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"C'est Jésus-Christ" : Pascal Donnadieu à Nanterre, les adieux d'une légende

Sebastien Ferreira

Mis à jour 19/05/2024 à 15:18 GMT+2

Après 37 ans à la tête de Nanterre, qu'il a hissé du plus bas niveau départemental au sommet du basket français, Pascal Donnadieu va raccrocher. Entraîneur d'un seul club, il laissera derrière lui un héritage bien au-delà du parquet. L'ancien employé de banque qu'il était n'aurait jamais pu imaginer tout cela.

Pascal Donnadieu (Nanterre) contre l'Asvel en en Elite, le 11 mars 2018

Crédit: Getty Images

Le buzzer a retenti il y a déjà dix minutes. Dégoulinants de sueur, conséquence d'une victoire arrachée face à Cholet (91-87), les joueurs de Nanterre 92 sont au milieu du parquet. Ils lancent le clapping entrecoupé de 3.000 voix au palais des sports Maurice Thorez. "Pascal ! Pascal !" Même les supporters choletais sont venus avec un cadeau. "Ils m'ont offert une bouteille du vin de la région. Ils ont voulu que j'aille les saluer après le match. Ce sont des témoignages touchants", nous confie avec une pointe d'émotion Pascal Donnadieu.
C'était le 3 février. Le 30 avril, ce sont les supporters de Blois qui ont entonné des "Merci Pascal", par pur respect. Épisodes éloquents d'une tournée d'adieux que l'entraîneur a embrassée très timidement, laissant par moments son éternelle rigueur au placard. "Je me suis senti vraiment serein et relâché sur la fin de saison. C'est aussi lié aux victoires. Si on avait été 15 ou 16e, je n'aurais pas été relâché du tout", s'esclaffe Donnadieu. La JSF Nanterre, 5e de Betclic Elite après avoir frôlé la relégation l'an dernier, affrontera Bourg-en-Bresse en playoffs (match 1 ce jeudi 16 mai). "J'en remercie le staff et les joueurs. Me faire vivre une dernière année comme ça, c'est que du bonheur", se réjouit-il.
La dernière de 37 années de bons et loyaux services. Né à Suresnes, commune limitrophe au sud de Nanterre, Pascal Donnadieu n'a rien connu d'autre que les Hauts-de-Seine. Son père, Jean, a joué pour le club nanterrien dès 1953. Il en est devenu le président en 1977. Pascal, biberonné au ballon orange, avait alors 13 ans. Il a commencé à entraîner des enfants à 16 ans, ça lui "plaisait bien". Jusqu'au jour où son père a dissolu l'équipe première. "Il y avait des vieux grognards, ça râlait, des matches avec un peu de tension... L'état d'esprit n'était pas bon. Il a dit : "On arrête ça."", rembobine Pascal Donnadieu. Voilà Nanterre qui repart du plus bas niveau départemental, avec Pascal sur le banc en 1987.

Les matches "folkloriques" en Régional sont loin derrière

Parallèlement, il continue de jouer à Rueil-Malmaison, où il a évolué jusqu'en National 3 (3e division à l'époque). Meneur de poche, vif et adroit, il raccroche en 1991, à 27 ans, après deux ruptures des ligaments croisés du genou. Un classique de sportif lambda qui, la semaine, travaille dans une banque. Il a été embauché par la BNP à l'âge de 17 ans. Entre deux carnets de chèque distribués, Donnadieu entraîne. Et bien. Presque trop. "Généralement, un jeune passe ses diplômes et entraîne ensuite. J'ai fait les choses à l'envers. Mon équipe montait plus vite que moi je n'avais le temps de passer les diplômes !" Une dérogation évite au club quelques sueurs froides.
On est alors loin de l'Euroligue, des flashs qui crépitent face au Real Madrid ou des bouillantes atmosphères à Istanbul. Pour les matches en Régional, "vous traversez parfois l'Île-de-France, relate Donnadieu. On prenait nos voitures. On partait de Maurice-Thorez et on se suivait à cinq-six voitures. Ça arrivait d'en perdre une en route. À l'époque il n'y avait pas les téléphones (rires). Ce sont des souvenirs marrants. Tout le monde se suit, on s'attend au feu." Ça et les arbitres qui ne font pas le déplacement, obligeant des membres du club à officier. "Ça donnait lieu à des matches un peu folkloriques", s'amuse Donnadieu.
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Pascal Donnadieu lors du titre de Nanterre en Coupe de France 2014

Crédit: Getty Images

Et Nanterre, gagne, et Nanterre monte. 11 ascensions et zéro descente. Les secrets de la réussite ? "S'être adapté à chaque fois aux divisions et aux changements de statut des joueurs, pense Donnadieu. J'ai commencé par coacher des copains, puis des joueurs plus référencés, puis des joueurs un peu rémunérés, puis des pros, des étrangers..." En faisant toujours "attention aux hommes". Beaucoup le disent convivial, lui se considère "extrêmement exigeant", souligne que son management était aussi "une marque d'ambition" car "quand vous faites confiance aux joueurs, ils vous le rendent. Je sais que des coaches n'ont pas besoin de cette relation affective et s'en sortent très bien. On a chacun notre personnalité."

"L'électrochoc" face aux grands coaches d'Euroligue

Cet enfant du Mont Valérien, colline représentative du patrimoine altoséquanais, doit encore se pincer pour croire à sa destinée. "Rien que de monter en 4e division, pour nous c'était l'Euroligue, un truc irréaliste." Que dire alors du titre de champion de France 2013 (avec l'avant-dernier budget du championnat), qui lui a justement ouvert les portes de l'Euroligue, la plus prestigieuse ligue au monde derrière la NBA. En juillet vient une réunion annuelle de coaches des clubs qualifiés, à Barcelone. "Là, c'est le petit employé de banque qui se retrouve avec tous les plus grands. Messina, Obradovic... C'est un électrochoc. Vous vous sentez tout petit par rapport à ces monstres du coaching."
Des moments improbables, il y en aura d'autres, comme ces deux victoires face aux États-Unis (Coupe du monde 2019 et JO 2021), en tant qu'assistant de Vincent Collet avec l'équipe de France, faisant déjouer Steve Kerr ou Gregg Popovich. "Vous vous demandez si ce que vous vivez est bien réel", s'ébahit encore aujourd'hui Donnadieu. Ça l'est, comme son héritage à Nanterre. "Tu dis Nanterre à quelqu'un, il va tout de suite penser aux émeutes", brandit Gaétan Charvon, 22 ans, président et capo des Gremlins Spirits, groupe de supporters nanterriens. C'est ici, dans la cité Pablo-Picasso, que résidait Nahel, tué par un policier le 27 juin 2023. "On est une ville qui fout le bordel. Mai 68 aussi pour les plus anciens. Mais Nanterre ce n'est pas que ça du tout", défend Gaétan Charvon.
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Pascal Donnadieu lors de Badalone - Nantarre le 6 novembre 2019

Crédit: Getty Images

Nanterre, ville historiquement communiste, c'est aussi "une politique dynamique en termes de sport", décrit Donnadieu, devenu chargé d'actions basket pour la ville en 1996, délaissant ainsi le milieu de la banque. "J'ai créé ce qu'on appelait des ateliers basket dans toute la ville, se souvient le coach. Ce n'était pas pour des licenciés. On allait au-devant des quartiers et on proposait des activités basket aux jeunes avec des éducateurs." Jusqu'à ce que le professionnalisme rattrape la JSF.
C'est grâce à Donnadieu père, fils et même frère - Frédéric, cadet de Pascal, a pris la relève de son père à la présidence en 2021- que 3.000 personnes se réunissent chaque week-end dans une salle verte et blanche. Pascal Donnadieu, "c'est de l'acabit de Sir Alex Ferguson ou Guy Roux, pour nous c'est Jésus-Christ", s'enflamme Gaétan Charvon. "Victor Wembanyama rend très fier les Nanterriens, mais Pascal Donnadieu rend encore plus fier."

Futur directeur sportif de Nanterre

Sans jamais renier les valeurs. Valérie, la femme de Pascal, paie son abonnement pour assister aux matches. Le président Frédéric et sa compagne aussi. "On a été éduqué comme ça", justifie simplement Pascal. Même après le graal de 2013, il a dépanné deux-trois fois le dimanche pour entraîner ses vieux copains à Rueil-Malmaison. "C'était mon ancien coach de Rueil, Patrick Hervy, qui était leur entraîneur. Des fois il n'était pas là. Ils me disaient 'Tu peux nous coacher ?' C'était mes potes, donc..."
Certains seront peut-être là pour son dernier match à Nanterre dont on ne peut deviner la date, playoffs oblige. Sauf incroyable scénario et un ultime titre de champion, "la dernière devrait être une défaite", imagine Gaétan Charvon, dont le père, qui s'appelle aussi Jean, a côtoyé Pascal Donnadieu à l'école Romain-Rolland. "On sera dégoûté d'avoir perdu, mais juste après je m'en foutrai. L'important ce sera Pascal. Je sais que je vais pleurer, et pas parce qu'on a perdu." La plus récente des tribunes latérales de Maurice-Thorez n'a pas de nom. "Il faudrait peut-être la renommer...", distille le supporter nanterrien.
On lui demande beaucoup pourquoi il arrête, puisque la recette semble encore marcher. Il dit avoir "toujours eu la hantise de faire l'année de trop". C'est évité. Il arrête car ce métier "extrêmement stressant et fatigant" pèse lourd à son âge (60 ans le 29 mai), lui qui file chez l'ostéopathe afin de soigner sa nuque juste après les entraînements. Et car il veut finir avec les JO de Paris 2024, en tant qu'amoureux du sport, "de tous les sports", supporter du FC Nantes depuis l'époque du jeu à la nantaise, qui plus jeune rêvait de devenir journaliste sportif.
Pascal Donnadieu est pudique, il ne veut pas d'hommage excessif. Il y en aura un inévitable, un jour, pour imiter son papa Jean, 81 ans, qui a une plaque à son nom gravée sur un mur derrière un des deux paniers de Maurice-Thorez. Ce ne sera qu'un au revoir, puisque, après avoir passé le flambeau à son assistant Philippe Da Silva, Pascal endossera le costume de directeur sportif. "C'est un poste qu'on n'a pas, explique Donnadieu. De par l'histoire du club, j'endossais un peu toutes les casquettes. Je pense qu'à un moment donné, c'est bien aussi qu'on se structure." Toujours ce sens de l'évolution, de peaufiner les fondations. De penser à l'après, pas pour soi mais pour les autres. Ça fait plus de 40 ans que Nanterre et les Donnadieu fonctionnent comme ça. Jusqu'ici, ça marche plutôt bien.
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