"Majesté, il n'y a pas de second!"

Objet de toutes les outrances, de la démesure et de collisions d'egos surdimensionnés, la Coupe de l'America regorge d'anecdotes et de dialogues savoureux, comme celui entre la reine Victoria et l'un de ses officiers lors de la régate historique de 1851.

La scène -rapportée par Daniel Gilles dans son livre sur la Coupe de l'America (Gallimard)- se passe le 22 août à bord du yacht royal Victoria-and-Albert, au large de Cowes, la Mecque du yachting britannique sur l'île de Wight.

Quinze des plus beaux yachts anglais ont pris le départ à 10h00 de la Coupe de la Reine, un tour complet de l'île dans le sens des aiguilles d'une montre.

Une goélette yankee d'une trentaine de mètres dessinée par George Steers, l'America, est venue se mesurer à la fine fleur du yachting de Sa Majesté, mais personne ne lui accorde beaucoup de chances de l'emporter.

Partie avec quelques secondes de retard, elle rattrape pourtant assez rapidement les premiers bateaux et prend la tête au large de Ventnor, au sud de l'île, pour ne plus la quitter.

Sur le Victoria-and-Albert, la Reine s'impatiente. La nuit approche et, à terre, les milliers de spectateurs commencent à se disperser. Soudain, un gréement de goélette se distingue dans l'obscurité.

La Reine interpelle l'un des membres de l'équipage: "Dites-moi, +signal master+ (officier de transmission), les yachts sont-ils en vue?"

"Oui, Votre Majesté"

"Quel est le premier?"

"L'America, Votre Majesté".

"Et le second?"

"Ah, Votre Majesté, il n'y a pas de second!", répond l'homme, consterné.

Trop loin sur l'horizon, les premiers yachts anglais étaient invisibles dans la pénombre.

A 20h37 ce jour là, le canon du Royal Yacht Squadron de Cowes tonne pour annoncer la victoire historique de la goélette America. Le premier voilier anglais, l'Aurora, terminera la course à 20h58.

En Angleterre, cette défaite fut vécue comme une humiliation et les Britanniques ne l'ont jamais effacée.

Quant à l'échange entre la Reine et son officier de transmission, il fait aujourd'hui partie de la légende de la "Cup", plus vieux trophée sportif au monde.

heg/sk