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L'œil de Roland : Petit, vieillot mais unique, le court N°1 a sa propre légende

Laurent Vergne

Mis à jour 01/06/2017 à 10:57 GMT+2

ROLAND-GARROS – C'est le sens de l'histoire. Roland-Garros va bientôt entamer sa modernisation et son extension. Il y va peut-être de la survie du tournoi à long terme. Le grand sacrifié de cette transformation sera le court numéro un. Une petite arène qui, en près de quatre décennies, s'est bâtie une petite légende.

Court N.1 Roland-Garros

Crédit: Getty Images

Les lieux ont-ils une âme ? Certains endroits, tout dépourvus de vie qu'ils sont, laissent filtrer des sensations et des émotions quand d'autres laissent indifférents. Ils ont une mémoire, à n'en pas douter, celle que leur confère le passage du temps et des hommes. Mémoire individuelle ou collective, où la projection des souvenirs de chacun forge la personnalité du lieu. Comme si notre propre vécu finissait par transpirer à travers les murs. Nous avons tous ressenti cela un jour. Dans une maison, une église, un théâtre, peu importe. Ou même un stade.
Prenez Roland-Garros. Sous l'ombre imposante du court Philippe-Chatrier, duquel le sépare la Place des Mousquetaires, le court numéro un traîne sa bétonisation un peu vieillotte. Je ne l'ai jamais trouvé très beau. Il n'est pas non plus très grand, surtout selon les standards actuels. A sa construction, en 1980, ses 3800 places n'étaient pas ridicules et il était devenu le dauphin du roi Central. Mais assez vite, la direction du tournoi a mesuré que l'écrin de la Porte d'Auteuil souffrait de l'absence d'un véritable Central bis. Ce fut le Lenglen. Dès l'ouverture de celui-ci, au milieu des années 90, le N°1 est donc devenu le troisième court et la cinquième roue du carrosse parisien. Si vous le comparez aux troisièmes courts de Wimbledon, de Flushing Meadows ou de Melbourne Park, il ne soutient pas la comparaison.

"The bull ring"

Mais le court numéro un possède un petit quelque chose indéfinissable qu'on appelle le charme. Indéfinissable, mais pas inexplicable. Les raisons existent. On peut en citer trois. Sa géométrie, d'abord. Sa forme ronde lui donne des allures d'arène. Les anglophones le surnomment d'ailleurs "The bull ring". L'anneau aux taureaux. Ce fut son involontaire chance. Car lors de sa construction, ce choix n'a été dicté que par une contrainte spatiale. Déjà. Un stade plus classique, plus rectangulaire, n'était pas envisageable sans encombrer de façon insupportable les allées de Roland-Garros autour du Central. Or, si cela n'a l'air de rien, l'aspect circulaire des tribunes joue beaucoup dans l'atmosphère particulière du court numéro un.
D'autant que le public y est aussi nettement plus proche des joueurs que sur le Central ou le Lenglen et c'est là un autre atout majeur. Sur le Central, et à un degré moindre le Lenglen, la taille du court met à distance non négligeable acteurs et spectateurs. Pas sur le 1. C'est donc une arène intimiste.
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Court N.1 Roland-Garros

Crédit: Getty Images

Et pour couronner le tout, elle bénéficie aussi d'un environnement sensoriel privilégié, qui tient tout autant au son qu'à la lumière. L'acoustique y est formidable. Beaucoup de joueurs vous le diront, le bruit y est "différent", sans pouvoir expliquer plus en détail le pourquoi du comment. Tant mieux. Le plaisir des yeux, lui, est décuplé en fin de journée quand, au crépuscule, le Numéro un demeure baigné de cette lumière du soir aux teintes uniques.
Tout cela fait de ce petit antre, sinon un grand et beau court, un court pas comme les autres. A l'heure des enceintes modernes mais aux allures un peu monomaniaques, sa force tient dans sa forte identité. Il est ainsi devenu un endroit fétiche de beaucoup de spectateurs et de bon nombre de joueurs, aussi. Sa chance, ce fut aussi d'être gâté par les évènements. Année après année, dès les 80's, des pages fameuses s'y sont écrites. Matches de folie à rallonge, ambiances de feu, scénarios improbables et découpages de tête, le N.1 est vite the a "place to be". Il s'est notamment taillé une réputation de cimetière des éléphants de Roland-Garros, semblable au Court 2 de Wimbledon.

Des souvenirs mémorables

Comme tous ceux d'entre vous qui ont arpenté Roland-Garros, j'ai beaucoup de souvenirs de ce court, vécus en tribunes. En voici quatre, spontanément sortis de ma mémoire, qui ont marqué l'enfant passionné que j'étais ou le simple observateur que je suis. Il y en a sans aucun doute des tas d'autres, et je prendrai plaisir à lire les vôtres. Mais à eux quatre, ils impliquent à peu près les éléments évoqués ci-dessous.
1986 : Mats Wilander, tenant du titre, est torpillé en trois petits sets par un Soviétique nommé Andrei Chesnokov, que tout le monde a découvert ce jour-là. En tout cas moi, du haut de mes 10 ans. Pas un grand match, ça non, mais une énorme surprise, symbolique du côté "enterrement des illusions" que l'on a légitimement prêté à l'endroit. C'est la seule fois où, entre 1982 et 1988, Wilander n'a pas figuré dans le dernier carré. Comme j'étais fan de Lendl (personne n'est parfait), ce fut un vrai plaisir pour moi.
2004 : Marat Safin contre Felix Mantilla. Celui-là, je suis sûr que tout le monde s'en souvient. Tous courts confondus, je ne suis pas sûr d'avoir vécu un truc plus improbable et haletant à Roland-Garros. Je n'ai même pas vu la fin de ce match, cette année-là, je n'étais allé à Roland-Garros que ce jour-ci, le jeudi de la première semaine, et la rencontre fut stoppée par la nuit à 7-7 dans le 5e set. Safin finira par gagner 11-9 à la reprise. Quelle atmosphère incroyable ce jeudi soir, et ce point dantesque gagné par Safin, de mémoire peu avant l'interruption. Le Russe le fêtera en baissant son short. Carlos Bernardes lui collera un point de pénalité, à son grand mécontentement... et à celui du public.
2013 : John Isner contre Tommy Haas. Depuis le Lenglen, le N°1 est devenu essentiellement un court de première semaine. A partir des huitièmes, les destins de champions se nouent sur les eux principales enceintes de Roland-Garros. Et même les premiers jours, on y retrouve les diplômés du deuxième rang. Les Nadal, Federer ou Djokovic, par exemple, ne s'y aventurent plus. Mais pendant que ces stars-là plient le plus souvent des rencontres sans grand intérêt en trois petits sets, les matches les plus savoureux des premiers tours ont parfois lieu sur le 1. Cet Haas-Isner en est un parfait exemple.
J'étais en salle de presse du Chatrier en train d'écrire sur je ne sais plus quoi quand Haas et Isner ont commencé à rendre ce deuxième tour complètement dingue. Le N°1 étant à deux pas, je me suis glissé dans les tribunes alors qu'Isner venait de sauver six ou sept balles de match dans le 4e set pour entrainer l'Allemand dans un jeu décisif. C'était en toute fin de journée, sous ce soleil de printemps que l'on aime tant. Surtout sur le N.1, donc. Je n'ai plus bougé. Haas a gagné 10-8 au 5e, à sa 13e balle de match. Ambiance géniale, scénario fou. Tout ce qu'on aime.
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0601 matchpoints Isner Haas

Crédit: Eurosport

2016 : Finale du tournoi juniors. Avec les jeunes, l'ambiance de corrida est encore plus palpable. Pour eux, je pense que le N°1 est le meilleur endroit pour une telle finale. Il n'y a pas le côté théâtral d'un court plus grand qui, sans doute, les bloquerait. Ce jour-là, alors que Serena Williams et Garbine Muguruza s'apprêtaient à rentrer sur le Chatrier pour la finale dames, Geoffrey Blancaneaux décrochait le seul titre qu'un Tricolore soit en mesure de gagner ces temps-ci en simple dans le tennis masculin. Paradoxalement, c'est pourtant sa victime, Felix Auger-Aliassime, de deux ans son cadet, qui m'a laissé l'impression la plus forte. Sur ce court appartenant déjà presque au passé, j'ai peut-être vu l'avenir du tennis.
Le court numéro un vit ses derniers moments. Bientôt, il sera détruit pour laisser la place à une grande place, plus aérée, plus verte et plus agréable que celle des Mousquetaires aujourd'hui. Dans les Serres d'Auteuil, le nouveau troisième court de Roland-Garros sera plus grand et plus moderne que lui. "Vous ne devriez pas être nostalgique du court numéro un, car le nouveau offrira un tout autre spectacle. Il deviendra très vite un monument", a plaidé Bernard Giudicelli, le président de la FFT. Sans doute. Mais avec sa disparition, le court numéro un emportera quand même avec lui de sacrés souvenirs. Et son charme unique.
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