas dire "par l’Europe") pour des raisons d’hygiène et de sécurité, va bientôt prendre sa retraite. Le plus célèbre chauvin de France est sur le point de disparaître. Quelle tristesse.

"Allons enfants de la patrie..."

Il était le premier qu’on avait vu si fier, depuis notre instituteur de CM2, d’entamer dans une tribune brésilienne, anglaise ou espagnole la même chanson guerrière qu’on ne fredonnait habituellement qu’autour des monuments aux morts sur les places de villages français pendant les vacances et les jours fériés. Il faut admettre aujourd’hui qu’on se souvient peut-être même plus volontiers du 12 juillet 1998 que du 11 novembre ou du 14 juillet.
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Clément d'Antibes et son coq en 2010

Crédit: Panoramic

Ce n’est pas de l’indolence - que les moralistes nous épargnent leurs sermons - mais depuis que nous n’avons plus d’obligations militaires nous ne sommes plus habitués à entendre la voix de nos chefs trembler quand ils entament, la mine grave et le dos droit, le couplet national qu’on avait appris à l’école. Admettons, et c’est peut-être tant mieux d’ailleurs, qu’il n’y a guère plus que dans les stades qu’on entend encore "ces soldats mugir dans nos campagnes". Le chauvinisme n’est pas un patriotisme, c’est un vague couplet nostalgique.
Les sociologues les plus énervés (ceux qui ne regardent jamais Téléfoot) n’ont de cesse pourtant de ne nous en vouloir de tant de cocardes brandies, de tant de nationalisme aussi impunément professé. C’est vrai que même Jules Rimet, le grand organisateur du football français et mondial, succombant aux arguments des sceptiques, avait préféré attendre doux ans après l’armistice de 1918 avant d’oser organiser le premier France-Allemagne (amical) de l’histoire du football à Colombes (victoire française 5-2).
C’est vrai aussi que pendant cet Euro aux tribunes si colorées, on s’est empressé de célébrer le folklore des valeureuses nations galloise, islandaise, hongroise ou portugaise plutôt que leur football - le Brexit en pleine compétition n’ayant fait qu’aggraver un peu plus ce pessimiste diagnostic. Manifestation sonore et picaresque, le grand cirque du football international n’était donc rien d’autre que le rebut d’inavouables sentiments nationalistes se refusant à disparaître. Le chauvin d’Antibes, c’était le coq qui cache la forêt.
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Les supporters de l'Islande à l'Euro 2016

Crédit: Panoramic

Supporter d'une idée plutôt que d'une équipe

Dans son dernier livre (Futbol, el juego infinito), Jorge Valdano évoque pourtant une façon beaucoup plus intéressante d’aimer le football et, selon lui, propre à notre époque "parce que les héros n’ont plus de frontières, les processus d’identification non plus. Nous savions jusqu’à présent que la seule carte d’identité sentimentale du supporter était le blason de son équipe, mais nous vivons désormais une époque où se développent des formes d’identification à distance. (…) Un petit Mexicain peut supporter le club de l’America et, dans le même temps et avec le même enthousiasme, le Real Madrid. Et les médias pour s’adapter à cet intérêt grandissant ménagent à leur tour une place toujours plus importante au football international."
A force d’arrêt Bosman, de Premier League, de Ligue des champions, de Liga, de droits TV, de matchs en direct et de retransmission en russe ou en polonais, on sait depuis quelques années que le football appartient autant à notre quotidien qu’à celui des autres. Ce dont parle ici Valdano, la proximité affective avec un club pourtant géographiquement lointain, est aussi à l’oeuvre dans les grands tournois internationaux. Dans le clapping islandais, la bonne humeur irlandaise, l’intelligence italienne et les victoires françaises, ce n’est pas la carte d’identité qu’on s’est plu à admirer mais plutôt l’incroyable réservoir poétique et émotionnel dont est constitué ce divin jeu.
Aussi, 2016 est une grande année pour les chauvins du monde entier car le héros de Leicester est italien (Ranieri), le concepteur de la nouvelle Islande est suédois (Lagerbäck), l’idée de jeu du football allemand est catalane et bavaroise (Bayern), le meilleur joueur français a été formé au Pays basque (Griezmann). De même, le plus beau milieu de terrain de cet Euro français était croate mais jouait à l’Espagnole, c’est-à-dire à la Catalane, c’est-à-dire à la Hollandaise et un peu aussi à la Hongroise. Au fond, le football est riche de l’infinité des points de vue possibles qu’il contient. Le chauvinisme n’est qu’une idée parmi d’autres. Et Clément a beau être d’Antibes, il est aussi du monde entier.
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