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La FIFA a interdit la TPO ? Très bien, mais elle n’a rien réglé

Nicolas Vilas

Publié 24/12/2015 à 17:09 GMT+1

En prohibant la tierce propriété des droits économiques des joueurs, la FIFA n’a fait qu’augmenter la dépendance des clubs vis-à-vis d’un système toujours aussi obscur et incontrôlé. N’en déplaise aux bien-pensants "platiniens" qui finissent par s’en rendre complices…

Le cas Imbula est au coeur des révélations de Football Leaks

Crédit: Panoramic

Le 1er mai dernier, la FIFA actait l’interdiction de la tierce-propriété des droits économiques des footballeurs (TPO). Une action soutenue par le président de l’UEFA, Michel Platini, pour un foot "transparent". Depuis, la nébuleuse semble pourtant s’épaissir. La FIFA a frappé mais elle semble s’être trompée de cible. Le problème de la transparence demeure irrésolu, voire insoluble.

Le discours confus des instances

Lorsque, le 22 décembre 2014, la FIFA a retoqué son Règlement du Statut et Transfert des Joueurs, elle a livré sa définition du "tiers" : "Partie autre que les deux clubs transférant un joueur de l’un vers l’autre, ou tout club avec lequel le joueur a été enregistré". Une lecture qui, au sens littéral, exclut le joueur (et un éventuel intéressement sur son futur transfert), son agent (et un éventuel pourcentage sur un prochain transfert dans lequel il ne serait pas le principal motivateur). Sont admissibles : ses clubs, actuel ou anciens.
Soit une belle porte ouverte à la "triangulation". Pour raisons fiscales, le FC Porto a, par exemple, fait venir Osvaldo - pourtant libre l’été dernier - via le Sud América (club d’Uruguay, pays qui vient à peine d’être retiré de la liste des paradis fiscaux par l’OCDE) ou Danilo via le Portimonense (D2). Une façon de multiplier les intermédiaires et les commissions. Selon les textes, rien n’interdit non plus la multipropriété sur les droits économiques d’un joueur pour des clubs dans lesquels il a été ou est inscrit, même si la FIFA se réserve le droit d’intervenir.
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Osvaldo Oporto

Crédit: From Official Website

Le rapport Soulier

En avril dernier, André Soulier, président de la Commission juridique de la Ligue, remettait un rapport sur la TPO au Conseil de la LFP. Comme l’indique le document, "dans le cadre d’une réunion organisée par l’EPFL (Association des Ligues européennes de football)" sur la TPO, "la FIFA représentée par Monsieur Omar Ongaro, Chef du département du statut du joueur de la direction juridique de la FIFA, est venu, de manière informelle, répondre aux interrogations posées par les participants sur la mise en œuvre de ces nouveaux textes". Or, "il ressort des réponses ainsi apportées par la FIFA que l’interdiction des TPO mise en place n’est pas aussi tranchée que ce que l’on pensait". Soulier remarque qu’elle "ouvre une brèche qui laisse la possibilité à certaines 'tierces parties' de perdurer".
Dans le cadre de son enquête, Maître Soulier a sondé 34 clubs professionnels, des représentants de la "famille du football professionnel (UCPF, UNFP, UAF)", des avocats, des agents sportifs et la DNCG. 73% des clubs interrogés se déclarent "défavorables au TPO". Un chiffre qu’il convient de pondérer. D’abord parce que le sondage n’englobe pas la totalité des 43 clubs pros. Mais surtout parce que, toujours selon le rapport, 53% des clubs interrogés affirment n’avoir "aucune expérience du TPO". D’ailleurs, l’étude démontre que "seulement" 56% des clubs "ayant déjà, au moins indirectement, rencontré un joueur en TPO" (notion restant à éclaircir) se montrent défavorables. "Il est ici intéressant de noter que les positions pour ou contre sont moins tranchées", concède Soulier.

Ne pas confondre le "fond" et la forme

Dans un entretien accordé à France Football en octobre, André Soulier alertait : "Il faudrait pouvoir déterminer l’origine de certains fonds". Nul ne le contredira. Pas même "les pro-TPO" qui, selon son rapport, "considèrent, tous, qu’il serait indispensable de réglementer de telles pratiques". "Il est intéressant de souligner que Nélio Lucas, directeur général du fonds Doyen Sports, est également partisan d’un système de contrôle, considérant que seuls les contrats entre les TPO et les clubs doivent être autorisés", rédige-t-il.
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André Soulier, président de la Commission juridique de la LFP et auteur d'un rapport sur la TPO

Crédit: AFP

Dans FF, Soulier envoie : "Aujourd’hui, je suis incapable de dire que, sur le transfert de tel joueur de Porto, une partie a été payée par un fond d’investissement". Objection. Les rapports comptables du FC Porto, accessibles à tous sur internet, détaillent les parts détenues par chaque entité sur chaque joueur, ainsi que les sommes versées ou perçues correspondant à ces opérations. Une obligation pour les sociétés cotées en bourse.
Porto, Benfica ou le Sporting, qui ont eu recours à la TPO ont, dans les faits, des opérations financières plus transparentes que la quasi-totalité des clubs français (qui ne sont pas cotés). La question de la traçabilité et de l’identité des détenteurs des fonds n’est pas réglée mais l’interdiction de la TPO ne la règle pas pour autant.
Soulier, lassé : "Dans le foot actuel, beaucoup de gens, parfois pas très clairs, ont énormément d’imagination", dit-il alors que les autorités américaines enquêtent sur les activités de la FIFA. Son président, Sepp Blatter, a osé s’en émouvoir ces derniers jours dans Libération : "Ils n’ont qu’à retracer tous les dollars dans tous les domaines ! Je sais qu’ils font la police du monde et que certains sont d’accord. Mais pourquoi le foot ?" La FIFA, qui a interdit la TPO au nom de la transparence, s’offusquerait-elle alors qu’on lui demande de faire de même ? Si avec les fonds on ne sait pas toujours d’où vient l’argent, avec les instances du foot on ne sait pas où il va.

TPI, des clubs directement liés

Doyen Sports est devenu LE porte-drapeau des défenseurs de la TPO. La société basée à Malte a porté l’affaire devant les tribunaux. Ses avocats passeront le 14 janvier prochain devant la Cour d’appel de Bruxelles et plaideront sur le fond au Tribunal de commerce de Bruxelles en juin. Entre-temps, ils connaitront la décision en référé concernant leur club partenaire, Seraing, interdit de recrutement par la FIFA pour quatre mercato, "pour avoir enfreint les règles relatives à la TPO".
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Sepp Blatter, arrosé de faux billets à la FIFA en juillet 2015

Crédit: AFP

Doyen – qui selon RR a obtenu gain de cause, ce lundi, devant le TAS dans le dossier Rojo, face au Sporting - n’a pas stoppé ses activités pour autant. Elle agit aussi auprès des clubs comme "source alternative de financement". "Comme une banque", simplifie son PDG, Nélio Lucas. A l’heure où les établissements bancaires ne suivent plus les sociétés sportives, certains fonds d’investissement prennent le relais, sous la forme de TPI (Third Party Investment). A défaut de pouvoir investir les droits économiques des joueurs, ces entités investissent les clubs. Lorsqu’un fond détenait une part des droits d’un joueur, il était lié à celui-ci jusqu’à échéance (ou rupture) du contrat de ce dernier mais, surtout, il n’avait pas de lien direct avec le club. Avec la TPI, le club a un contrat le liant au fond. Et donc des obligations.
Comme l’écrit André Soulier : "L’intervention du tiers est autorisée si ceux-ci se bornent à une activité de nature strictement bancaire (remboursement du montant prêté + intérêts, cessions de créances…)." Un fond agréé peut ainsi se tourner vers ce type d’activité. C’est le cas d’European Assets Capital. Sa maison-mère qui siège à Londres est mariée à une société basée à Lisbonne qui dispose d’un agrément pour prêter de l’argent à des clubs de football.

En toute légalité

"Notre PDG, avec nos services juridiques, négocient avec des investisseurs étrangers qui injectent de l’argent, explique son manager, Paulo Tavares. Nous sommes contrôlés par la commission juridique de bourse de Lisbonne. Notre investissement global tourne entre 50 à 80 millions d’euros et leur identité sera accessible. Dans notre société, on pourra connaitre l’origine des fonds. On peut d’ailleurs très bien imaginer un contrôle sur l’origine de fonds sans pour autant interdire la TPO".
"La société est très intéressante pour les investisseurs étrangers puisqu’ils peuvent recevoir leurs dividendes nets d’impôts (pendant cinq ans), en accord avec les lois du pays dont elle fait partie", explique Tavares. Et s’ils sont amenés à en payer, les clubs aussi y trouvent un intérêt. "J’aide des clubs là où des établissements de financement ne vont pas ou plus et, en plus, avec une vraie expertise du foot, assure Paulo Tavares. Je bosse dans ce milieu en tant que conseiller, consultant depuis dix-sept ans".
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Montage Doyen Sports (Imbula, Mihajlovic, Neymar)

Crédit: Eurosport

Et il poursuit : "Rien n’empêche aujourd’hui une société agréée de prêter de l’argent à des clubs pour l'acquisition de joueurs ou autre avec des taux d’intérêt très intéressants pour des investisseurs, par exemple". Car tout est légal. Là où Cetelem, Cofidis, Sofinco se substituent à une banque dite "classique" auprès d’un particulier, un fond (agréé) intervient auprès d’un club. Si aucun contrat ne peut porter sur les droits d’un joueur (sinon on serait dans la TPO), un pourcentage sur les actifs du club peut être mentionné.
Parmi les dix principaux arguments d’André Soulier contre la TPO figure le risque de conflit d’intérêts : "Inévitable en cas d’appartenance de joueurs de plusieurs clubs du même championnat à un même fonds". Pourquoi ne pas appliquer cette réflexion aux agents ? La FIFA a complètement dérèglementé leur statut en abandonnant, il y a un an, le système d’une licence obligatoire.
En France, il perdure. Mais là, on repense tous au malaise de Noël Le Graët face à Elise Lucet. A ces "types très bien" qui continuent d’exercer malgré leur casier (ce qui est contraire au règlement), et qui, pour certains, ne déclarent même pas leur liste. Quid de la transparence ? Les instances entretiennent un système qui demande davantage de régulation. Les dits "fonds", même les plus obscurs, peuvent continuer leur business. La porte leur a été fermée, ils passent par la cheminée. Mais ce n'est pas tous les jours Noël...
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