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Des complexes à la médaille : histoire d'un travail de fond

Patrick LAFAYETTE

Publié 16/02/2014 à 20:38 GMT+1

Le relais bleu du ski de fond a trouvé dimanche, avec sa médaille de bronze, la récompense d’un travail initié il y a déjà quinze ans.

"J’ai déjà chialé cinq fois ! Tu veux que je pleure encore?" Vincent Vittoz nous rabrouerait presque quand on évoque les – déjà – vieux souvenirs. Mais c’est vers lui qu’on a envie d’évidemment se tourner, dès l’arrivée du relais du ski de fond, avec ce bronze français qui vaut de l’or. Oui, de l’or ! Parce que la France du nordique l’a tellement attendu... Deux fois quatrième, en 2006 puis 2010. Mais surtout parce qu’aux Jeux, malgré le travail accompli, malgré les résultats à la hausse depuis de nombreuses saisons maintenant, une malédiction semblait peser sur les fondeurs. Même si Roddy Darragon, en une fulgurance, avait rapporté une médaille inattendue et anachronique au sprint des JO 2006, sans dévaloriser ses qualités et son opportunisme sur le coup.
Oui, c’est un torrent de larmes et d’émotion dans l’aire d’arrivée que quitte tranquillement, à pied et au milieu du public, un Vladimir Poutine apparemment satisfait de l’argent des siens. Ces larmes qui creusent de doux sillons dans le bleu-blanc-rouge peint sur les joues… Mais pourquoi tant de larmes ? Parce que tant d’émotion. Parce que tant d’attente.
Vittoz était déjà là, dans les profondeurs des classements, lors du fiasco de Nagano, en 1998. Loin, si loin des médailles, quand la glisse n’était pas au rendez-vous de ces neiges mouillées japonaises, quand il fut décidé de faire table rase d’un passé insipide et de se tourner vers le magicien Roberto Gal, le coach venu d’Italie et qui a tout révolutionné : "Aujourd’hui, nous pensons à lui", disaient tous les Français de plus de vingt-cinq ans ce dimanche soir. A commencer par Vittoz, désormais jeune retraité des pistes et qui ne connaîtra donc jamais cette consécration du podium olympique, mais aussi Gaillard et Manificat, et même Duvillard, qui ont travaillé sous sa férule, son autorité, sa façon de transmettre de la confiance aussi.
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2010 JO Vancouver Vincent Vittoz

Crédit: AFP

Nous étions les parents pauvres

"Tout le monde a appris au contact de Roberto", rappelle Nicolas Michaud, le patron du nordique national, après avoir lâché un "nous sommes enfin payés de nos efforts" sorti des tripes. Et arrive Christophe Deloche, responsable d’équipe aujourd’hui après avoir été l’adjoint de Gal, dont il s’est nourri des conseils. Et arrive Vincent Giachino, le chef technicien, qui se souvient de ses débuts dans le staff il y a quinze ans, "en emploi jeune" rigole-t-il, et qui dirige maintenant une équipe de farteurs élargie à sept personnes. "Nous sommes loin des vingt-et-un servicemen appointés par la Norvège, des douze à quatorze dont disposent ici les Suédois, raconte Giachino. Mais nous avons les moyens de bien bosser, avec beaucoup de méthode. Et l’héritage de Roberto prospère."
Il convoque également les progrès de la détection de l’EPO, qui a égalisé les chances, et l’appui des ministères (deux douaniers et deux militaires dans ce relais bronzé), qui a permis à un Ivan Perrillat-Boiteux par exemple, le héros d’un final de feu, de pouvoir quitter son emploi à mi-temps à la mairie du Grand-Bornand pour se consacrer entièrement à son sport et ainsi maintenir à distance, plutôt sereinement, un Petter Northug, la star de la discipline, déchaîné. Puis il tombe dans les bras de Manu Jonnier et Alexandre Rousselet, encore récemment dans le groupe, qui testent ici les skis de leurs potes, et qui ont connu "toutes les galères et toutes les déceptions". "Mais il y a eu un tournant, rappelle Rousselet, c’est la victoire dans le relais de Coupe du monde à la Clusaz."
7 février 2004. Ce jour-là, quand Vittoz, Rousselet, Jonnier et un autre Perrillat du Grand-Bo, Christophe celui-là, ont gagné, "nous avons pris conscience  qu’une porte s’ouvrait, que plus rien en nous était interdit", rappelle aujourd’hui l’aîné des "bronzés", Jean-Marc Gaillard. Lui aussi a connu cette période où, "sans parler de complexe, nous nourrissions un sentiment d’infériorité par rapport aux autres disciplines". "Nous étions les parents pauvres", se souvient-il.
Il en parle au passé. Parce que maintenant, les Suédois viennent les saluer en leur lançant : "Good job!". Les Norvégiens les félicitent en passant, battus et tête basse. Et comme le dit Gaillard : "C’est un classement qui a de la gueule non?" Suède, Russie, France, Norvège dans l’ordre : ne cherchez pas l’intrus, il n’y en a plus! Et la prochaine fois, qui pourrait ne pas tarder, on aura moins de larmes. Mais Roberto Gal, le travail et les progrès accomplis, et la prometteuse relève qui en découle, seront toujours dans les cœurs.
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Jean-Marc Gaillard, Maurice Manificat, Robin Duvillard et Ivan Perrillat-Boiteux relais France Sotchi 2014

Crédit: AFP

Trois chiffres pour comprendre

2 – La médaille de bronze du relais 4x10km hommes est simplement la deuxième du ski de fond français aux Jeux d’Hiver après l’argent remporté par Roddy Darragon, en sprint, en 2006.
3 –  La France a enregistré trois médailles seulement, en ski de fond, dans toute l’histoire des Championnats du monde : l’or de Vincent Vittoz sur la poursuite 2x15km en 2005 ; l’argent de Hervé Balland sur le 50km libre en 1993 ; et le bronze de Jean-Paul Pierrat sur le 50km en 1978.
43 – Sur 49 podiums masculins obtenus par la France en Coupe du monde de ski de fond, 46 l’ont été depuis 1998-1999 et l’arrivée de Roberto Gal à la tête des équipes nationales. Parmi ces 49 podiums, 12 victoires : 7 pour Vittoz, 3 pour Manificat, 1 pour Gaillard et 1 en relais.
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