Mahut et le monument

Nicolas Mahut a un petit problème dans l'approche de son troisième tour, vendredi, à Roland-Garros. Dans son clan, tout le monde adore son adversaire. "Ma femme est complètement fan de Roger et mon kiné aussi, sourit l'Angevin. Je vais devoir leur dire de ne pas se tromper de box. Ce sera la première consigne !" Ce type de souci n'arrive pas tous les jours, mais on n'affronte pas tous les jours Roger Federer, surtout en Grand Chelem. "Je me suis offert un beau cadeau pour mon premier troisième tour à Roland Garros", salive Mahut, loin de considérer la chose comme une catastrophe. Plutôt un grand moment de bonheur à savourer.

Au mois de janvier, en Australie, l'attaquant tricolore - pour utiliser une métaphore footballistique qui sied bien à ce grand amoureux du ballon rond - avait déjà atteint le troisième tour. Et, déjà, il avait dû se coltiner un monstre, Novak Djokovic, lequel ne lui avait laissé qu'une poignée de jeux. Face à Federer, la problématique est évidemment à peu près de la même nature. "Forcément, il y a peu de place pour passer. Il y a même très peu de chances de gagner", admet Nico Mahut, qui veut pourtant se forcer à croire à l'impensable, à un exploit à la Razzano. "Il faudra que je fasse le plus grand match de ma vie et lui un match assez moyen, explique-t-il. Mais tant que le match n'est pas joué, il y a une possibilité. Je vais m'efforcer de jouer mon jeu à fond. On verra ce qui se passera."

Jouer Federer, c'est évidemment plus qu'un simple match. Ce n'est pas un "troisième tour banal", comme le dit Mahut, qui estime s'attaquer à "un monument du tennis". On lui demande s'il ne risque pas de tomber dans le respect excessif et si considérer Federer comme un monument n'est pas le meilleur moyen de passer complètement à côté. Lui parle juste de lucidité. "Je n'ai pas l'impression de faire des compliments, se défend-il. Tout simplement, le palmarès parle pour lui. C'est un joueur qui a marqué l'histoire. Je suis en train de dire qu'il fait partie de l'histoire du jeu. C'est une réalité, ce n'est pas un compliment. Maintenant, je serai en face. Il faudra que je joue ma chance à fond, que j'essaie de m'engager à 100 %. Mais je n'invente rien en disant que c'est un des plus grands. C'est comme cela, c'est tout."

Respect, oui, mais pas question donc de partir en victime expiatoire et de regarder jouer Federer. D'autant que Nicolas Mahut a le sentiment de ne jamais avoir aussi bien joué au tennis. Plus encore que sa victoire contre Roddick au premier tour, celle face à Klizan, mercredi, a été révélatrice de sa faculté à maîtriser le jeu sur terre. "C'est le meilleur match de ma carrière sur terre, estime l'intéressé. Vraiment, le match était beaucoup plus dur qu'au premier tour. Oui, ce n'est pas le prestige de Roddick. Mais le match était plus difficile à gagner. C'était super compliqué. J'ai dû m'adapter pendant ce match. Il m'a empêché de jouer mon jeu. J'ai dû gagner un match pratiquement sans faire de slice en revers, alors que c'est un de mes coups forts." Intensité physique, faculté d'adaptation tactique et technique, Mahut a gagné un match qu'il aurait probablement perdu les années précédentes.

De quoi partir à l'assaut de Roger Federer avec une certaine confiance, même si celle-ci est bien sûr toute relative. "Mon entraineur m'a dit que jamais il ne m'avait vu aussi constant sur la durée d'un match que contre Klizan. Je peux m'appuyer sur cette victoire pour continuer. Maintenant, attention, Federer, je suis conscient que c'est autre chose. C'est une autre dimension, un autre monde." Un monument. Mais Mahut s'est offert le droit de rêver.