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Stéphane Caristan : "On est en train de dénaturer ce qui fait la beauté de l'athlétisme"

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 30/09/2020 à 23:08 GMT+2

World Athletics a validé lundi la possibilité de changer des formats de concours dans les plus grandes compétitions. En août, le mode de désignation du vainqueur du concours du saut en longueur à Stockholm en avait fait bondir Christian Taylor. Attaché à l'ADN de l'athlétisme, Stéphane Caristan est aussi très réservé sur la mutation en cours.

Juan Miguel Echevarria lors du concours de saut en longueur des Jeux Panaméricains

Crédit: Getty Images

La nouvelle n'est pas passée inaperçue dans le monde de l'athlétisme. Redoutée par certains, source d'opportunités pour d'autres qui estiment que le sport peut ou doit évoluer, elle n'a laissé personne indifférent. Lundi, World Athletics a officialisé dans son règlement la possibilité de modifier les formats des compétitions dans les plus grands événements, à savoir, championnats du monde ou Jeux olympiques.
Jusqu'à présent, la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) avait pris le soin d'expérimenter de nouvelles formules d'éliminations ou de finales dans des concours, afin de les valider pour l'échelon ultime. Dans un but : conquérir un public plus jeune, plus large, en dramatisant les moments les plus importants.
En août dernier, le meeting de Stockholm avait ainsi sélectionné les trois meilleurs performers après cinq essais au saut en longueur, pour un saut final décidant du vainqueur du concours. Un mode opératoire qui avait fait bondir la star américaine du triple-saut Christian Taylor, et d'autres athlètes de notoriété dans son sillage. Devant cette réforme rampante qui pourrait toucher nombre de disciplines sans que l'on sache encore comment et à quel point, Stéphane Caristan est pour le moins sceptique, car ces nouveautés changeraient assurément l'athlétisme.
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Christian Taylor célèbre son titre sur le triple saut lors des Mondiaux de Doha 2019

Crédit: Getty Images

"Je n'adhère absolument pas !"

"Le format du triple saut que j'ai suivi encore récemment dans un meeting à Doha, est pour moi une aberration, nous a expliqué l'ancien champion d'Europe du 110 mètres haies. On peut voir un athlète battre le record du monde dans les cinq premiers essais, faire 'mordu' dans le dernier et ne pas être classé. Et si les trois derniers athlètes mordent à leurs derniers essais, comment fait-on le classement ?", s'est-il interrogé.
C'est vrai, certains aspects du sport ont peut-être besoin d'être modernisés, mais avec prudence afin de ne pas en faire quelque chose qui ne correspondrait pas à ce qu'il a toujours été. "Je peux comprendre que l'on puisse avoir envie de modifier, même un petit peu, l'attention du public, mais ce n'est pas l'histoire de notre discipline, faite de confrontations et de performances, note le consultant d'Eurosport. Ce n'est pas sur un dernier essai, joué un peu à la loterie en voulant faire prendre des risques à l'athlète - et il en prend suffisamment sur le concours - qu'il faut remettre en question un record du monde ou une grosse performance sur les cinq premiers essais. Et ne pas la valider sur le dernier. Je trouve qu'ils vont trop loin. J'ai vu déjà, dans une compétition en salle, le fait de définir la planche d'impulsion sur une surface assez importante d'un mètre, et qu'on mesurait au pied. On perd là aussi l'essence même de cette discipline de régler ses marques en impulsion à un endroit précis. J'avais déjà été chamboulé de remettre au triple-saut tout sur le dernier essai, quelque soit ce qu'il c'était passé avant. Là, je n'adhère absolument pas ! Ce n'est pas l'essence de la performance et de l'athlétisme."

"Peut-être qu'avec le temps on s'y habituera"

Jouer avec ces formats, c'est finalement jouer avec des carrières qui tiennent parfois à peu. "Dans les meetings, c'est déjà compliqué car les athlètes peuvent perdre de l'argent : c'est leur métier, remarque Stéphane Caristan. On est en train de dénaturer ce qui fait la beauté de l'athlétisme. On a rarement vu un record du monde en demi-finale pas validé en finale. Vouloir faire du sport-spectacle, je ne suis pas certain que ce soit la bonne voie pour aller chercher un autre public. Je ne suis pas un adepte du changement, mais peut-être qu'avec le temps on s'y habituera."
Le progrès fait partie du sport, et sûrement que dans un monde idéal il devrait être seulement à son service. "Je me souviens avoir discuté sur Eurosport d'un faisceau lumineux entre les deux barres au saut à la perche pour mesurer la vraie hauteur d'un saut à la perche, se remémore l'ancien recordman d'Europe. Quand Duplantis fait 6,18m cet hiver, il fait effectivement 6,25m ou 6,27m, et cela aurait été officiel. Mais là encore, on perd la nature du franchissement et d'une barre qui peut tomber. Ça me choquerait moins que de remettre tout sur le dernier essai à la longueur ou au triple saut, et dans les lancers."
Armand Duplantis

"J'ose espérer que les athlètes seront concertés"

La plus grande star actuelle du triple-saut est montée au créneau, sentant les codes qu'il connaissait se muer en quelque chose qu'il n'appréhende pas bien. Mais cette réforme ne compte-elle pas ses supporters, en dehors des institution ? "Peut-être que les jeunes athlètes sont favorables à ça, mais je ne suis pas surpris que Christian Taylor freine des deux pieds sur ce projet", tempère Stéphane Caristan, qui a entrevu que certaines idées pourraient peut-être à l'avenir ouvrir la voie à des courses plus palpitantes, sans les dénaturer. On l'a vu en demi-fond, avec une course à élimination par l'arrière. Ça oblige à relancer à chaque tour. C'est peut-être la solution la moins choquante. Mais on a vu que ça n'a pas duré."
Le fait est que le temps de l'expérimentation n'est pas terminé, et que celui de l'écoute pourrait venir bientôt dans le but de concilier les intérêts de chacun. "J'ose espérer que les athlètes seront concertés, qu'il ne s'agira pas seulement de les informer, remarque Stéphane Caristan. Il est important de mener la réflexion avec des représentants des athlètes, et même tous les athlètes car ce sont eux qui sont sur le terrain. Christian Taylor avait commencé à monter un syndicat des athlètes, et un représentant des athlètes à l'IAAF ne suffira pas. Il faudra le soutien du plus grand nombre."
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