Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout
Opinion
Football

Pep, Mou, Zidane : peut-on mesurer l'influence d'un entraîneur ?

Thibaud Leplat

Mis à jour 22/09/2016 à 09:09 GMT+2

Mourinho, en changeant tout à Manchester United, fait pire que Van Gaal. Pep, sans presque rien changer à City, surclasse Pellegrini. Zidane, avec l’équipe de Benitez, fait mieux que le Barça de Pep d’il y a huit ans. La question est éternelle : comment mesurer le football ?

Jose Mourinho - Pep Guardiola

Crédit: Eurosport

L’idée qu’on pourrait mesurer la valeur d’un homme à celle de son obéissance est une idée fameuse. Depuis les années 1980, nous avons pris l’habitude, avec les experts et les économistes du bord des pelouses, d’inventer de nouvelles lois auxquelles obéir à l’heure d’ausculter la production de football. Comme on le ferait d’une chaîne de montage de voitures, nous décrivons le triomphe de l’homme sur la matière avec force de vocabulaire économique : "efficacité d’un attaquant", "ratio d’occasions manquées", "optimisation d’un effectif", "rationalisation d’un schéma tactique", "mise en concurrence systématique". Cette folle prétention à l’objectivité scientifique s’accompagne le plus fréquemment dans nos conversations de considérations tactiques prenant la forme de formules magiques : 4-3-3, 4-4-2, 3-5-2, 3-4-3.
L’ensemble de ces observations livrent ainsi à leurs auteurs le corpus disciplinaire exemplaire permettant de s’assurer du contrôle sur nos corps et, chose plus difficile, sur nos esprits. Nous connaissions les 11 lois du jeu, il y a désormais une infinie doctrine tactique à la lumière de laquelle nous sommes contraints d’examiner notre sport et la qualité de la production de ses acteurs. Le travail ne consiste plus à décrire ce que nous voyons et vibrer de tout notre corps devant un spectacle qui nous enchante depuis le premier jour, mais plutôt à pointer a posteriori l’inconvenant qui avait enfreint la règle imaginaire et par qui, au lendemain de la défaite, le malheur était arrivé.
A Manchester United, le coupable idéal s’appelle Luke Shaw, à Paris Hatem Ben Arfa, à Madrid James Rodriguez. Qui corrige-t-on en accusant publiquement ces hommes ? Ceux qui les regardent. La brutalité du discours tactique ne tient pas en sa manière de faire la loi sur les terrains mais à la façon qu’il a, en dehors, de nous faire la morale.
picture

Watford's Daryl Janmaat in action with Manchester United's Luke Shaw.

Crédit: Eurosport

Surveiller et punir

Car on sent bien ici qu’il y a quelque chose de paradoxal à vouloir mesurer, classer, hiérarchiser le comportement des footballeurs comme on le ferait d’une machine ou d’un atelier de fabrication d’humanoïdes. La question, au fond, est assez simple : elle interroge le rapport paradoxal que nous entretenons avec le travail de ces hommes qu’on aime autant admirer que corriger. D’un côté nous leur demandons de ne "pas calculer leurs efforts", de "ne pas se poser de question" et de l’autre nous passons pourtant nos soirées à mesurer le moindre de leur geste manqué, à décortiquer la plus petite de leur hésitation, à faire l’éloge des dociles, le procès des réfractaires.
Non content de ces observations, nous nous pressons d’en tirer des sentences définitives sur les aptitudes physiques et morales de chacun à "résister à la pression", à "respecter les consignes" c’est-à-dire, en somme, à obéir. La fascination pour la discipline militaire sur laquelle repose tout discours normatif sur le football est donc le symptôme d’une curieuse orthopédie morale secrètement à l’œuvre dans nos esprits. Nous n’observons pas, nous contrôlons. Nous ne comprenons pas, nous condamnons. Nous n’évaluons pas, nous éliminons. Notre plus grand regret au fond c’est de ne pas avoir encore inventé la machine qui pourra mesurer à coup sûr la valeur morale d’un homme. Il y a longtemps qu’on aurait eu la peau de José Mourinho.
picture

Jose Mourinho

Crédit: AFP

Qui est le meilleur ?

Aujourd’hui tous les tableaux nous le crient bien haut si l'on compare les débuts de Zidane et Guardiola en Liga. Zizou a gagné plus de matches lors de ses 25 premiers que Pep (21 victoires, 3 nuls, 1 défaite pour l’un contre 19 victoires, 3 nuls, 3 défaites pour l’autre). Zidane est donc un meilleur entraîneur que Guardiola. Point. Pourtant on sent bien que quelque chose cloche. On tergiverse, on tourne en rond. Quiconque a regardé quelques matches de Manchester City depuis un mois n’a pu être que subjugué par le bouleversement qualitatif qui venait d’être opéré dans le nord de l’Angleterre (et l’étrange indolence du Real Madrid). C’est peut-être ici que se cache le chiffre manquant, celui qui nous donnera la vérité du travail des entraîneurs.
Personne n’a encore découvert les raisons qui ont fait tout à coup de De Bryune, Kolarov ou Fernandinho des joueurs à l’éthique de jeu exemplaire, qui ont transformé en quelques semaines une bande de légionnaires apathiques en une redoutable armée de volontaires enthousiastes. Aucune tactique, aucune loi, aucune machine ne rendra jamais compte du mystérieux mécanisme du consentement humain, ce qui fait que tout à coup on se met à aimer ce que l’on fait, à écouter celui qui nous parle, à réussir ce que l’on veut. Sa carrière peut s’arrêter aujourd’hui, Manchester City est déjà la plus grande réussite de Pep Guardiola.
picture

ZIDANE_RECORD

Crédit: Eurosport

Le principe de plaisir

C’est avec Menotti qu’il faut donc invoquer une autre façon de donner de la valeur au travail de ces hommes qu’on appelle "entraîneurs", une façon de regarder le football où l’on ne parlerait pas tant de systèmes de jeu ou de kilomètres parcourus que de convictions et de perfectibilité. C’était en 2013 avec Robben mais on pourrait dire la même chose aujourd’hui de Kevin De Bruyne. "Vous savez que Pep fait partie de ces entraîneurs qu’on peut compter sur les doigts d’une seule main qui, dès le premier jour où ils ouvrent la porte d’un vestiaire ont à peine besoin de dire ‘bonjour’ pour que tout le monde sache déjà ce qu’il doit faire, comment il doit jouer… Je l’ai dit un jour à Pep ‘Regarde Robben comme il joue pour toi ! Robben c’est quand même un joueur qui s’est payé tous les entraîneurs avec qui il est passé et maintenant, regarde-le côté droit, il feinte comme d’habitude mais au lieu de frapper, il passe en arrière. Il joue pour toi Pep !’ Pep s’est marré".
Ce dont parle Menotti - le consentement des hommes à l’idée d’un seul - et qu’on a du mal à percevoir dans le Real de Zidane (les joueurs jouent pour lui, certes, mais à quoi ?), qu’on n’a pas vu dans une équipe de Mourinho depuis 2010, on le voit depuis le premier mois de compétition dans le City de Pep. Guardiola a-t-il découvert le chiffre qui manquait aux autres ? Non. Ce qui fait le grand entraîneur de football c’est la même chose qui fait le grand auteur ou le grand réalisateur : la manière commune qu’on a de se laisser aller avec eux à la sensibilité. "La question que je me pose aujourd’hui, a répondu Pep ce week-end après son deuxième 4-0 en trois jours, c’est : est-ce que les gens qui sont venus nous voir ont pris du plaisir ? Oui ? C’est tout ce que je veux savoir. Gagner des titres ou pas, on verra bien". La valeur d’un entraîneur c’est la profondeur du lien qu’il entretient avec son lecteur, son joueur. La seule mesure à la hauteur d’un tel homme c’est la confiance des siens.
picture

Pep Guardiola at Etihad against Borussia Mönchengladbach

Crédit: Imago

Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Partager cet article
Publicité
Publicité