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Real Madrid : L’erreur de Zidane

Thibaud Leplat

Mis à jour 02/03/2016 à 10:38 GMT+1

C’est l’heure des premiers murmures et des premières conclusions. Après presque deux mois d’exercice, et une première défaite contre son voisin de l’Atlético, la méthode Zidane fait l’objet de quelques critiques. Ce qui jusqu’ici n’était qu’un doute légitime est sur le point de devenir une confirmation. Nous sommes-nous trompés sur Zidane ?

Zinédine Zidane avant le début du match entre Malaga et le Real Madrid, le 21 février 2016.

Crédit: AFP

Samedi soir, quand Zinédine Zidane se présenta devant la presse quelques minutes après cette première défaite contre l’Atlético Madrid, il semblait perdu, incrédule. C’est vrai qu’il y avait une incongruité à se faire dominer par l’Atlético quand cette équipe n’avait eu que 48 heures de récupération à sa disposition après son match à Eindhoven tandis que son Real, lui, avait pu jouir d’une semaine entière de préparation avant ce derby. Aussi, comme il ne parvenait pas à expliquer cette défaite par un motif tangible, il posa le doigt sur sa tempe comme pour invoquer une dimension supérieure.
Voici comment il expliqua l’inexplicable : "Ce n’est pas une question physique." Et pour cause. "Nous avons travaillé tout ce que nous avons pu pendant la semaine. Nous avons fait de tout. Le match d’aujourd’hui était plutôt une affaire mentale. Eux ils ont joué mercredi, ont eu beaucoup moins de temps de récupération et regardez le match qu’ils ont fait ! C’est une question mentale."
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Zinedine Zidane suffered a first defeat as Real Madrid coach.

Crédit: Eurosport

Le mental, une idée du corps ?

C’est un phénomène curieux. Quand on ne comprend pas pourquoi des hommes tout à coup ne parviennent plus à conserver un ballon ou à dominer leur adversaire, c’est toujours le même refrain qui est irrémédiablement entonné. "C’est le physique", répète-t-on sans comprendre. Ou alors quand c’est l’inverse qui arrive "c’est le mental" qui est célébré sans qu’on s’explique clairement cet étrange diagnostic.
Paco Seirul.lo préparateur physique historique du Barça de Cruyff, Van Gaal ou Guardiola sourit d’un air narquois quand il entend encore des hommes en vouloir, tantôt à leurs jambes tantôt à leur tête, de ne jamais aller assez vite. Car au fond, c’est le même aveuglement dont ils souffrent. En convoquant la préparation physique et/ou mentale comme cause de toutes les gloires ou misères d’une équipe, on se trompe non seulement sur l’objet de ladite préparation mais aussi sur soi-même. "Pourquoi tout à coup les joueurs ne courent-ils plus ?" se demande le sage. "Eh bien peut-être justement parce qu’ils perdent et non pas l’inverse. Quand un joueur fait deux mauvaises passes, souvent la solution n’est pas de se mettre à courir. Au contraire, mieux vaut s’arrêter et récupérer." Séparer ainsi le corps de l’esprit c’est nier au football ses composantes d’intuition, de créativité, de participation, d’ambition et de responsabilité. Le football est un jeu complexe. Pas une épreuve d’haltérophilie.
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Zidane : "Quand j'ai pris l'équipe en main, tout était merveilleux..."

Endorphines football club

Quiconque a donc déjà joué au football sait qu’une équipe l’ayant emporté 4-0 ne s’est jamais plainte de sa condition physique. Dès lors, Zidane avait raison, 48 heures de préparation ou une semaine entière pour préparer un derby ne changeait rien à l’affaire. Il y avait bien quelque chose de mental mais qui n’avait rien à voir avec l’ésotérisme. Pour l’Atlético c’est le fait de mener au score à l’extérieur, de pousser le Real Madrid à déjouer chez lui, de prendre le dessus au milieu de terrain qui avait créé physiologiquement les conditions de la résistance à l’effort, pas une hypothétique aide spirituelle venue d’ailleurs. Inversement, c’est l’inconséquence tactique du Real Madrid qui avait provoqué les essoufflements et les découragements.
"On voit aussi ce phénomène dans l’athlétisme, poursuit le sage catalan. C’est celui qui arrive en premier qui devait être le plus fatigué. Pourtant c’est toujours lui qui passe son temps, juste après la course, à faire des tours d’honneur, à saluer le public…et les autres qui sont allongés par terre à récupérer. Là aussi le facteur animique joue. Ce sont les endorphines qui travaillent. Ton propre corps génère de l’estime de soi." Le corps et l’esprit c’est donc la même chose. Séparer l’un de l’autre c’est réduire l’entraînement à un vain simulacre et un match de football à une épreuve de décathlon. Là réside l’erreur de Zidane.

Les Jeux Olympiques de Valdebebas

Car il y aurait beaucoup à dire sur les méthodes d’entraînement proposées à Valdebebas depuis un mois et sur le scepticisme qu’elles inspirent chez les joueurs qui n’ont plus l’habitude d’effectuer un tel travail foncier en pleine saison. Depuis janvier, la semaine est dédiée au renforcement athlétique (mardi et mercredi, exercices de forces et puissances, jeudi de résistance) et seul le dernier jour (vendredi ou samedi) est consacré au travail tactique (et donc au football). Des hommes comme James, Isco ou Benzema dont les principales vertus ne sont pas la résistance physique, sont donc irrémédiablement condamnés à l’intermittence (blessure aux ischios de Benzema, trois semaines off). Si l’idée de ne pas toucher le ballon pendant plus de 40 minutes lors d’une séance de deux heures (pour privilégier le travail analytique de force et de résistance comme si tout était séparé) est une idée difficile à comprendre en Espagne, non qu’elle soit révolutionnaire ou subversive. Bien au contraire. Elle est même plutôt archaïque.
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Karim Benzema et Zinedine Zidane

Crédit: AFP

Condition physique et exercices spirituels

José Mourinho, qui fut spectateur du grand renversement du paradigme de la préparation opéré par Seirul.lo à Barcelone (entre 1996 et 2000) pour ensuite l’appliquer lui-même dans sa méthodologie d’entraînement au Portugal (qu’il appelle "périodisation tactique"), est le plus virulent contempteur de ces théories dépassées : "Je ne sais pas où commence le physique et où termine le psychologique ou le tactique. Pour moi le football ou l’homme est une globalité, il est impossible de séparer les choses les unes des autres. Voilà pourquoi il faut tout entraîner en même temps."
Pep Guardiola, élevé au même biberon, avait confirmé cette intuition fondamentale il y a quelques jours après qu’on eût reproché à son équipe de s’être fait rejoindre par la Juventus Turin en deuxième mi-temps de son huitième de finale de Ligue des Champions. Encore une fois les reporters en voulait à la maudite condition physique d’avoir flanché. Pep de trancher : "Je me fous complètement de la préparation physique." La péninsule entière ayant adopté cette conception nouvelle de la préparation depuis le début des années 2000 (avec des résultats sportifs prodigieux dès lors en sports collectifs), l’Europe studieuse et attentive (au premier rang de laquelle on trouve l’Allemagne) a pris à son tour le pli de ces innovations (pour les mêmes résultats). La tactique (c’est-à-dire le modèle qui détermine la planification de l’entraînement dès le premier jour) est revenue au centre du jeu et de la préparation. Adieu les footings en forêt et les tests Cooper. Adieu les duels et les impacts. Adieu l’athlétisme et l’haltérophilie. En Europe désormais, tout commence et tout termine par le jeu. Partout ? Non, pas partout. Il reste en Gaule un petit village d’irréductibles.

La construction européenne

En ce sens Zizou avait touché le problème du doigt. Il tient à la philosophie de l’entraînement. L’erreur de Zidane n’est pas d’avoir cru en des principes dont il avait éprouvé les bienfaits à son époque de joueur (il est héritier de la formation française des années 90) mais tient plutôt à l’opportunité de son choix au moment d’effectuer son cursus de formation et sa philosophie. À Madrid, sa ville d’adoption, il aurait eu l’occasion d’être en contact avec les meilleurs formateurs et les chercheurs les plus innovants de ces dix dernières années. On accourt d’ailleurs du monde entier (et même de France) à la Ciudad del Fútbol, à quelques kilomètres de chez lui, pour écouter les enseignements des entraîneurs espagnols.
Il aurait pu aussi se rendre à Barcelone, au siège de la fédération catalane et boire à la source de ces théories novatrices qui inspirent aujourd’hui toute l’Europe. Zizou aurait été accueilli à bras ouverts et, contribuant ainsi à faire entrer l’Europe dans le football français, pu ainsi établir des ponts entre ces deux grands pays de football. Il aurait pu côtoyer Ginés Melendez (concepteur de la formation espagnole), Paco Seirul.lo ou Lorenzo Buenaventura (préparateur de Guardiola). Mais Zizou avait choisi Clairefontaine pour école et Guy Lacombe comme tuteur. Pourquoi ? Une question mentale certainement.
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Zidane Roma

Crédit: Eurosport

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