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Ils peuvent nous débarrasser du bonapartisme footballistique, qu’ils ne se gênent pas

Cédric Rouquette

Publié 23/04/2015 à 14:17 GMT+2

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Ils peuvent nous débarrasser du bonapartisme footballistique, qu’ils ne se gênent pas

Crédit: Eurosport

Avec cette Coupe du monde, les Bleus vont pouvoir rendre un énorme service au football français. Décrocher la deuxième étoile, reconquérir les licenciés, gagner la bataille de l’image, relancer les affluences de la Ligue 1, voire doper la consommation, la croissance, la natalité, peut-être même la courbe de popularité de nos gouvernants… Il y aurait un peu de tout cela si, le 13 juillet, la France faisait taire le Maracana à dix minutes de la fin sur un tir croisé de Pogba qui roulerait sous le ventre de Julio Cesar pour une victoire des Bleus 2-1 en finale contre le Brésil. Ce serait chouette. C’est pour l’instant très virtuel. Mais ce n’est pas de ces services-là dont nous parlons.

Si la France réussit sa Coupe du monde - plaçons la barre aux demi-finales - cette génération-là cassera un mythe, une vérité révélée contre laquelle il est toujours difficile de lutter dans les dîners en ville et dans tous types de conversation : pour briller dans une phase finale, l’équipe de France a besoin d’être portée par un génie, un patron, un chef d’orchestre, un talent supérieur, une figure qui brille, une sorte de Napoléon du football, évoluant si possible avec un numéro 10. Elle a besoin de Kopa, Platini ou Zidane. Sans cela, est n’est bonne à rien. Sans cela, elle est condamnée à échouer. C’est ce que nous appellerons le bonapartisme footballistique : ou comment les Français projettent sur leur équipe nationale de foot un besoin compulsif de figure tutélaire, ce besoin qui est consacré par la plupart de ses institutions politiques depuis le Premier Empire.

Pour l'instant, l'équipe de France n'a connu que ça

Evidemment, dire que l’équipe de France a besoin d’un leader offensif d’exception pour briller en phase finale, c’est un peu comme dire que le sol est mouillé après la pluie. C’est moins une théorie qu’un constat. Kopa dans les années 50, Platini dans les années 80, Zidane au carrefour des XX et XXIe siècles, ont été à leur zénith au moment-même où l’équipe de France écrivait ses plus belles pages, au point de les incarner personnellement. Les demi-finales de Coupe du monde 1958, 1982 et 1986, les titres de champion d’Europe 1984 et 2000, la Coupe du monde 1998, la finale de la Coupe du monde 2006, c’est eux. Il est donc inutile, mesdames et messieurs, de fantasmer aujourd’hui sur un parcours des Bleus de Deschamps jusqu’au dernier carré et jusqu’à la finale du Maracana puisqu’elle n’a pas encore trouvé son nouveau Zidane après l’avoir cherché du côté de Meghni, Nasri, Ben Arfa ou Gourcuff. Le bonapartisme footballistique vous interdit d’y croire. Le bonapartisme footballistique nous dit que la France manque de l’essentiel. Le bonapartisme footballistique n’a personne en réserve de la République pour changer la vie.

Mais le bonapartisme footballistique a ses opposants. J’en suis le leader. Et le programme politique est simple : croyez-y, chers lecteurs. Croyez-y autant qu’ils y croient eux-mêmes. Ces Bleus ont tout ce qu’il faut pour aller loin dans pareille compétition. Ils ont une bonne équipe, c’est-à-dire des bons joueurs, certains parmi les meilleurs à leur poste, des comportements collectifs, et un beau projet. Voilà la condition et il y en a pas d'autres.
Une seule équipe bonapartiste au palmarès de la Coupe du monde : l'Argentine de 1986

Il suffit de lire le palmarès de la Coupe du monde pour comprendre qu’une équipe n’a pas besoin d’un sauveur pour aller au bout de son destin. L’Espagne 2010? Grande équipe. Gavée d’individualités de très haut niveau. Mais avant tout : grande équipe. L’Italie 2006? Grande équipe aussi. Brésil 2002? Belle équipe. Portée par trois individualités de très haut niveau, notamment une (Ronaldo), parmi les plus grands joueurs de tous le temps, mais comme en 1994, c’est grâce à sa force collective que la Seleçao a regagné le droit d’être championne du monde. Même avec Pelé, du reste (1958, 1962, 1970), elle l’avait été grâce à une mécanique collective de tout premier plan et des cracks à tous les postes. Et ainsi de suite. Il n'y a pas de raison pour que l'équipe de France se complique

 le vie à ajouter une condition.


La seule équipe "bonapartiste" du palmarès de la Coupe du monde, c’est l’Argentine de 1986, portée et incarnée par un Diego Maradona surnaturel, autour duquel avaient été placés des joueurs de devoir prêts à encadrer les saillies de l’artiste. L’Argentine de 1986 était même beaucoup plus centrée sur un génie que n’importe quelle équipe de France du passé, nous y reviendrons. La règle, c’est que les grandes équipes doivent aux grands joueurs de faire les différences que le travail collectif a rendu possibles. Elle est incontestable. Mais cela reste du collectivisme éclairé.

Sans Ribéry ni Nasri, tiens tiens

Les Bleus ne sont pas passés très loin d’arriver à la Coupe du monde avec un sauveur providentiel désigné par avance dans leurs rangs. Mais le mal de dos de Franck Ribéry en a décidé autrement. Quant au meneur de jeu présumé supérieur et incontournable de l’entrejeu, Samir Nasri aurait pu l’être dans une autre vie. Il est bien possible que le joueur de Manchester City ait été sensible, au cours de sa carrière, à cet appel au sauveur latent qui entoure l’équipe de France depuis des âges. C’est, en tout cas, par rapport à notre sujet, une forme de clin d’oeil que ces deux joueurs aient été exclus de l’aventure et que l’équipe semble, ma foi, s’en porter décemment. Restent Benzema, Valbuena, Cabaye, Varane, Matuidi, Lloris, et quelques autres, pour porter cette équipe en exécutant chacun leur part du travail et en partageant la lumière.

Relevons d'ailleurs qu'il est injuste pour nombre de joueurs de résumer les succès bleus de naguère au seul génie de leur meneur. Les héros de 1998-2000 n’ont, pour certains, pas réellement ce souci de reconnaissance (Barthez, Lizarazu, Desailly, Blanc, Thuram, Deschamps, Henry…). Ils faisaient partie des tous meilleurs du monde à leur poste. Mais Bats, Bossis, Battiston, Giresse, Fernandez, Tigana ou autre Rocheteau des années 80 méritent exactement le même commentaire. Quant à Kopa, sa figure tutélaire n’aurait pas existé sans les 13 buts de Just Fontaine lors de l’édition 1958 de la Coupe du monde. A leurs côtés, Claude Abbes, Robert Jonquet, Roger Piantoni ou Jean Vincent en avaient assez dans leurs crampons pour susciter la méfiance sincère du Brésil futur champion du monde.

Cristiano Ronaldo vous confirmera qu’il vaut mieux avoir des joueurs de classe mondiale à tous les postes pour aller loin dans les compétitions internationales. Il l’a bien mesuré lorsque, avec Figo et quelques autres, il alla jusqu’à la finale de l’Euro 2004 et en demi-finale de la Coupe du monde 2006. Il le mesure davantage encore depuis.

Une autre forme de bonapartisme est quand même à l'oeuvre

La fin du bonapartisme footballistique n’est cependant, à cette heure qu’une hypothèse de travail, souhaitable et crédible. Mais quelque chose nous dit qu'on n'en sera pas totalement débarrassé si cette équipe hyper collective va au bout de son potentiel en affichant les mêmes ressorts que face au Honduras (3-0) et à la Suisse (5-2) Car il est là, l’homme référent vers lequel tout converge. Celui qui donne la direction, celui dont le regard suffit. Celui qu’on craint et qu’on adore. Celui dont l’instinct de gagneur est l’assurance tout risque de chacun, en interne et en externe. Il n’a pas le numéro 10. Il avait le 7, auparavant. Si l’équipe de France écrit une nouvelle page de son histoire au Brésil, et plus encore à l’Euro 2016, son empereur sera Didier Deschamps, sélectionneur bienveillant qui comble actuellement - à tort ou à raison - ce besoin très français d’avoir un Chef vers qui se tourner.

Vous m’en trouverez moins chiffonné que lorsqu’un joueur est désigné comme la seule lumière d’un onze en mission. Je n’ai jamais cru aux théories très platiniennes des joueurs qui gagnent sans leur entraîneur. Si la France ouvre une nouvelle ère bonapartiste avec les titulaires de son banc de touche, je ne résisterai pas. Les meilleures troupes du monde auront toujours besoin d’un excellent général. Même les grandes individualités. Surtout, les grandes individualités, d'ailleurs.

Cédric ROUQUETTE
Twitter : @CedricRouquette
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