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Renaud Lavillenie : "Même moi, j'étais incapable de dire que le record allait tomber si vite"

Laurent Vergne

Mis à jour 31/12/2014 à 13:52 GMT+1

Renaud Lavillenie a accordé un entretien exclusif à Eurosport.fr, à l'occasion de son double titre de Sportif de l'année 2014, français et international. Le perchiste clermontois est notamment revenu sur son record du monde. A Donetsk. Chez Bubka. Et devant lui. Un signe, peut-être...

2014 Donetsk Renaud Lavillenie

Crédit: AFP

Renaud Lavillenie, 2014 aura été une année de rêve pour vous…
R.L. : Elle a été très bonne oui. Je n'ai pas à me plaindre. Elle a commencé sur les chapeaux de roue, avec des choses presque inattendues, parce que le record du monde n'était pas forcément attendu pour l'hiver 2014. Après, ça s'est enchainé avec une série de victoires et le titre de champion d'Europe. Je ne pouvais pas rêver mieux. On va essayer de faire encore mieux en 2015. Je mets la barre haut. Ce sera intéressant.
Il y a deux ans, nous avions publié sur Eurosport un classement des 20 records inaccessibles en athlétisme. 19 tiennent encore debout. Seul celui de la perche a changé de propriétaire. Est-ce que, d'une certaine manière, même pour vous, c'est une surprise d'avoir battu ce record ?
R.L. : C'est certain que, parmi les records que l'on disait inaccessibles, celui de Bubka était très haut dans la hiérarchie. Même moi, jusqu'à l'année dernière, j'étais incapable de dire que le record allait tomber si vite. Mais c'est aussi la beauté du sport. On ne peut pas tout prévoir, dans un sens comme dans l'autre. C'est ce qui a fait qu'il y a eu un effet un peu surréaliste quand le record est tombé, en plus chez Bubka, à Donetsk. Ça a renforcé le côté mythique de la chose. C'est juste hallucinant, oui.
Battre le record du monde de Serguei Bubka chez lui, à Donetsk, et en prime en sa présence, c'est presque un scénario trop parfait pour être vrai. Avec le recul, vous dites-vous que, finalement, ça devait se passer ce jour-là, à cet endroit ?
R.L. : Je n'ai pas tendance à croire au destin ou à des signes comme ça. Mais c'est vrai, quand on regarde, tout était peut-être réuni pour que ça arrive ce jour-là. Bon, après, il fallait que je fasse le travail, et ce n'était pas le plus facile. Mais oui, tous les éléments extérieurs étaient réunis. Peut-être que ça a joué un peu dans la balance. C'est comme si, moi, j'organisais un meeting à Clermont et qu'un mec venait battre le record devant moi.
Ce sont les grands championnats, les titres qui structurent une carrière et permettent de fixer des objectifs. Mais ce record, l'aviez-vous quand même dans un coin de la tête. Ou était-ce quelque chose d'inaccessible ?
R.L. : J'étais à la fois très loin et très proche du record. J'étais à plus de 10 centimètres, c'est énorme. Mais à Göteborg, aux Championnats d'Europe en salle, quand j'ai fait ce saut à 6,07m où la barre est restée mais qui n'a pas été validée, ça m'a ouvert une autre dimension. Hormis Bubka, personne n'avait fait ça. Je me suis dit que j'étais encore jeune, et que dans la maitrise technique, physique, il y avait quelque chose à faire pour progresser et me rapprocher encore. Mais c'était un projet à plus ou moins long terme, pour 2015 ou 2016. Je voyais plutôt une avancée par étapes avec, peut-être, un jour, le record. Là, tout est allé très, très vite au début de l'année 2014. Les centimètres sont passés comme ça, comme si c'était normal.
Justement, pour passer en quelques semaines, brusquement, d'un record personnel à 6,03m à un record à 6,16m, il faut forcément un déclic, non?
R.L. : Oui, il y a eu un déclic. Au mois de décembre (2013), j'ai fait un stage qui m'a vraiment ouvert la voie. J'ai progressé, j'ai franchi des paliers. C'était le résultat d'un processus qui avait commencé après les Championnats du monde à Moscou, où j'étais resté sur une grosse frustration. J'avais le sentiment de ne pas être à ma place. De retour à l'entraînement, je me suis donné à 100%. Après ce stage, en compétition, j'ai décidé d'utiliser des perches un peu plus grandes, en passant de perches de 5,10m à des perches 5,20m. C'était un pari, je n'étais pas sûr à 100% que ça allait passer, mais c'était le moment de tenter des choses.
picture

Renaud Lavillenie

Crédit: AFP

Et ça a payé tout de suite…
R.L. : Il m'a fallu deux concours pour me régler. Le troisième, c'était Rouen. Je fais 6,04m. A partir de ce moment-là, j'ai senti que je pouvais aller encore plus haut, parce que je pouvais progresser sur l'utilisation de ces perches. C'était tout nouveau. Les repères changeaient. Une semaine après, je fais 6,08m. Ensuite, j'ai passé 10 jours d'entrainement incroyables où je battais tous mes records. J'ai été capable de bien maîtriser ces perches et de bien sauter avec. C'était le plus compliqué. Une fois que c'était maitrisé, le saut, je savais le faire. Il restait à le faire au bon moment, sur la bonne perche. C'est toute la complexité du saut à la perche et j'ai réussi à le faire.
C'est donc un seuil technique que vous avez franchi. Il n'y avait aucun aspect psychologique dans tout ça ?
R.L. : Non, il n'y avait rien de psychologique. C'était du technique, du physique. J'étais en très bonne forme, bien préparé. En termes de régularité technique, de maitrise, j'ai passé un cap. C'est ça qui m'a permis d'aller plus haut.
Michel Platini disait que, quand il était joueur, avant un grand match, il savait presque systématiquement le matin en se levant si ça allait bien ou mal se passer. Y a-t-il eu de ça pour vous à Donetsk ou tout ceci est-il beaucoup plus rationnel ?
R.L. : Il y a un peu de vrai. Ça n'arrive pas tout le temps, mais c'est vrai. Je sais que le matin des J.O., j'ai eu ce sentiment-là. Je savais que ça allait bien se finir. Bien sûr, une fois sur le terrain, on ne peut pas être sûr de tout ça, mais on ressent les choses. Le jour de Donetsk, j'ai un peu eu ce sentiment-là aussi. Les sensations sont bonnes, et plus la journée avance, plus les éléments me rassurent. L'échauffement se passe bien, on se sent bien. Après, il faut toujours garder du recul parce qu'on fait quelque chose qui reste aléatoire. Rien n'est écrit de A à Z. il ne faut pas se dire "ça va bien se finir, ça va passer tout seul". Il faut être à bloc jusqu'au bout.
Les titres restent, les records passent. Mais avez-vous conscience de ne pas avoir battu n'importe quel record? Quoi qu'il arrive, même le jour où quelqu'un ira plus haut que vous, vous resterez l'homme qui a fait tomber la marque de Bubka.
R.L. : Oui. Mais ça ne change pas ma façon de penser. Les deux sont très, très importants. Mais si je devais en choisir réellement un, je garderais le titre olympique. Le record, ça reste quand même quelque chose d'éphémère. On n'a rien qui matérialise le record, à part un bout de papier qu'on vous donne. Mais je sais qu'un jour, dans un an, deux ans, dix ans ou vingt ans, il sera battu. Ce jour-là, je serai dépossédé de quelque chose. La médaille d'or, personne ne me l'enlèvera jamais. C'est cette toute petite différence qui fait que je place le titre un tout petit peu au-dessus.
Vous parliez de votre frustration après les mondiaux de Moscou et votre remise en question derrière. On a le sentiment que, votre grande force, c'est d'avoir toujours su tirer les leçons de vos échecs, même relatifs, pour repartir de plus belle…
R.L. : Complètement. A chaque fois qu'il s’est passé quelque chose de moins bon, j'ai réussi à comprendre pourquoi. J'ai réussi à corriger les choses pour ne pas refaire les mêmes conneries et, surtout, pour progresser. Entre ma première saison au plus haut niveau en 2009 et l'année 2014, j'ai toujours apporté quelque chose de plus, chaque saison. Ou dans la régularité, ou dans la technique. J'ai toujours été capable de bien structurer tout ça, de ne pas me laisser abattre en me disant "j'ai perdu, je retourne à l'entrainement et on verra bien la prochaine fois". Non, j'ai toujours voulu comprendre. Après mon échec aux Mondiaux en 2011, je suis devenu champion olympique. Et je sais que c'est arrivé parce que j'ai analysé ce qui s'était passé. Pour le record, ça a été le même processus.
Y a-t-il eu une sorte de vertige après les 6,16m ? Médiatique, notamment ?
R.L. : L'après-record du monde a été quelque chose d'assez compliqué. Moi, je m'entraine tous les jours pour sauter à la perche, pas pour faire la tournée des médias. Il a fallu apprendre à analyser comment ça se passait et surtout filtrer pour ne pas me laisser déborder par tout ça. Je ne voulais pas perdre de vue le premier objectif: l'entrainement et la progression. Ça a été une saison assez compliquée par rapport à ça mais intéressante, aussi. J'ai énormément appris.
Finalement, tout s'est plutôt bien passé après…
R.L. : Oui, parce que j'ai réussi à atteindre mes objectifs en gagnant la Diamond League et le Championnat d'Europe. Ça aurait pu être pire si je n'avais pas su gérer l'après-record. Mais je suis quand même resté sur ma faim parce que je savais que j'étais capable de faire mieux.
On peut donc battre un record du monde mythique, être champion d'Europe et gagner 95% de ses concours sans être satisfait ?
R.L. : (Rires). Oui, on peut. Quand j'ai rangé mes perches après le dernier concours, j'étais content parce que j'avais perdu un concours sur les 22 auxquels j'avais pris part. C'était top. Mais j'avais quand même ce petit regret, de ne pas avoir été capable de sauter aussi haut que je le pouvais. Ce sont des petits détails. Mais ils nourrissent l'année d'après.
Au fond, vous vous battez d'abord contre vous-même…
R.L. : Quand on est en bout de piste, le premier adversaire, c'est la barre. Peu importe les concurrents directs. L'objectif, c'est la barre. Après, on compte les points. Quand on a passé 6 mètres, on n'a pas envie de rester scotché à 5,80 m. Alors on se bouge et si ça ne passe pas, il y a quand même la satisfaction de la victoire et des titres. Ce n'est pas rien.
Un mot sur 2015, pour finir. Il y aura les Mondiaux, le seul titre qui vous manque…
R.L. : Evidemment. Avant ça, la saison en salle sera importante quand même. Un quatrième titre européen de suite en salle, j'y attache beaucoup d'importance. Mais oui, les Mondiaux à Pékin, ce sera très important, surtout à un an des Jeux de Rio. Il va donner le ton. C'est une compétition où je suis monté à chaque fois sur le podium, mais jamais à la place où je voulais. Je vais donner le maximum comme toujours et j'espère que ça basculera dans le bon sens, au moins une année. Ce sera intéressant.
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