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JO Sotchi 2014 - Antoine Dénériaz et Vincent Defrasne reviennent sur leur expérience olympique

Eurosport
ParEurosport

Publié 11/02/2014 à 15:20 GMT+1

Antoine Dénériaz et Vincent Defrasne, champions olympiques à Turin en 2006, nous décrivent par quel frisson olympique a pu passer Martin Fourcade lundi.

JEUX OLYMPIQUES 2010 Vincent Defrasne-Antoine Dénériaz

Crédit: Eurosport

L'AVANT-JO :

Une semaine avant l'ouverture des Jeux, à Chamonix, ANTOINE DENERIAZ, vous dominez les entraînements et malheureusement la course est annulée… Et vous VINCENT DEFRASNE, début janvier, vous décrochez votre première victoire en Coupe du monde à Oberhof. Vous êtes dans quel état d'esprit à ce moment-là ?
V.D. : A Oberhof, c'était un grand jour, car c'était mon premier succès en Coupe du monde, mais je me souviens que j'étais simplement très heureux de ma progression et content. Je ressentais également une impatience de me présenter aux Jeux.
A.D. : Lorsque la décision d’annuler la course de Chamonix a été prise par les organisateurs, j’ai été très déçu car j’avais vraiment le sentiment de pouvoir jouer le podium sur cette piste, d’être revenu "jouer" avec les meilleurs, d’être enfin de retour après ces mois de rééducation, de hauts et de bas qui suivirent ma blessure au genou. Mais à ce moment je me suis dit, ok, maintenant, il n’y a plus qu’une course à gagner : les Jeux !
Antoine, un an auparavant à Chamonix, vous vous étiez blessé à un genou. Pensiez-vous pouvoir revenir à un tel niveau ? Vous déclarez à l'époque : "Puisque je ne serai pas champion du monde, je serai champion olympique"…
A.D. : Oui, c’est un peu dingue ! En fait, à ce moment, je skiais vraiment bien, je jouais des podiums. A Chamonix, j’ai finalement pris un peu trop de risques sur le saut du "Goulet" au dernier entrainement. Bilan : rupture du croisé antérieur du genou gauche. Après ma chute, avant de me charger dans l’hélicoptère, mon entraineur est tout de suite arrivé vers moi, il était "dépité" !  Je savais que c’était grave, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai voulu le rassurer, et c’est ce que je lui ai dit. Je me suis tout de suite raccroché à ça, et c’est devenu mon but.

LE JOUR-J :

Comment se déroule votre avant-course respective ? Comment êtes-vous entré dans votre épreuve ?
V.D. : Je me souviens être un peu "à la bourre" au moment de partir de la chambre et de me rendre sur le site. Mais je me sentais bien : J'avais en tête le schéma de préparation mental de la course, échafaudé la veille au soir. J'étais prêt.
 A.D. : De mon côté, j’étais un peu comme dans un état second, certain de partir pour une grande journée. Je n’ai pas beaucoup dormi la nuit précédente, mais surtout parce que je voulais en découdre. Le matin, j’étais hyper concentré mais à la fois détendu, je blaguais, mais intérieurement je bouillonnais ! Je me suis répété toute la matinée "tu vas le faire, tu vas le faire", "c’est aujourd’hui ou jamais !".
Antoine, vous aviez choisi de partir avec le dossard 30 (grâce à votre entraînement). A quoi pense-t-on dans la cabane de départ, quand on est le dernier des favoris à s'élancer ?
 A.D. : Je n’ai pas vraiment choisi, je ne pensais pas faire comme ça, mais j’ai été plus vite que prévu lors de l’entrainement, je n’ai pas assez freiné. A ce moment là, l’ordre de départ de la course était fixé en fonction du classement du dernier entraînement, le premier héritait du dossard 30, le 30ème du dossard 1, il y avait donc un jeu tactique. Nous pensions tous que pour gagner il fallait avoir un dossard entre 10 et 15, par rapport aux conditions d’entrainement. Et puis je me suis dit, après tout, tu veux gagner, maintenant les autres le savent, c’est eux qui ont la pression. En plus, partant dernier des favoris, je m'étais dit que je serais tout de suite fixé en passant la ligne ! Dans la cabane, je me disais juste "c’est maintenant ou jamais, fais-le!".
Dans la cabane, je me disais juste : c’est maintenant ou jamais, fais-le!
Vincent, après le sprint duquel vous terminez cinquième, vous êtes dans quel état d'esprit ?
V.D. : J'avais un sentiment de sérénité. De belles choses pouvaient être encore faites. Je me sentais fort, et je me trouvais bien placé. Après le sprint, j'ai tout de suite pensé à la poursuite. J'avais même envie de la courir dans la foulée, tellement j'étais bien. Dans ma tête, je ne visais qu'une chose : je voulais "attaquer" la poursuite, le couteau entre les dents. Un peu comme Antoine...
Le 12 février, premier jour d'épreuve, Antoine, vous offrez la première médaille d'or à l'équipe de France, un jour après le bronze de SandraLaoura. Avez-vous eu le sentiment de la décomplexer encore plus ? Que vous a-t-on dit quand vous êtes rentré au village olympique ?
A.D. : C’était un peu de la folie ! Je me souviens juste que tout est allé très vite, j’ai été "surbooké" cet après-midi et soirée-là… On m’a félicité, tout le monde était très heureux. Je ne sais pas si j’ai décomplexé l’équipe, mais peut-être que cela a lancé une dynamique… En gros, les autres se sont peut-être dit : "Nous aussi, on peut le faire!".
Est-ce qu'à un moment donné, avant ou pendant la course, on sent qu'on peut devenir champion olympique, que c'est notre heure ?
V.D. : Je vais être honnête : Il n'y a pas un moment où j'y ai pensé. Et pas précisément, mais les deux jours séparant le sprint, je me sentais vraiment d'attaque, au meilleur niveau. Celui qui permet de viser l'impossible.
Je vais être honnête : Il n'y a pas un moment où j'y ai pensé.
 A.D. : C’est un peu l’inverse pour moi, je le sentais vraiment, je me sentais fort. Mais je croyais que cela serait vraiment serré, que cela se jouerait au centième. C’est comme si tout le travail, la concentration, la force que j’avais accumulés depuis ma blessure étaient ressortis aux Jeux.
Vous avez aussi en commun d'être passé tout près de la chute en fin d'épreuve. Après 1'25" d'effort, Antoine, vous êtes légèrement déséquilibré, et vous Vincent, on se souvient que vous marchez sur les bâtons de Bjoerndalen dans le dernier virage. A-t-on le temps de tergiverser dans ces moments-là, de penser qu'on peut tout perdre ?
V.D. : Ça va très vite mais en fait je me suis dit : "non, c'est impossible que tu tombes là, tu tomberas plus tard, mais pas là."
A.D. : Quand je fais cette faute dans la forêt, j’ai vraiment cru, à ce moment-là, que la médaille s’était envolée! Mais je me suis remis à fond pour finir, pour rattraper du temps, et en fait, je gagne avec une énorme avance… C'était incroyable comme sentiment à l'arrivée.
Antoine, avez-vous vu la poursuite de Vincent et qu'avez-vous pensé quand il a failli tomber dans ce dernier virage ?
A.D. : Oui, je l’ai vu à la télé… j’en ai eu les larmes aux yeux ! C’est fou les Jeux, je venais d’avoir ma médaille, j’étais devant la télé et je sautais sur le canapé ! Je criais "allez, allez, allez !" (rires).
Antoine, vous devancez MichaelWalchhofer, à l'époque tenant du globe de la descente (en 2006, il le gagnera de nouveau d'ailleurs, puis en 2009) et Vincent , vous dominez OleEinarBjoerndalen, quadruple champion olympique quatre ans plus tôt. Ça fait quoi de dominer de tels monstres dans vos disciplines respectives ?
V.D. : J'apprécie que ce soit Ole Einar qui soit le symbole de ma discipline, car il m'impressionne sportivement et j'apprécie aussi sa manière d'être dans le monde du biathlon, avec les autres athlètes, avec les médias. Gagner contre lui, le battre aux Jeux Olympiques, m'a donc procuré un gros bonus à la victoire.
 A.D. : C’est pareil pour moi. Walchhofer est un grand champion, il est sympa, on discutait et on se respectait, il était au top à ce moment là. Le fait d’avoir gagné devant lui, "à la régulière", dans des conditions égales pour tous, avec une telle marge, a rajouté de la valeur à ma médaille.
Après coup, j'estime que tout n'était absolument pas parfait dans ma course, au niveau performance car il y a eu quelques (tout) petit accrocs.
Estimez-vous avoir réalisé ce jour LA course parfaite, La course de toute une carrière ?
V.D. : Après coup, j'estime que tout n'était absolument pas parfait dans ma course, au niveau performance car il y a eu quelques (tout) petit accrocs : cette chute qui aurait pu tout gâcher, cette balle éjectée au deuxième tir. Après, au niveau du scénario, c'est vrai qu'on peut difficilement faire mieux…
A.D. :  Me concernant, il y a eu cette petite faute, mais quand je regarde d’où je suis revenu, la manière avec laquelle j’ai géré ma semaine, mes entrainements, ma course et l’avance (-0"72)… Oui, je pense que ça a été la course de ma vie !

L'APRES-JO :

Dans toute l'histoire des JO d'hiver, avant les JO de Turin, la France n'avait récolté que 25 médailles d'or. Mesure-t-on, sur le moment, l'exploit réalisé ?
V.D. : A vrai dire, non. Je me suis un peu demandé ce qu'il m'arrivait. Tout simplement. Après, il faut quelques mois pour comprendre. Et puis mesurer surtout la portée médiatique de la chose. Et ça, c'est monstrueux…
 A.D. : Non, sur le coup je n’ai pas réalisé que cela serait aussi grandiose ! Sur le coup, j’ai été super fier de "leur avoir fait le coup !" Comme un gamin qui fait une grosse farce. Et puis après, cela a été de la folie. Aujourd’hui, j’ai en fait encore du mal à me dire que j’ai une ligne sur mon CV comme Killy, Oreiller, Vuarnet, Crétier...
D'autant plus que pour vous Vincent, vous êtes devenu le premier biathlète masculin français à décrocher l'or…
V.D. : C'est juste bien d'ouvrir la voie (rires).
Et puis il y a la Marseillaise...
V.D. : Ce moment est incroyable. C'est très fort, mais tellement de choses passent par la tête qu'il est dur de les classer. Je pense quand même que cette Marseillaise m'a fait remonter tous les souvenirs liés à tous les entraînements faits depuis que je suis gamin. Elle m'a aussi permis de penser à tous les gens qui m'ont aidé pour en arriver là.
La Marseillaise? Sincèrement, j’ai cru que j’allais m’écrouler ! Je connais la Marseillaise par cœur, mais ce jour là, ça a été juste impossible de la chanter.
 A.D. : Sincèrement, j’ai cru que j’allais m’écrouler ! Je connais la Marseillaise par cœur, mais ce jour là, ça a été juste impossible de la chanter… C’était tellement fort, intense. Je tenais ma médaille pour me dire "je ne rêve pas, c’est vrai, je l’ai !" et mes jambes me tenaient à peine sur le podium.
Comment s'est passé l'après-Turin ? Les sollicitations…
V.D. : Cela change pas mal de chose dans le domaine public notamment, mais moi, j'ai juste voulu continuer ma vie privée, car j'étais déjà heureux dans ma vie personnelle avant ce titre. C'est tout.
A.D. :  C'est tout ? Je ne suis pas d'accord avec Vincent : Ça change tout ! J’espère ne pas avoir changé moi-même, je ne voulais absolument pas, je veux préserver ma vie personnelle au maximum, mais le regard des autres change, les rapports avec eux changent. Je ne ferais pas aujourd’hui tout ce que je fais si je n’avais pas cette médaille. En même temps, même avec un titre olympique, il n’y a rien d’acquis, il faut toujours se battre. Mon retour à Morillon a été énorme. Mon village compte 500 habitants habituellement. Le soir de mon retour, nous étions 12.000 ! Ils ont connu un moment inoubliable aussi. Aujourd’hui, il y a toujours des pancartes au bord des routes, sur des maisons disant "Merci Antoine !"
Cet entretien est la réédition d'un article original publié sur ce site en 2010.
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