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Stades modernes, hiver, manque de moyens et culture déficiente : le fléau des pelouses françaises

Anthony Procureur

Publié 30/01/2014 à 19:38 GMT+1

A la tête de l'entreprise Covergarden, Arnaud Dugast s'est occupé de pelouses un peu partout en France (PSG, Lyon, Lille, Bordeaux), Europe (Barça, Real) et dans le monde (Brésil). Il nous livre son regard d'expert sur l'état des pelouses françaises.

FOOTBALL Grand Stade de Lille

Crédit: AFP

Vous vous êtes occupé de nombreuses pelouses en France et à l'étranger. Les clubs français ont-ils un gros retard dans ce domaine ?
Arnaud Dugast : En France, il y a une grosse différence. C'est que les stades et les pelouses n'appartiennent pas au club mais aux municipalités. Et on sait qu'elles ont d'autres contraintes économiques, surtout en ce moment. Mais le retard est tout de même en train d'être comblé puisque beaucoup de nouveaux stades sont construits sur le modèle du PPP (partenariat public-privé, ndlr). Ensuite, il y a aussi une différence de finances. Au Barça ou au Real Madrid, les clubs sont propriétaires de leurs stades et n'ont pas les mêmes moyens. Au moins, le club qui possède son stade et qui s'occupe de sa pelouse gère lui-même le jour où il y a un problème. Quand les intérêts sont parfois opposés, chacun se renvoie la balle. C'est ce qui peut être compliqué dans certains cas. On n'a pas le même langage et les mêmes intérêts entre la municipalité et un  club professionnel. Pourtant, je peux vous dire que les municipalités font tout leur possible pour arriver à avoir les meilleurs résultats. Mais ce ne sont pas non plus des sorciers. Quand il pleut ou qu'il fait froid, on est obligé d'annuler des matches.
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Arnaud Dugast

Crédit: DR

Quel est le principal problème ?
A.D. : Le principal problème, c'est qu'on fait beaucoup de matches en hiver où les conditions ne permettent pas au gazon de repousser. Si on a d'énormes contraintes climatiques, il faut aussi mettre beaucoup plus de moyens.  Il y a aussi le problème du calendrier et des conditions climatiques. On voit toujours les mêmes problèmes aux mêmes moments, notamment en France. C'est toujours en hiver qu'on se dit que les terrains ne sont pas beaux, que c'est une catastrophe. Oui, parce que, en hiver, le gazon ne pousse pas. Or, il y a beaucoup de matches et c'est la période où les pelouses sont les plus sollicitées. En ce moment, il y a des conditions terribles. A Marseille, la pelouse a été changée mardi. Souvent, on vient faire des réparations ou des changements de terrain en urgence quand nous n'avons pas forcément les meilleures conditions pour travailler. Il faut comprendre que, lorsqu'on abime une pelouse en hiver, elle ne repousse pas aussi vite qu'au mois de juin. En juin, il n'y pas de problème. Sauf qu'il y a moins de matches.
Le problème des nouvelles enceintes, c'est que l'on ferme les stades.
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Velodrome pluie 2014

Crédit: Panoramic

Donc l'OM a eu tort de changer sa pelouse cette semaine ?
A.D. : De toute façon, ils n'avaient pas le choix. Vous savez, les gens comme nous qui gèrent les pelouses des clubs ont une pression énorme. Quand Anigo dit qu'il a l'impression de jouer sur un "champ de patates", on ne demande pas l'avis du jardinier. On lui dit : "Tu me fais une pelouse nickel". Le faire au mois de juin, c'est facile. Le 28 janvier, c'est plus compliqué. Donc on change mais sans forcément résoudre tous les problèmes. Là, ça va résoudre le problème pour le match OM-VA mais pas forcément après…
Comment expliquer que les nouveaux stades aient autant de problèmes avec leurs pelouses ?
A.D. : Les nouveaux stades qui sont construits aujourd'hui, comme à Lille ou à Nice, ils ont déjà pour la plupart du chauffage ou de l'aération. Il y a même des systèmes d'aspiration. C'est pour ça que le match avait pu se jouer à Nice (face à Ajaccio lors de la 21e journée), où nous avons replaqué la pelouse, alors que ça n'avait pas pu jouer le même jour à Marseille (contre Valenciennes). Techniquement, il y a eu beaucoup plus d'investissements dans les stades modernes. Le problème de ces nouvelles enceintes, c'est que l'on ferme complètement les stades et que la pelouse ne voit plus la lumière, comme à Marseille. Or, pour pousser, le gazon a besoin de cette lumière. Du coup, on vient désormais mettre de la lumière artificielle (luminothérapie, ndlr). Mais ça a un coût énorme et on ne peut pas demander à une municipalité de financer ça.
Faudrait-il rendre obligatoire les systèmes de pelouse chauffante comme en Allemagne ?
A.D. : Le chauffage, ça n'est pas utile partout. Par exemple, à Nice, il n'y en a pas. Dans les régions où les conditions climatiques sont extrêmement froides, oui, le chauffage devient incontournable. Il y a deux ans, lorsque le match de rugby du tournoi des Six Nations France-Irlande a été annulé au Stade de France, ça ne serait pas arrivé avec une pelouse chauffée. Et on sait ce que coûte l'annulation d'un match. C'est énorme donc on ne peut plus se le permettre. En hiver, mettre le chauffage, ça limite les risques.
Il faut se donner les moyens d'investir.
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FOOTBALL 2013 Barcelona - Nou Camp

Crédit: Panoramic

Que pensez-vous du synthétique ?
A.D. : Concernant le synthétique, la technique s'est beaucoup améliorée. Ça peut être une solution. Mais, pour en avoir parlé avec des joueurs et visiter quelques centres d'entraînement, les sensations ne sont pas les mêmes. Tous les joueurs pros préfèrent jouer et s'entraîner sur des pelouses naturelles. Si un jour l'UEFA dit que tous les clubs doivent être en synthétique parce qu'on ne peut plus annuler un match, on verra. Mais on n'en est pas encore là. D'autant plus que, à mon avis, ça ne résoudrait pas 100% des problèmes. Mais c'est clair qu'en hiver on peut jouer sur du synthétique avec une qualité de jeu qu'on n'a pas aujourd'hui sur du naturel.
Les terrains hybrides, où le gazon naturel est ancré sur un support de fibres synthétiques, constituent-ils l'avenir ?
A.D. : Il y en a pas mal en Angleterre. Avec l'hybride, on a les avantages et les inconvénients des deux. Certains vont dire que mettre des fibres synthétiques dans l'herbe renforce le naturel, ce qui n'est pas faux. En hiver, c'est quand même mieux. Mais on peut aussi jouer sur les substrats (le support organique de la pelouse, ndlr). Sur un terrain, il n'y a pas que la qualité de l'herbe qui est importante. La qualité du substrat l'est aussi. Beaucoup d'innovations sont faites dans ce domaine, notamment avec des fibres, où on apporte de la stabilité et de la souplesse, du drainage… Mais on peut retourner le problème dans tous les sens, le principal c'est que la plante a besoin de lumière, de chaleur, d'eau et d'engrais. Or, aujourd'hui, tous les stades se ferment avec des tribunes couvertes donc on minimise la lumière en créant des zones d'ombre donc ça n'est pas bon pour faire pousser du gazon. On met des lumières artificielles. Ça marche bien mais c'est un problème de moyens. Au Real Madrid ou au Barça, ils ont des lampes qui fonctionnent tout le temps. Il faut juste savoir que ça existe et se donner les moyens d'investir là-dedans.
En Angleterre, on a davantage le respect des pelouses.
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Calderwood PSG

Crédit: AFP

Finalement, la situation est-elle catastrophique en France ?
A.D. : Moi, je crois que ça n'est pas si catastrophique. Personnellement, je pense si chacun (joueurs, entraîneurs, jardiniers, mairies) ne faisait qu'un tout petit effort pour essayer de comprendre le métier de l'autre, je crois qu'on arriverait à améliorer sensiblement la qualité des terrains. Mais quand on est footballeur professionnel, c'est facile de dire qu'on a mal joué parce que la pelouse est pourrie. Ce serait facile aussi de comprendre que, quand il pleut ou il neige, ce serait bien de ne pas s'entraîner sur la pelouse et de la préserver. Mais le monde du football est irrationnel. A une époque, au PSG, ils avaient l'habitude de s'échauffer toujours au même endroit parce qu'ils avaient l'impression qu'ils allaient perdre s'ils ne s'entrainaient pas là. La pelouse, elle, elle prend des crampons sur la figure pendant l'échauffement. En hiver, elle ne s'en remet pas. Il faut l'intelligence de tout le monde pour se dire que c'est un milieu naturel et que chacun peut faire quelque chose pour le respecter.
Ce serait donc un problème de culture ?
A.D. : En Angleterre, culturellement, on a davantage le respect des pelouses qu'en France. Après, il y a une question de moyens. Et les green keepers ont un poids, une aura. Ils sont capables de dire aux joueurs : "vous l'allez pas vous entraîner là parce que le terrain n'est pas praticable". C'est qu'ils ont fait au PSG où ils ont recruté un green keeper anglais (Jonathan Calderwood, ndlr). Quand c'est un membre du club qui a été recruté pour l'entretien des terrains, il a de l'autorité pour dire à n'importe quelle star : "Tu vas t'entraîner sur un synthétique". Quand c'est un responsable de la mairie qui dit au club qu'il ne faut pas utiliser le terrain, il n'a pas le même poids. Mais au bout d'un moment, la pelouse s'en fiche de savoir si c'est telle ou telle star du football qui vient marcher dessus. Elle ne poussera pas de toute façon.
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