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Une Euroligue fermée pour remplacer la Ligue des champions ? Les tout-puissants y songent

Philippe Auclair

Mis à jour 07/03/2016 à 14:21 GMT+1

La Ligue des champions sous sa forme actuelle a-t-elle un avenir ? L'European Club Association, qui regroupe les puissants du Vieux Continent, n'en est pas convaincue. Ils souhaitent batir un championnat européen fermé où les entrées seraient globalement réservées aux puissants.

Neymar face au Bayern

Crédit: Panoramic

Je me trouvais tout récemment à un déjeuner dont l’un des convives était l’un des dirigeants les plus influents du football anglais. Son nom importe peu dans ce contexte. Comme cela devait arriver dans une conversation entre "gens de football", la conversation se porta le plus naturellement du monde sur le travail remarquable que Claudio Ranieri avait effectué avec Leicester City et sur les chances des Foxes de se maintenir tout en haut de la pyramide jusqu’au mois de mai.
"Serait-ce une bonne chose pour la Premier League?", demanda-t-on à notre prestigieux compagnon de table. "Je suis partagé entre deux points de vue", répondit-il. "Celui de l’amoureux du sport, pour qui c’est une aventure fantastique, une bouffée d’air frais. Et celui du businessman, qui préférerait que ce soit un Manchester United ou un Liverpool qui soit sacré champion. Les retombées financières seraient beaucoup plus conséquentes, pour tout le monde." Nous le poussâmes, poliment, dans ses retranchements, et il finit par lâcher: "au bout du compte, je préfère le ballon à l’argent, alors…"

Un cartel des clubs européens les plus puissants

Nous n’avions aucune raison de remettre en question la franchise de notre interlocuteur. Mais je doute que son opinion aurait trouvé un écho favorable s’il l’avait formulée lors de la dernière réunion de l’ECA, la European Club Association, où l’on avait tout autre chose en tête que l’amour du ballon, à en juger par ce qui en a filtré - et qui est passé complètement inaperçu en France. Comme vous le savez sans doute, l’ECA est l’organisation qui a succédé au G14, lequel, à la manière des trois mousquetaires qui en étaient quatre, comptait dix-huit membres, pas quatorze; le team ECA a un effectif encore plus fourni, puisque 220 clubs des cinquante-trois ligues européennes (Gibraltar devra patienter) en font aujourd’hui partie.
N’imaginez pas qu’il s’agisse d’une entité qui soit une émanation démocratique et légitime des racines du football. Il suffit de jeter un coup d’œil à la composition de son directoire (*) pour se rendre compte que l’ECA, comme le G14 avant lui, est d’abord un cartel des clubs européens les plus puissants, autrement dit, les plus riches, à la fois contrepoids, partenaire et complice de l’UEFA, laquelle accepta, peut-être un peu légèrement, d’en faire son interlocuteur exclusif dans son dialogue avec les clubs qui prennent part à ses compétitions. L’ECA est là pour défendre les intérêts de ses membres. A commencer par leurs intérêts économiques.
Or certains des piliers historiques de ce club des clubs (ouvert aux gentlemen seulement – zéro femme dans ses divers comités) sont inquiets. A partir de 2016/2017, les vingt pensionnaires de la Premier League vont se partager un pactole si conséquent que tous - oui, tous - intégreront le Top 30 de la Rich List du cabinet comptable Deloitte. De grands noms du football européen ne pourront lutter à armes égales avec les clubs anglais sur le marché des transferts que s’ils sont impliqués dans la seule compétition qui garantisse des revenus suffisamment conséquents pour cela : la Ligue des Champions.

Les comptables ont horreur du hasard

De plus, la répartition équitable des droits TV en Angleterre - ratio de 1,53 entre le club le mieux payé et le pauvre petit dernier -, si elle permet à la Premier League d’offrir une compétition autrement plus dense et plus imprévisible que quelque autre championnat européen, Italie exceptée, a pour "inconvénient" de réserver quelques mauvaises surprises aux "marques" les plus porteuses. Aujourd’hui, Manchester United semble devoir manquer sa deuxième Ligue des Champions en trois saisons. Liverpool, le mythique Liverpool, aura du mal à se qualifier pour la Ligue Europa. Tout comme Chelsea. Oui, la participation à la C1 dépend exclusivement des résultats sur le terrain et pas dans les bilans. Ce qui signifie qu’elle demeure une loterie aux yeux des comptables; et ces comptables ont horreur du hasard.
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Rummennigge

Crédit: Eurosport

Une "Euroligue" fermée serait évidemment le coup de dés qui, que les mânes de Mallarmé me pardonnent, aboliraient ce hasard. Le spectre d’une NBA du football est d’ailleurs régulièrement agité par l’ECA - en particulier par son président Karl-Heinz Rummenigge - lorsque l’UEFA se montre un rien envahissante. "Si vous continuez comme ça, nous créerons notre propre tournoi", en substance. Arsène Wenger, lui, répète qu’une Superligue européenne est "inéluctable", ce qui ne parait pas le déranger outre mesure.
Effarouchée par cette menace, l’instance a pour coutume de reculer, comme lors de la mise en place du fair-play financier, où les nababs du football européen, autrement dit l’ECA, furent conviés à la table de discussion, et finirent par emporter la partie. C’était une crainte alors, exprimée par les plus lucides, c’est une certitude aujourd’hui: le système qui en découla a eu pour effet une véritable ossification de la super-élite. On n’est pas près de revoir un club roumain, serbe, néerlandais, voire même portuguais en finale de la Ligue des Champions. Members only.

Le modèle de l'Euroligue et de ses passe-droits ?

Certains de ces gentlemen de l’ECA ne sont pas satisfaits pour autant. La teneur des discussions qu’ils tinrent récemment lors de leur Comité Exécutif, à Nyon (où ailleurs qu’en Suisse?) aurait dû demeurer secrète, si un témoin des débats n’avait été suffisamment choqué de ce qu’il avait entendu pour en aviser quelques personnes de confiance, dont le journaliste du Times Oliver Kay, de qui je tiens ces informations, ensuite recoupées, hélas. Trop de grandes "marques", comprendre: de clubs qui avaient contribué à créer la "pompe à phynances" de La Ligue des Champions risquaient d’en être exclus… parce qu’ils n’étaient pas suffisamment bons, pour dire les choses crûment. Ce qui, à leurs yeux, constituait un scandale.
Pourquoi ne leur réserverait-on pas des places dans un tournoi new-look où il suffirait d’être soi-même pour se qualifier?
Après tout, la Ligue argentine n’avait pas procédé autrement lorsqu’elle s’était rendue compte que River Plate et Boca Juniors eux aussi étaient mortels, et pourraient ne pas échapper à la relégation. Du coup, on décida de ne plus prendre en compte les résultats d’une saison, mais de trois pour déterminer sous les pieds de qui s’ouvrirait la trappe. Abracadabra !
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Anthony Martial et Wayne Rooney (Manchester United)

Crédit: AFP

L’un des modèles étudiés par l’ECA ressemble beaucoup à celui adopté par les Argentins. C’est celui de l’Euroligue de basket-ball, où des licences "A" sont délivrées pour une période de trois ans, sur la base de critères sportifs, mais aussi économiques, en sus de wild cards attribuées à des clubs qui cochent les bonnes cases pour ce qui est de leur notoriété et de l’importance de leurs marchés respectifs. De cette façon, des clubs dont les résultats ne sont pas à la hauteur de leur histoire se voient offrir un coupe-file: les basketteurs du Bayern en ont profité, semble-t-il parce que le compte Twitter de leur équipe compte six fois plus d’abonnés que celui de quelques formations d’Europe orientale dont les performances sont autrement plus impressionnantes. Je n’invente rien. C’est bien l’une des "solutions" qui ont été évoquées à Nyon, l’idée étant qu’elle serait appliquée à partir de la saison 2018-19.
Je me méfie des théories du complot. Les conspirations supposées se révèlent presque toujours être des affabulations, "presque" n’étant rien d’autre ici qu’une précaution rhétorique. Ceci n’en pas une. Quelques-uns des plus grands clubs européens, dont les noms sont gravés sur le trophée de la Ligue des Champions, craignent à ce point qu’elle s’éloigne d’eux qu’ils sont prêts à sacrifier le premier des principes du sport : celui de récompenser le mérite, et de lui substituer un autre: on ne donne qu’aux riches.
Surpris ? Moi pas.
(*) Bayern, Real Madrid, Barcelone, Manchester United, Arsenal, Juventus, OL, Ajax, Anderlecht, CSKA Moscou, Milan, Celtic, Olympiakos, HJK Helsinki et Legia Varsovie.
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