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Pourquoi la barre des 2 heures reste un mirage pour les marathoniens

Gabriel Baldi

Mis à jour 19/10/2022 à 14:43 GMT+2

MARATHON - Le 25 septembre dernier à Berlin, Eliud Khipoge a battu son propre record du monde. Un petit pas pour le Kényan hors-normes qui a pointé à l'arrivée en 2h01'9. Jusqu'à imaginer aujourd'hui passer les 42,195 kilomètres en moins de deux heures. Mais la mythique barre semble toujours inatteignable, malgré le développement des chaussures, et l'optimisation du corps des athlètes.

En marathon, la barre des deux heures semble toujours infranchissable.

Crédit: Quentin Guichard

Passer sous les 10 secondes sur 100 mètres, s'élever à plus de 6 mètres en saut à la perche ou encore atteindre les 9000 points sacrés en décathlon. Autant de barres mythiques qui sont devenues le but dans la carrière de nombreux athlètes pour finalement être dépassées. En marathon, la barre des deux heures, malgré les tentatives, reste toujours infranchissable. Mais pour combien de temps encore ?
Il y a moins d'un mois, le 25 septembre dernier, Eliud Kipchoge passe la ligne d'arrivée du marathon de Berlin en 2h01'9. Il bat le record du monde qui lui appartenait (2h01'39) de trente secondes. Un record plus que phénoménal pour le Kenyan pourtant âgé de 37 ans. "Là, il m'a beaucoup surpris, , je ne le pensais pas capable de faire mieux. Il rend l'impossible accessible", raconte Jean-Claude Vollmer, entraîneur et responsable du haut-niveau à l'INSEP.
Kipchoge, qui détient quatre des dix meilleurs chronos de tous les temps, a de nouveau fait rêver la planète. Pourtant, ses 42,195 kilomètres de Berlin ne sont pas totalement parfaits. "Il part un peu trop vite, s'il arrive moins vite à la moitié du parcours, il fait mieux", analyse le marathonien français Yohan Durand. D'ici à gagner 1 minute et 10 secondes pour passer en moins de deux heures ? "Vous imaginez, ce serait l'équivalant pour Bolt de faire 9"35 sur 100m. Il est certain que je ne verrai pas ça de mon vivant", lance Vollmer. Mais suffisant pour entretenir l'espoir de faire mieux. "Il y a encore 5-6 ans, c'était inimaginable de penser qu'un athlète puisse courir aussi vite aussi longtemps", ajoute Durand.
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En marathon, la barre des deux heures semble toujours infranchissable.

Crédit: Quentin Guichard

Le corps à son apogée

Apparue aux premiers Jeux Olympiques de l'ère moderne, à Athènes en 1896, la discipline du marathon a tardé à progresser. Il a notamment fallu attendre les années 50 pour voir un athlète passer sous la barre des 2 heures et 20 minutes. "Le sport faisait peur par sa distance mais il s'est démocratisé et les coureurs ont lâché les barrières mentales", ajoute Vollmer. Sur les 70 dernières années, les athlètes ont donc raboté la marque de référence de près de 19 minutes. Une progression qu'ils doivent bien sûr à la tactique mais surtout à l'optimisation de leurs corps. "Il y a eu beaucoup de travail sur l'hydratation, la ventilation et l'optimisation sur le plan physiologique, poursuit l'entraîneur français, mais je pense que ça fait deux décennies que ça se tasse et que l'homme ne peut plus progresser sur ce plan-là".
Eliud Khipchoge, par ses qualités hors-normes, semble parfois même repousser ces barrières physiologiques par sa force mentale qui lui permet, à un mois de ses 38 ans, d'être ne serait-ce que bousculé. "Un être humain est son esprit. Quand votre esprit va bien, vos muscles vont bien. Maintenant, je fais de mon mieux pour convaincre mon esprit que j'ai suivi une formation approfondie. J'en ai assez fait. Mes jambes et mes muscles sont prêts. Et le grand jour, ce sera de mettre en œuvre toutes ces choses", déclarait le double champion olympique avant son record du monde à Berlin.
Alors qu'il apparaissait peut-être moins talentueux que d'autres comme Kenenisa Bekele, Kipchoge est devenu ce qu'il est par un travail acharné. "Mais la tactique principale et de base (courir un bon marathon) est pendant l'entraînement et non pendant la course. Si vous vous entraînez bien, vos tactiques peuvent bien se passer. Si vous vous entraînez à mi-chemin, même avec les meilleures tactiques, vous ne pouvez pas réussir", poursuivait-il. Mais la marge de progression n'est pas éternelle, même avec le développement depuis plusieurs années des appareils connectés permettant aux athlètes d'être attentifs 24h/24 aux besoin de leurs corps.
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On a défié Kipchoge sur 5 km... et voici ce que ça a donné

Des "détails" trop importants

Pour bien comprendre la complexité d'une course de plus de 42 kilomètres, il faut imaginer que le moindre petit détail peut rapidement avoir une incidence sur le chronomètre d'arrivée. Beaucoup de facteurs entrent en compte dans une performance et même pour un athlète légendaire comme Kipchoge, être à l'apogée de sa forme ne suffit pas. "Je ne vais pas courir en dessous de deux heures", répondait aux journaliste le Kényan, lucide, avant le marathon de Berlin où beaucoup de conditions favorables étaient réunies.
D'abord, le choix du parcours est essentiel. "Il faut qu'il soit plat comme à Berlin (ou Kipchoge a battu deux fois le record du monde, NDLR), Londres ou Chicago, et que les conditions climatiques soient favorables, sans vent et sans pluie". Autant de paramètres impossibles à contrôler surtout que certaines dates et heures de marathon sont décidées plusieurs mois voire années à l'avance.
Et même quand les conditions sont ultra-favorables, cela n'est toujours pas suffisant. Le manque de concurrence pour Kipchoge ne le favorise pas dans sa quête d'excellence. Il n'a pas besoin d'aller chercher encore plus loin dans ses retranchements.
Autre facteur indépendant de lui, le rôle des lièvres, fondamental, reste l'un des points importants dans la quête des deux heures. "Il est tellement fort qu'il y a peu de gens qui peuvent l'emmener suffisamment loin. A Berlin, il se retrouve seul au bout de 25km et courir seul jusqu'à la fin c'est très long, croyez-moi. Le problème c'est que des athlètes de sa pointure, il y en a un tous les 50 ans, alors en avoir plusieurs pour servir de lièvres, c'est impossible", explique Yohan Durand.
Preuve la plus marquante de l'importance des lièvres : en 2019, Kipchoge était passé sous les deux heures (1h59'40) mais le record n'a pas été homologué justement car le Kényan avait pu atteindre cette performance grâce à des lièvres qui se sont relayés sans courir l'intégralité de la course.
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Le Français Yohan Durand est candidat aux JO 2024.

Crédit: Imago

La révolution des baskets déjà derrière nous

Le progrès technique lié aux baskets utilisées par les coureurs de marathon a significativement conduit à améliorer les performances. "Je pense que ça m'a permis de gagner deux minutes sur un marathon", estime le Français. Apparues pour la toute première fois en 2016 avec Nike, les chaussures avec des plaques de carbone ont entraîné une véritable révolution pour les coureurs.
De quoi créer une législation spéciale après l'interdiction par World Athletics des chaussures prototypes en compétition. Aujourd'hui, la règle est claire, une seule plaque de carbone est autorisée dans la chaussure et la mousse sous le talon ne doit pas dépasser 40 millimètres. Mais tout cela reste suffisant pour aider les athlètes. "Avec ces chaussures, on fait une économie musculaire très importante, la plaque de carbone va nous renvoyer en avant et la mousse va absorber à la retombée", explique Durand. Mais même si des prototypes restent à l'étude, la révolution a déjà eu lieu et les avancées risquent de stagner pour un moment.
C'est justement sur ce point crucial que pourrait se jouer un futur record. "World Athletics a besoin de records pour médiatiser et faire exister l'athlétisme, ils sont prêts à aller loinpour faire évoluer les règles pour avoir des performances, ajoute Jean Claude Vollmer. Avec la législation actuelle, on pourrait gagner peut être neuf secondes au cours des dix prochaines années". Gagner 9 secondes en dix ans serait donc la barre possiblement atteignable, sous réserve d'avoir un athlète de la trempe de Kipchoge. Pour espérer gagner 30 secondes de plus et passer à 2h00min30s, il faudra "au moins attendre 2050", conclut Vollmer. Alors moins de deux heures, ce n'est pas demain la veille.
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