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La question qui fâche : Les joueuses de tennis doivent-elles gagner autant que les hommes ?

Laurent Vergne

Mis à jour 21/03/2016 à 22:32 GMT+1

Chaque lundi, la rédaction d'Eurosport.fr se penche sur une question épineuse de l'actualité sportive. Cette semaine, retour sur le débat qui agite le tennis de façon récurrente et qui a pris un nouveau tour dimanche avec les propos de Ray Moore, le patron d'Indian Wells.

Serena Williams, Novak Djokovic

Crédit: AFP

On reproche souvent au tennis son milieu trop policé, ses règles trop bien établies et, pour tout dire, son carcan un peu pénible. Pour un peu, on savourerait donc cette poussée de fièvre du dimanche soir, provoquée par les propos de Ray Moore, patron du tournoi d'Indian Wells, sur l'égalité hommes-femmes dans le monde de la petite balle jaune, et des réactions en tous genres qui ont suivi, notamment des cadors des deux circuits, Serena Williams (honneur aux dames) et Novak Djokovic.
Pour ceux qui auraient raté l'épisode inaugural, revoici les propos de mister Moore : "Si j'étais une joueuse, je me mettrais à genoux chaque soir pour remercier Dieu pour avoir donné naissance à Roger Federer et "Rafa" Nadal, parce qu'ils ont porté ce sport. Vraiment."
Rappelons d'abord que le tennis est un cas à part dans le monde du sport. C'est probablement le sport féminin le plus populaire autour de la planète. Et la discipline où l'égalité hommes-femmes en matière de traitement salarial est la plus nettement prise en compte. Mais tout le monde ne trouve pas ça formidable. Ni même juste.
Par nature, je préfère toujours le débat à l'unanimisme. Plutôt que de lyncher les points de vue des uns et des autres, je préfère donc d'emblée distinguer la forme du fond. Sur la forme, les propos de Moore sont pitoyables. Ils témoignent d'un mépris et d'une bêtise confondantes. Serena Williams a eu la réplique parfaite en lui assénant qu'"aucune femme ne devrait avoir à se mettre à genoux pour remercier quelqu'un". Ray Moore a dû se confondre en excuses un peu plus tard, regrettant ses commentaires de "mauvais goût". Pas mieux.
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Le dérapage sexiste de Raymond Moore qui fait jaser à Indian Wells

A genoux devant… Billie Jean King ?

Passons au fond, maintenant. Les propos de Moore soulèvent deux questions :
1. Les joueuses actuelles doivent-elles remercier l'exceptionnelle génération actuelle de champions masculins ?
2. Est-il normal que les joueuses de tennis soient payées autant que les hommes ?
Sur le premier point, il ne faut pas commettre de contre-sens historique. Si Angelique Kerber a gagné autant d'argent que Novak Djokovic en remportant l'Open d'Australie en janvier, ce n'est pas grâce à Federer, Nadal ou n'importe quel autre champion, mais grâce à une ancienne joueuse qui a contribué à donner au tennis ses lettres de noblesse, bien avant la naissance de Rodgeur, Rafa ou Nole : Billie Jean King.
Championne légendaire (12 titres du Grand Chelem, quand même) et plus encore femme d'exception, l'Américaine va oeuvrer dès le début des années 70 pour l'égalité hommes-femmes. Après son titre à l'US Open en 1972, elle s'insurge de voir Ilie Nastase, lauréat du simple messieurs, gagner 15000 dollars de plus qu'elle. King menace alors de ne pas revenir l'année suivante. En 1973, pour la première fois, l'US Open décide de fait d'appliquer un "prize money" égal entre hommes et femmes, du premier tour à la finale. Une grande première.
Le mouvement était enclenché. Il faudra cependant attendre l'an 2000 pour voir l'Open d'Australie emboiter le pas et quelques années de plus pour que Wimbledon et Roland-Garros se mettent également au diapason. Pour suivre le raisonnement absurde de Moore, si une joueuse actuelle devait se mettre à genoux devant quelqu'un, ce serait donc devant King.
Reste la question épineuse : est-ce juste de voir les joueuses gagner autant d'argent que les joueurs ? Les tenants du "non" avancent généralement trois arguments principaux :
. Les joueurs jouent souvent en trois sets gagnants, les joueuses jamais
. Les joueurs génèrent davantage d'audience et remplissent davantage les stades
. Le tennis masculin est plus spectaculaire
Le dernier argument est particulièrement subjectif. C'est affaire de sensibilité, de goût. Et on pourra avancer autant d'exemples que de contre-exemples. La finale du dernier Open d'Australie messieurs entre Djokovic et Murray, par exemple, m'a semblé 100 fois moins intéressante que la finale dames entre Williams et Kerber la veille.

L'argument économique, le plus puissant

L'histoire du "les joueurs jouent plus, ils doivent être payés plus", maintenant. Cela pourrait tenir pour les tournois du Grand Chelem. Effectivement, le vainqueur du tournoi masculin doit se fader au strict minimum 21 sets. La lauréate chez les dames en joue 21… au maximum. Mais on parle uniquement de quatre tournois par an. Le reste du temps, hommes et femmes sont logés à la même enseigne, particulièrement sur les tournois mixtes, comme Indian Wells ou Miami, où les circuits WTA et ATP sont présents en même temps.
On pourrait même prendre ce raisonnement à l'envers : comment justifier que la dotation du Masters 1000 de Miami soit passée de 3,2 millions de dollars en 2007 à 6,13 millions en 2016 alors qu'entre temps, le principe de la finale en trois sets gagnants a été supprimé au profit d'une finale en deux sets ? En mode filles, en somme. Federer a gagné deux fois moins pour avoir battu Nadal en 5 sets en finale en 2006 que Djokovic pour avoir disputé 14 jeux 10 ans plus tard à Indian Wells. Quelle injustice !
Reste l'argument économique. Sans doute le plus puissant. C'est celui-ci que Novak Djokovic a avancé dimanche soir pour arguer du fait que les joueurs devraient être davantage payés. Ils attirent plus le public. Indéniablement, le tennis masculin est actuellement plus "bankable" que le tennis féminin. Il ne l'a même jamais autant été, grâce à la présence simultanée de plusieurs champions d'exception. Le trio Federer-Nadal-Djokovic fait vivre un âge d'or au tennis masculin.
Mais ces champions ne sont pas éternels. La fin des années 90 n'est pas si loin. Malgré Sampras et Agassi, l'ATP jalousait alors la WTA, capable de capitaliser sur une Hingis, une Kournikova, une Graf ou les sœurs Williams en train de débouler et de révolutionner le tennis féminin. Qui peut dire à quoi ressemblera le sommet de l'ATP dans cinq ou dix ans ? Puis il est commode d'avancer Djokovic, Federer ou Nadal. Ce sont des incontestables blockbusters. Mais derrière ? Le public a-t-il vraiment plus envie de voir un Berdych ou un Ferrer qu'une Williams ou une Sharapova? A voir.
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Victoria Azarenka, Serena Williams et Ray Moore

Crédit: AFP

L'égalité est d'abord un symbole

Mais prenons les partisans du "plus pour les hommes" au mot. Dans ce cas, le moyen le plus juste serait encore de fixer le prize money… après coup. Lors du dernier US Open, les places de finale dames se sont arrachées comme des petites pains. Elles sont surtout parties plus vite que celles de la finale hommes. Le public américain, alléché par le possible Grand Chelem de Serena Williams, venait de nous dire : "l'événement, cette année, à Flushing, c'est ça. Ce qu'on attend, c'est ça."
En réalité, l'égalité salariale hommes-femmes dans le tennis est avant tout un symbole. Un symbole fort et dont le tennis a surtout des raisons d'être fier. Le fait de donner un million à Williams quand Djokovic en touche un autre n'enlève strictement rien au Serbe.
Au fond, ce sont deux positions de principe qui s'affrontent et il est peu probable que Gilles Simon, souvent en première ligne sur le sujet, Novak Djokovic, ou d'autres, changent de positon. Et ce n'est pas un problème. La pensée est libre, la parole aussi, tant qu'elle est maîtrisée, ce qui a été le cas du Djoker dimanche. On l'a senti un peu embarrassé par ce numéro d'équilibriste où il a tenté de livrer le fond de son opinion sans nuire à son image. Il a pu être maladroit (il s'est un peu perdu avec ses histoires d'hormones) mais il est injuste de lui tomber dessus.
Pour finir, en guise de clin d'oeil, je ne résiste pas à la tentation de vous demander si vous pouvez citer le match de tennis le plus vu de l'histoire aux Etats-Unis. Un Federer-Djokovic ? Un McEnroe-Connors ? Un Sampras-Agassi ? Perdu. C'était la "bataille des sexes", qui mit aux prises en 1972 Billie Jean King à l'ancien champion Bobby Riggs, alors âgé de 55 ans, qui avait défié sa cadette. 30472 spectateurs (record) et 50 millions de téléspectateurs (autre record). King l'avait emporté. Trois sets à rien.
Et vous, qu'en pensez-vous? Vous avez la parole.
Tennis : les femmes doivent-elles être payées autant que les hommes ?
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