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Un géant nommé Fourcade

Laurent Vergne

Mis à jour 12/02/2018 à 18:01 GMT+1

Il est un des plus grands champions de son époque. Un des sportifs français les plus marquants de tous les temps. Une histoire qui se conjugue au passé, présent et futur. De l'adolescent surdoué mais un peu dilettante au cannibale qui s'est hissé sur les toits du monde et de l'Olympe, plongée au coeur du phénomène Fourcade.

Martin Fourcade

Crédit: Eurosport

Chapitre 1 - L'apprenti champion

Tout ceci aurait pu ne jamais arriver. Tout ce que vous allez lire ici aurait pu ne jamais exister. Les titres olympiques. Les six Coupes du monde. Les globes à la pelle. Les victoires par dizaines. La gloire. Martin Fourcade a failli tourner le dos au biathlon, ce sport dont il est devenu le maître.
A 15 ans, après une année prometteuse au Pôle espoirs de Villard-de-Lans, il décide de tout plaquer pour rentrer chez lui, à Font-Romeu. Au revoir le biathlon, bonjour le triathlon, son nouveau projet.
Thierry Dusserre fut le premier entraîneur des Fourcade, Simon et Martin. Quand le cadet lui a annoncé son intention d'arrêter le biathlon, il a accusé le coup. "Je me souviens de la phrase que je lui avais dit : 'j'espère que tu ne le regretteras pas.' Perdre un athlète de la qualité de Martin, ça m'embêtait. Mais j'étais surtout inquiet pour lui.Au-delà des liens affectifs, j'avais peur qu'il fasse un mauvais choix."
Ce n'est pas tant un désamour de son sport que le mal du pays qui le pousse alors à faire machine arrière. "Il se languissait de ses parents, c'était ça son mal", reprend son premier coach.
Heureusement, ce ne fut qu'un au revoir, pas un adieu. Six mois plus tard, retour dans les Alpes et au biathlon. Avec les idées claires, cette fois. "Quand il est revenu, il était plus motivé, plus mature", juge Thierry Dusserre, soulagé de récupérer sa pépite. Car le technicien l'assure, "au niveau physique, Martin, c'est le cadet le plus fort que j'ai jamais vu arriver."
Le footing qui disait déjà tout
Thierry Dusserre a gardé un souvenir bien précis de sa première rencontre avec Martin Fourcade. Ce dernier était venu rendre visite à son frère Simon au Pôle Espoirs de Villars-de-Lans, qu'il souhaitait intégrer à son tour. "Il devait avoir 14 ans et demi, raconte Dusserre. Je l'ai emmené faire un footing sur les hauteurs de Villard. On a dû faire une heure et quart ensemble et pendant une heure et quart, il n'a pas arrêté de parler. Il posait des questions sur le biathlon, le Pôle espoirs, etc. Tout ça en courant. A l'époque, j'avais encore une forme très correcte et pourtant, j'avais du mal à lui répondre. Lui n'était même pas essoufflé ! Je me suis dit 'celui-là, il a une sacrée caisse'."
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Le jeune Martin Fourcade fait ses gammes en Coupe du monde en 2008.

Crédit: Getty Images

Le diamant est là, mais réclame encore du travail. A 16-17 ans, il ne survole d'ailleurs pas encore les débats. La faute à un certain retard au tir, debout notamment, dû à son semestre consacré au triathlon, mais aussi à une petite tendance à la facilité. Non qu'il fût un tire-au-flanc. Loin de là. Mais il n'était pas encore impliqué à 200%.
Stéphane Bouthiaux est aujourd'hui le patron de l'équipe de France masculine. Au milieu des années 2000, il a pris le relais de Thierry Dusserre pour parfaire la formation de Martin Fourcade au Pôle France de Prémanon. "A cet âge-là, dit-il, il faisait preuve d'un peu de dilettantisme. Il n'était pas fixé sur ce qu'il voulait vraiment faire. Il skiait pour le plaisir et ne se donnait pas clairement les moyens d'exploiter son potentiel, énorme."
"Il avait un petit côté nonchalant, qu'il n'a plus du tout aujourd'hui, renchérit Vincent Defrasne, champion olympique en 2006 et taulier des Bleus quand le Catalan a intégré le groupe en 2008. Il ne montrait pas cette grosse hargne qu'on lui connait. Ce n'était pas encore Attila." Dans son autobiographie parue fin 2017, Fourcade souligne l'importance de Defrasne dans son apprentissage du professionnalisme, indispensable au plus haut niveau. Surtout dans la pratique du tir.
Touché, l'intéressé confirme à demi-mot. "Martin était tout le temps en train de tout commenter, glisse Defrasne. Et ça, ça ne va pas trop avec les exigences de l'entrainement au tir où il faut être dans sa séance. C'est un petit défaut qu'il avait au début. Moi ça m'embêtait, ça embêtait le groupe et surtout ça l'embêtait lui, même s'il ne s'en rendait pas compte. Je lui ai peut-être fait comprendre qu'il ne fallait pas se disperser."
L'élève Fourcade avance donc à son rythme. Chez les Juniors, c'est surtout son pote Jean-Guillaume Béatrix, né en 1988 comme lui, qui flambe. "Martin a reçu un coup de pied au cul lors des Mondiaux juniors de Ruhpolding (NDLR : en 2007), raconte son frère Simon. Il pensait tout gagner mais il s'est pris une grosse claque."
Pour autant, Thierry Dusserre a toujours été convaincu qu'il irait plus haut et plus loin que les autres. Il était programmé pour. "Martin a mis du temps à s'impliquer mais c'est aussi parce qu'il se sentait fort à l'entrainement face à la concurrence, explique-t-il. Puis ce travail à la base, il doit servir pour plus tard, pas chez les Juniors. Je me suis toujours employé à faire en sorte que tout le travail physique que l'on faisait avec Martin porte ses fruits à 20-22 ans."
Le timing sera respecté. Sa toute première expérience en Coupe du monde, à la fin de l'hiver 2008 (il a alors 19 ans), n'est pourtant pas une grande réussite. Lors des finales d'Holmenkollen, Martin termine 61e du sprint, avec un six sur dix au tir ! Dix ans après, Stéphane Bouthiaux en rigole encore : "Lui et Béatrix avaient été sélectionnés après leurs bons résultats aux Mondiaux juniors. On avait fait un brief la veille de la course, en leur demandant de bien rester dans leurs marques, de ne pas chercher à faire quelque chose d'extraordinaire... et ils ont fait complètement l'inverse, tous les deux. Ils ont fait n'importe quoi."
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Martin Fourcade en janvier 2009, lors de sa première saison complète en Coupe du monde.

Crédit: Getty Images

La saison suivante marque sa première campagne complète en Coupe du monde et il affiche des progrès sensibles. Trois Top 10 et une 24e place au classement général final de la Coupe du monde. La chrysalide est prête pour la métamorphose. Elle se produit à l'automne 2009. Le Big bang de Martin Fourcade.
Le groupe France effectue son traditionnel stage de préparation en Suède. Vincent Defrasne, inquiet de ses chronos, déprime un peu. Il s'en ouvre à Stéphane Bouthiaux. "Je ne suis pas bon, pas dans le coup, je ne comprendspas". "En fait, explique le coach, ce n'est pas qu'il n'était pas dans le coup, c'est juste que Martin était énorme. Il a explosé à ce moment-là". Lois Habert, le consultant d'Eurosport, très proche du double champion olympique, se souvient lui aussi de ce stage en forme de décollage définitif :
On faisait un chrono qui servait pour les sélections, un truc important. On était tous à skis en file indienne. Pour nous, ça skiait vite. Un moment, on a vu un mec nous passer par la droite sur du plat. C'était Martin. On s'est dit 'on n'a jamais vu un mec aller aussi vite sur le plat. Il se passe quelque chose.' Tout le monde a pris la mesure de ce que ça pouvait donner. Même lui.
Martin Fourcade ne se retournera plus. Droit devant. "Martin s'est mis au travail assez tard. Mais quand il s'y est mis, il a explosé tout le monde", estime son frère ainé. Début 2010, son potentiel éclate pour de bon. Il y aura les Jeux de Vancouver. Puis un final en trombe en Coupe du monde. Le premier podium, le 13 mars 2010, lors du sprint de Khontiolati.
Le lendemain, lors de la poursuite, il signe sa toute première victoire puis deux autres dans la foulée, à Oslo. Trois victoires d'affilée, pour un jeune de 21 ans n'ayant jamais gagné auparavant, le fait est rarissime. Et le message limpide. En guise de récompense, Martin Fourcade décroche le premier de ses 27 globes de cristal, terminant N.1 mondial en poursuite. La machine à gagner est lancée. Elle ne va plus s'arrêter.

Chapitre 2 : Le dieu de l'Olympe

Le biathlon est de ces sports dont les champions rayonnent d'abord à travers le prisme olympique. L'autobiographie de Martin Fourcade s'intitule "Un rêve d'or et de neige". Pas "de cristal et de neige". On ambitionne de gagner la Coupe du monde. On rêve de devenir champion olympique.
Malgré son effarant palmarès, la carrière du Catalan n'aurait pas la même envergure s'il n'avait conquis l'or olympique. Une médaille d'or aux Jeux, sur la carrière d'un biathlète, c'est un ouragan. Une victoire en Coupe du monde, un simple coup de vent. Champion majuscule, Raphaël Poirée n'a jamais réussi à assouvir son rêve olympique. "Je pense que si vous en parlez avec lui, ça reste une blessure", suggère Thierry Dusserre. Martin Fourcade, lui, ne vieillira pas avec cette cicatrice. Ses deux triomphes à Sotchi, en 2014, ont définitivement éloigné cette plaie potentielle.
La première fois que Fourcade a goûté à l'Olympe, en 2010, ce fut pourtant plus Bonjour tristesse que L'Hymne à la joie. Lors du sprint, course inaugurale des Jeux de Vancouver, il aurait dû hériter d'un dossard dans le premier groupe. 10e mondial, en pleine ascension, le jeune Fourcade, 21 ans, dégouline d'ambition. Mais au moment de récupérer les dossards, surprise : il se retrouve avec le 44.
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La déception de Martin Fourcade lors du sprint de Vancouver en 2010.

Crédit: Getty Images

"Tu t'es bien fait niquer", lui lance son frère. Le staff a souhaité répartir ses forces sur l'ensemble du sprint. Vincent Jay, dossard 6, sera donc le premier Tricolore à s'élancer. On connait la suite. La tempête de neige qui s'abat sur Whistler ruine les chances des deux derniers tiers des concurrents, Fourcade compris. Vincent Jay, auteur d'une course parfaite et béni des anneaux, devient champion olympique à la surprise générale.
Au Canada, Vincent Defrasne était le compagnon de chambrée de Martin Fourcade. Son compagnon d'infortune aussi, sur ce sprint. Il se souvient de la grosse déprime qui a suivi.
On est repartis dégoûtés, surtout parce que c'était le sprint. On ne cramait pas une cartouche mais deux, avec la poursuite. On était dépités, désœuvrés et on se posait plein de questions : est-ce de notre faute ? Celle du staff ? La fatalité ? Aurait-on dû demander un autre dossard ? On était un peu morveux au fond de notre lit à essayer de trouver le sommeil sans y arriver.
Une fois les Jeux passés, l'épisode laissera des traces entre Vincent Jay et Martin Fourcade. Le premier, leader médiatique, va jouir de la lumière irradiant les champions olympiques. Le second, déjà leader sportif, ronge son frein. Une gigantesque incompréhension mutuelle s'installe. Après des mois de non-dits, ils seront proches d'en venir aux mains lors du stage de reprise la saison suivante.
"C'était compliqué, relate Stéphane Bouthiaux. Il y avait un conflit relationnel entre Vincent Jay et les frères Fourcade. Pendant six mois, ça s'est passé dans un climat relativement sain. Puis ça a explosé. On ne pouvait pas attaquer la saison avec un état d'esprit pareil. On leur a donc demandé de s'expliquer." L'abcès sera crevé et leurs trajectoires vont diverger pour de bon, l'irrésistible envol de Martin coïncidant avec la chute de Vincent, qui stoppera sa carrière fin 2012.
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9 décembre 2012 : Vincent Jay stoppe sa carrière à 27 ans. Martin Fourcade , réconcilié avec son coéquipier, rend hommage avec les Bleus au champion olympique de Vancouver.

Crédit: Getty Images

Aujourd'hui, la hache de guerre est enterrée. Martin Fourcade, qui a relaté sans détours cet épisode dans son autobiographie, a pris soin d'appeler Vincent Jay au moment de l'écriture pour le prévenir. "Je lui ai dit, vas-y, fonce", confie Vincent Jay, qui relativise leur différend : "Dans un groupe, il y a des hauts et des bas. Là, il y avait un bas. Mais il n'y a aucune rancune, aucune animosité entre Martin et moi. On a gardé le contact, on s'appelle, il est venu me voir à Val d'Isère. Pour la naissance de ma fille, Martin m'a envoyé un cadeau. Je pense qu'elle sera très fière plus tard."
Pour autant, Vancouver n'aura pas été synonyme que d'amertume pour Martin Fourcade. L'ultime épreuve, la mass start, lui permet de décrocher la médaille d'argent, en dépit de trois fautes au tir. Un exploit, car il n'était encore jamais monté sur un podium en Coupe du monde. "Le sprint m'avait mis un gros coup au moral mais Martin en a fait une force, juge Vincent Defrasne. C'est beau d'avoir su rebondir après une telle désillusion. Mais ce n'est pas un hasard." Cette médaille, ce sera le début d'une irrésistible ascension.
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Le 21 février 2010, à Whistler, lors des J.O. de Vancouver, le jeune Martin Fourcade décroche la médaille d'argent sur la mass start.

Crédit: Getty Images

Quand il revient aux Jeux, quatre ans plus tard, Fourcade est devenu le patron du biathlon mondial. A Sotchi, il n'est plus question de découverte ou de podium. "Il avait affiché ses ambitions : au minimum, il voulait un titre olympique", rappelle Bouthiaux. Ce fut d'ailleurs la grande crainte de Thierry Dusserre, alors en charge des filles. "Je ne me suis jamais permis de dire quoi que ce soit, mais j'avais vraiment peur qu'il ait fait une erreur en annonçant haut et fort qu'il voulait l'or et rien d'autre", avoue l'ancien mentor. Mais ça n'a pas affolé Stéphane Bouthiaux : "Martin, la pression, il la boit et c'est tout. Elle glisse sur lui."
Pourtant, une fois encore, le sprint ne lui sourit pas. Il termine à la 6e place. Le héros du jour se nomme Ole Einar Bjoerndalen. 6e médaille d'or olympique à 40 ans pendant que Martin, lui, attend toujours. Mais contrairement à Vancouver, ni déprime ni regrets. "Sur le sprint, il était en-deçà de ses objectifs, mais il n'y a eu ni doute ni remise en question, se souvient Stéphane Bouthiaux. Ça ne l'a pas fait tergiverser sur ses capacités."
Sûr de lui, Fourcade sait que son heure va finir par venir. Le jour de la poursuite, le clan tricolore a vite compris que le titre serait au rendez-vous, à l'image de Stéphane Bouthiaux : "Il a pris le départ de la poursuite le mors au dent. Il n'a pas mis 500m à revenir sur la tête de course. Il était tellement déterminé qu'il ne pouvait rien lui arriver." Lorsqu'il se présente au dernier tir debout, le Catalan est seul devant, sa carabine et son destin en mains. Un sans-faute, et la messe sera dite. Il blanchit les cibles les unes après les autres, jusqu'à la cinquième. Poing brandi vers l'entraîneur du tir Siegfried Mazet, il peut déjà savourer.
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L'instant où Martin Fourcade sait qu'il va devenir champion olympique : après son sans-faute au dernier tir, il repart seul en tête.

Crédit: Getty Images

Dans la dernière boucle, Martin vit alors un moment très spécial. Au sommet de la dernière bosse, il aperçoit Thierry Dusserre. Au moment de s'inscrire dans la légende, il mesure sans doute le chemin parcouru. "Il me regarde, il avait un grand sourire et moi aussi. C'est le plus beau jour de ma vie d'entraîneur, je m'en souviendrai toujours", avoue le coach de l'adolescence, encore ému. Comme la vie est parfois bien faite, Fourcade va savourer son bonheur jusqu'au bout, car s'il décroche l'or, son pote Jean-Guillaume Béatrix s'offre une superbe médaille de bronze.
Sa quête n'est pas achevée pour autant. Malgré 48 heures de sollicitations et de fatigue, il va remettre ça avec une nouvelle médaille d'or sur l'individuelle, le jour de l'anniversaire de sa compagne, Hélène. Double ration de bonheur. Puis il manquera d'un rien un hallucinant triplé avec la mass start. Coiffé sur la ligne d'arrivée par son grand rival Emil Svendsen après un épique mano a mano, le Français n'égalera pas Jean-Claude Killy, triple champion olympique à Grenoble en 1968. Pour trois "putains de centimètres". "Il n'y a qu'Emil qui pouvait me faire ça", écrit-il.
Reste qu'avec deux titres et trois médailles, Sotchi a été une totale réussite. Martin Fourcade a définitivement changé de dimension pour transcender sa discipline. Surtout, il a été fidèle au rendez-vous qu'il avait lui-même fixé. "Il a atteint son objectif et j'étais vraiment soulagé pour lui, avoue Thierry Dusserre. Il aurait pu ne jamais être champion olympique et il aurait quand même tout mon respect. Mais il l'a fait." Il était grand comme le monde, le voilà aussi haut que l'Olympe.
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Sotchi 2014 : Emil Svendsen devance Martin Fourcade d'un souffle lors de la mass start.

Crédit: Getty Images

Chapitre 3 : Le cannibale

Déceler un potentiel, c'est un art. La force de l'habitude ne trompe pas. Thierry Dusserre comme Stéphane Bouthiaux ont vite été convaincus de tenir un futur crack. Mais comme le dit justement Lois Habert, "il y a une énorme différence entre un mec qui va faire des Top 10 régulièrement et un mec qui gagne tous les week-ends depuis sept ans comme le fait Martin". Le biathlon français espérait tenir en Fourcade le successeur de Raphaël Poirée, octuple champion du monde et quadruple vainqueur de la Coupe du monde. Mais personne n'osait imaginer qu'il puisse aller encore plus haut.
Le "tournant" de sa carrière, comme il le dit lui-même, il le situe le soir même de son accrochage avec Vincent Jay fin 2010, lors d'une réunion avec Stéphane Bouthiaux et Siegfried Mazet. Invité par ses coaches à déterminer clairement ses ambitions, il n'hésite pas. "Pour la première fois, je me confie à eux sans retenue, raconte-t-il dans son autobiographie. Je sens qu'ils me comprennent. Je leur dis ce que j'ai en tête : gagner la Coupe du monde." Il mettra 18 mois à accéder à ce Graal. Au printemps 2012, Fourcade décroche son premier globe de cristal après un final tendu avec Svendsen.
Roi du monde, il n'aurait pourtant jamais imaginé étendre son règne sur (au moins) six années. "Le sacre m'avait épuisé, avoue-t-il. (...) A la fin de cette saison, je me suis dit 'plus jamais, c'était trop dur !'. Après cette première, j'étais convaincu que je n'avais pas les moyens mentaux et physiques de récidiver." Napoléon perçait déjà sous Bonaparte, mais il l'ignorait encore.
Alors, comment est-il devenu ce cannibale, ce Merckx du biathlon ne laissant rien ou presque à la concurrence ? En progressant, tout simplement. "Il avait 23 ans et ce n'était pas encore l'athlète complet qu'il est aujourd'hui, juge Stéphane Bouthiaux. Il était un peu moins fiable au niveau du tir aussi. Mais même physiquement, il était encore en maturation. A partir de 2013, il a encore franchi un cap, avec une régularité qu'il n'avait encore jamais eue. C'est comme ça qu'il s'est placé au-dessus de ses rivaux qui lui donnaient encore beaucoup de fil à retordre en 2012 et qui l'avaient obligé à dépenser autant d'énergie pour gagner le gros globe."
Leader or not leader ?
Martin Fourcade est un patron. Une star, aussi, à sa manière. Mais a-t-il une âme de leader ? "C'est un leader de par ses résultats, clairement, mais ce n'est pas forcément quelqu'un qui aime mener ses coéquipiers", décrypte Stéphane Bouthiaux. Pour l'entraîneur des Bleus, c'est une question de caractère : "Il n'a pas ce tempérament de leader. Je ne suis pas convaincu que ça l'intéresse tellement. On en a eu d'autres qui étaient davantage dans ce rôle, comme Alexis Bœuf à une certaine époque, comme Vincent Defrasne pouvait l'être."
Mais il y a autre chose, qui tient à la quintessence même du personnage. Martin Fourcade est un obsédé de la victoire. Un compétiteur hors normes. Il le raconte dans son livre, déjà gamin, ramener une bonne note de l'école ne le comblait pas si ce n'était pas la meilleure de sa classe. Des bancs de la communale aux pistes, l'idée est restée la même : être performant, c'est bien. Etre le meilleur, c'est mieux. "Dans la vie, souffle Lois Habert, c'est un mec hyper agréable. Il pense aux autres, il est généreux, souriant, partant pour tout. Mais une fois qu'il a un dossard sur le dos, il n'y a plus d'amis, c'est un enfoiré." Ne vous y trompez pas, dans la bouche de son ami, c'est un compliment.
Lois Habert cite un exemple pour illustrer cet aspect du personnage : "Au Grand-Bornand, il y a quatre ans, un mec lui marche trois fois sur le bâton, sans le faire exprès. Ce n'est pas agréable et à la troisième fois, Martin a pété un câble, il s'est retourné, il lui a cassé le bâton. Il n'y a qu'un dossard qui peut lui faire faire ça. Il se métamorphose. Il veut gagner plus que tout, rien ne doit se mettre sur son chemin."
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Deux hommes qui ont beaucoup compté dans la carrière de Fourcade : Siegfried Mazet (à gauche), ancien entraîneur du tir, et Stéphane Bouthiaux.

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Son extraordinaire moteur et sa soif inépuisable de victoire ont transformé le meilleur biathlète du monde qu'il était en 2012 en une inextinguible machine à gagner. Mais le mot qui le définit le mieux, c'est "maîtrise". Martin Fourcade maitrise tout. Tout le temps. Le secret de l'amplitude temporelle de sa domination. "Même après sept années, relance Lois Habert, il continue d'organiser sa vie pour être performant. Ce n'est pas simple, car il a une femme et deux enfants désormais. Mais il parvient à tout harmoniser."
Pour autant, il n'est pas une machine. Il lui arrive de passer au travers, même si le fait est aussi rare qu'un Ours dans le Sahara. Mais, même là, il reste "performant". Vincent Defrasne, qui a couru à la fois avec Raphaël Poirée et Martin Fourcade, esquisse ainsi ce qui sépare peut-être ces deux champions d'exception. "Ce qui faisait avancer Raph, c'était la rage de vaincre. Mais quand il perdait, c'était presque un drame personnel. Martin a tout autant envie de gagner mais il est plus mesuré dans l'échec. Il est piqué dans son orgueil, mais c'est moins viscéral."
Même quand il ne gagne pas, Fourcade demeure le meilleur. C'est aussi cela, la force du cannibale.
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Du cristal et du métal, ou le résumé de la carrière du Catalan.

Crédit: Eurosport

Chapitre 4 – Le frangin

Martin Fourcade parle peu des siens. De sa compagne, de ses enfants, de sa famille. "Nous sommes déjà suffisamment exposés pour ne pas en rajouter", aime-t-il répéter. Mais impossible d'évoquer sa carrière sans se pencher sur sa relation avec l'un de ses deux frères, Simon. Les deux premiers chapitres de son autobiographie s'intitulent d'ailleurs "La fratrie" et "Sur les traces de mon idole". Tout sauf un hasard.
Simon occupe une place majeure dans la carrière de Martin. Et vice versa. Pour le meilleur. Le pire, aussi. Une relation forte, complexe, où se mêlent amour, admiration, mais aussi rivalité, jalousie et conflit. Leur histoire commune, c'est celle d'une ambition qui nait et en éteint une autre.
Martin (au premier plan) et Simon Fourcade (Photo de Simon Fourcade)
Martin (au premier plan) et Simon Fourcade au temps de l'enfance (Photo de Simon Fourcade)
Chez les Fourcade, tout a pourtant longtemps été clair : le champion, c'était Simon. "Mon frère était mon idole, avoue Martin, de quatre ans son cadet. Je n'envisageais même pas de pouvoir me mesurer à lui." Tout destine Simon à devenir un très grand. "Depuis tout jeune, nous confie-t-il, j'avais un statut de leader. J'étais LE junior français qui montait. Et j'étais bien dans ce rôle. Je ne me posais pas de questions. J'étais serein, confiant."
Aujourd'hui, à bientôt 34 ans, Simon est dans l'antichambre du sépulcre. Sa carrière est derrière lui et elle est tout sauf déshonorante. Une médaille d'argent aux Championnats du monde, un petit globe de cristal sur le 20km en 2012, un Top 5 au général cette même année... Beaucoup signeraient pour un CV pareil. Sauf qu'il aspirait à autre chose. "Je n'ai jamais eu comme ambition d'être un biathlète lambda, avoue l'ainé. Je voulais marquer l'histoire de mon sport. Mes années juniors m'avaient donné cet espoir. J'avais tout pour y arriver."
L'histoire du biathlon, c'est Martin qui va l'écrire. Pas Simon. La bascule s'opère à Vancouver en 2010. Lorsqu'il débarque au Canada, Simon est numéro un mondial. A 25 ans, ces Jeux doivent le consacrer. "J'arrive avec le dossard jaune, en tant que leader de l'équipe de France. Et je m'effondre complètement", soupire-t-il. Martin, lui, décolle, en décrochant l'argent lors de la mass start, la toute dernière épreuve. Dans l'aire d'arrivée, il étreint son grand frère. "C'est toi qui aurais dû avoir cette médaille", lui glisse-t-il. Simon est en pleurs. Leur destin vient de se sceller.
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Vancouver, 2010, entre bonheur et déchirure. Martin Fourcade vient de décrocher la médaille d'argent de la mass start. Il réconforte son frère ainé, passé totalement à côté de ses Jeux.

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C'est un chemin de croix qui débute pour Simon Fourcade, qui doit encaisser deux coups de poing. Un en pleine gueule, l'autre en plein cœur. Non seulement il ne serait pas le roi du biathlon mondial, mais cette place tant désirée, c'est son frangin qui allait se l'accaparer. Dans son irrésistible ascension, Martin a tout soufflé, jusqu'aux rêves de son frère. "Quand ce rêve disparaît et qu'il disparaît à cause de son frère, de son petit frère en plus, c'est encore plus dur à accepter" avoue Simon.
La brutalité du constat se double en prime d'une injustice. En tout cas elle a été vécue comme telle. Car Simon a bossé comme un chien. Lui, le forçat de travail, méritait plus que n'importe qui d'atteindre les sommets. "Martin a cassé tous mes schémas, explique-t-il. Pour moi, si je travaillais plus que tout le monde, je deviendrais le meilleur. Sauf que dans le sport, le talent joue aussi un rôle important. Il y a une part de chance. Martin est un gros bosseur. Mais c'est aussi un très gros talent." "Dire la vérité peut parfois faire de la peine mais, oui, Martin avait un potentiel plus important que son frère", assure Thierry Dusserre, leur premier entraineur, qui les a connus tous les deux très jeunes.
A partir du printemps 2010, les relations entre les frères Fourcade vont se tendre. Simon n'est pas prêt à faire le deuil de ses rêves de grandeur. "J'avais compris qu'il allait être meilleur que moi mais je ne l'avais pas accepté", dit-il. Alors, oui, "il y avait de la jalousie, c'est sûr". Il s'égare dans un combat vain, absurde, mais plus fort que lui : "Pendant un an et demi, deux ans, je ne me comparais plus qu'à lui. Je faisais une fixation sur Martin. Le reste n'existait plus. Je battais Martin, j'étais content. Je me fichais de finir 7e. Si je finissais devant lui, j'étais heureux."
Simon évoque aussi un réveillon de Noël "glacial" où les deux frères sont "comme deux bouledogues". "On ne s'est pas foutu sur la gueule mais c'était un moment très froid. Ça n'a pas plu à ma mère. Elle est très famille. Et c'était compliqué de voir ses enfants se déchirer à cause d'une passion commune." En 2011, son père tente de le raisonner. En vain. "Je n'ai pas voulu l'écouter car je suis une tête de con, lance Simon. Je suis assez têtu. Il n'a pas pris de pincettes. Et moi je n'étais pas prêt à l'entendre."
Pour Martin, la situation a également été délicate à gérer. Lois Habert, très ami avec les frères Fourcade, estime pourtant qu'il a su l'appréhender le moins mal possible : "Simon, c'est quelqu'un d'hyper attachant mais parfois difficile à vivre aussi. Martin a su prendre du recul de temps à autre. Voir son frère pleurer, ça a dû l'attrister, c'était dur, mais sa volonté de faire décoller sa carrière ne pouvait pas être entravée par cela. Et c'est normal, il fallait qu'il pense à lui." "Son mal-être risquait de nous faire couler tous les deux", explique Martin dans son autobiographie. "Tu ne peux rien pour Simon", lui fait alors comprendre l'entraîneur national Stéphane Bouthiaux.
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Entre l'aîné et le cadet, l'incompréhension aura duré deux années

Crédit: Getty Images

Il faudra près de deux années à Simon Fourcade pour faire le deuil de tout ça. Quand il y parviendra, il livrera la meilleure saison de sa carrière, celle qu'il achèvera au 5e rang mondial. Celle de sa médaille d'argent aux Mondiaux de Rupholding, aussi. C'est là, en février 2012, que le lien va se renouer.
La première épreuve, le relais mixte, vire pourtant au cauchemar pour Simon. "Martin me passe le relais en tête et je foire totalement, raconte-t-il. J'étais au fond du seau. J'ai ruminé ça pendant deux jours." 48 heures plus tard, la glace va enfin se briser. "Je suis dans ma cabane avant le sprint, reprend Simon. Je n'avais pas une bonne attitude. Martin est venu me voir alors que c'était un moment important pour lui. Il a pris 30 secondes pour me dire 'allez Simon, débande. Le relais mixte, c'était il y a deux jours. Oublie-le.' On ne se parlait pas trop à l'époque. Et je me suis dit 'arrête de croire qu'il t'en veut. Ce n'est pas contre toi.' "
Dans la foulée, Simon va donc grimper sur son unique podium international à l'occasion de l'individuelle. Ce jour-là, Martin passe au travers au tir, au contraire de son grand frère, qui signe un 19 sur 20. Alors, dans le final, lorsque le hasard des dossards les réunit sur la piste, le cadet se met au service de l'ainé. Simon raconte : "Il me rattrape et quand il me passe, il me dit : 'mets-toi dans mes skis, je te tire.' Après, il allait trop vite pour moi, donc je ne l'ai pas suivi très longtemps." Mais le geste, symbolique, finit d'entériner le réchauffement climatique des Fourcade.
Ce début d'année 2012 consacre définitivement Martin, qui remporte son premier gros globe de cristal et décroche trois titres mondiaux. Mais pour la première fois depuis longtemps, Simon a retrouvé sa place. "Avec cette médaille, j'ai eu l'impression qu'il n'y en avait pas que pour Martin", dit-il.
Après l'orage, est revenu le temps de la complicité. Simon a accepté d'être aux yeux de tous le frère de Martin, quand la hiérarchie de leur enfance laissait augurer du contraire. Il a fini par s'apaiser quand il a compris que son frangin n'était pas meilleur que lui mais "meilleur que tout le monde". Parce qu'il reste le petit frère, Martin ne sera sans doute jamais l'idole pour Simon que ce dernier fut pour lui voilà quinze ans. Mais dans ses mots, le respect et l'admiration ont supplanté l'envie. "Quand on voit ce que fait Martin aujourd'hui, c'est fou : il en est à 18 podiums de suite. Dans toute ma carrière, j'en ai fait 9..."
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Mondiaux 2012 à Ruhpolding : l'heure de la réconciliation entre les frères Fourcade.

Crédit: Getty Images

Chapitre 5 - Le chasseur

Comme le disait Coluche, "mais jusqu'où s'arrêtera-t-il" ? A 29 ans, Martin Fourcade n'a pas encore achevé son œuvre. Mais en l'état, elle présente déjà un caractère exceptionnel. Il a tout gagné, et massivement. A l'échelle de l'histoire, un seul homme peut encore le toiser : Ole Einar Bjoerndalen.
Octuple champion olympique, vingt fois champion du monde (pour 45 médailles au total...) et un total de 95 victoires (dont 67 en Coupe du monde), le Norvégien a longtemps paru intouchable. Mais le biathlon a engendré un autre monstre depuis le début des années 2010.
Statistiquement, le Français n'est pas encore à hauteur de son illustre ainé. Surtout aux Jeux ou aux Mondiaux. En Coupe du monde, s'il a moins gagné, sa régularité inégalable lui a d'ores et déjà permis de remporter autant de fois le gros globe de cristal (6) et même de le dépasser l'hiver dernier au nombre total de globes, grands et petits : 26 contre 25. Sur ce plan, il fait peu de doutes qu'il explosera les compteurs de Bjoerndalen.
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L'hommage de Fourcade à Bjoerndalen après son 6e sacre : "Il reste un modèle"

Alors, peut-il devenir le plus grand biathlète de tous les temps, surpassant même l'indépassable OEB ? Et en a-t-il seulement envie ? Car au fond, qu'est-ce qui fait courir Martin Fourcade ? Pas cette quête absolue de grandeur historique et de records en tout genre en tout cas. "C'est vrai que c'est un peu un truc de journalistes", nous a-t-il confié quand nous l'avons interrogé à ce propos.
Mais, en même temps, selon la formule jupitérienne, difficile d'y rester insensible. A condition de ne pas se tromper de priorité, nuance-t-il :
Je n'ai jamais rêvé d'avoir plus de victoires que Bjoerndalen. Mais en avançant dans ma carrière, ça devient excitant de se rapprocher de ces stats. A partir du moment où on a gagné une Coupe du monde, un titre mondial, un titre olympique, on a besoin de ce genre de petites carottes pour se motiver. C'est dans cette démarche-là que je me plais aujourd'hui, car ça a quelque chose de ludique. Mais je ne cherche pas à être meilleur qu'untel ou untel.
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Le palmarès hors du commun de Martin Fourcade.

Crédit: Eurosport

18, vl'à Fourcade
Le plus bluffant chez Martin Fourcade, c'est peut-être son extraordinaire constance dans la performance. Le Français a établi ces derniers mois un record phénoménal en alignant 18 podiums consécutifs en Coupe du monde. En gros, quand il n'est pas bon, il termine 2e ou 3e... Il faut remonter au 11 mars 2017 et à la poursuite de Kontiolahti pour trouver trace d'une course sans le Catalan parmi les trois premiers. De quoi envisager quelques médailles à Pyeongchang...
Le moyen justifie la fin, en somme. Chasseur malgré lui, Martin Fourcade est en tout cas lancé sur les traces du géant scandinave. Aussi futile soit-elle, cette quête pourrait bien alimenter la dernière partie de sa carrière. La longévité sera un élément-clé. Bjoerndalen a été champion olympique à 40 ans, et a encore décroché une médaille aux Mondiaux l'an dernier, à 43 ans. Heureusement pour lui, Fourcade n'aura pas forcément besoin de prolonger sa carrière aussi loin pour surfer sur de telles hauteurs.
Le plus grand défi, celui qui pourrait immortaliser Martin Fourcade tout en haut de la hiérarchie historique, c'est sans aucun doute d'aller chercher les 95 victoires de Bjoerndalen, tant ce record-là, plus que tout autre, semblait gravé dans le marbre. Mais il n'en manque aujourd'hui "plus que" 26 au Catalan. Au rythme qui est le sien depuis deux ans (10 en 2015-2016, 14, un record, en 2016-2017 et déjà six cet hiver) la chose ne parait plus impossible.
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La 69e victoire de Martin Fourcade lors de la mass start d'Anterselva

Au-delà des aspects comptables, qui isolent clairement Bjoerndalen et Fourcade du commun des mortels, leur legs à leur sport s'inscrit dans une autre dimension. "Ce sont les deux mecs qui ont fait progresser le biathlon mondial, estime ainsi Vincent Defrasne. Martin, avec son degré d'exigence, a montré l'exemple et les autres essaient de suivre. Cette saison, un Johannes Boe parvient à se mettre à son niveau, mais Martin récolte ce qu'il a semé en poussant ses concurrents à se dépasser. Pareil pour Bjoerndalen, même si lui, c'était davantage au niveau technique, avec des nouvelles méthodes sur les skis comme au tir. Mais chacun à sa façon a tiré son sport vers le haut."
Dans ce domaine, Fourcade est bien l'égal de Bjoerndalen. Dans son ascension, il n'entraine pas seulement ses adversaires ou son sport avec lui, mais aussi ceux qui le côtoient au quotidien. Stéphane Bouthiaux en témoigne : "Avec un tel spécimen, on n'agit pas différemment. En revanche, on se doit d'être irréprochables de notre côté. Nous, au niveau du staff, des techniciens, dans notre façon de faire les choses, de préparer les courses, on ne peut pas se permettre d'être moyens. Tout le monde doit être à 100%. Nous lui devons ça."
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Martin Fourcade + Ole Einar Bjoerndalen = 69 médailles aux Championnats du monde et un total de 164 victoires.

Crédit: Eurosport

Chapitre 6 – L'homme de paroles

9 février 2017, Hochfilzen. L'équipe de France décroche la deuxième place du relais mixte des Mondiaux, juste devant la Russie. Sur le podium, Anton Shipulin et Loginov, les stars russes, refusent de serrer la main de Martin Fourcade, accusant le Français d'attitude antisportive en course. Sans piper mot, le Catalan décide alors de s'en aller. Point culminant d'une tension grandissante depuis des semaines.
En réalité, Fourcade est devenu la cible des Russes depuis ses déclarations du mois de janvier. Il avait alors qualifié de "mascarade" les décisions ayant suivi les révélations du rapport McLaren, soupçonnant de dopage 31 biathlètes russes. L'IBU s'était contentée d'annuler une manche de Coupe du monde en Russie. "Je suis fatigué, énervé, saoulé de tout ça, avait clamé le numéro un mondial. Les seuls qui sont punis par ces pseudo-sanctions, ce sont les fans de biathlon en Russie."
Un boycott de la Coupe du monde sera même envisagé mais Martin Fourcade renoncera. "Je ne vais pas me sacrifier pour les autres, je ne suis ni Luther King ni Mandela", dira-t-il. Sans doute pas. Mais il est Martin Fourcade et c'est bien la raison pour laquelle il est monté de façon aussi virulente au créneau. Au risque d'être mal compris. Car son adversaire, c'est le dopage. Pas la Russie. Passionné de sport en général, amoureux de sa discipline, il ne supporte pas de la voir salie par la tricherie ou même le soupçon. "Qu'on touche à son sport, ça l'emmerde", assure Lois Habert.
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Martin Fourcade quitte le podium en pleine cérémonie, énervé par les Russes

En agissant de la sorte, Martin Fourcade se met en danger. "Ça prend de l'énergie et le risque, c'est que ça lui prenne un peu la tête par moments", note Vincent Defrasne. Et au-delà de sa personne, sa parole porte tellement qu'elle n'impacte pas que lui. "C'est compliqué pour toute l'équipe de France parce que les prises de position de Martin et ses actes nous retombent directement dessus", avance Stéphane Bouthiaux.
Mais le patron des Bleus n'en est pas moins à fond derrière son leader : "On est en tous points sur la même ligne. C'est sa manière d'être. Moi, je n'ai pas à lui expliquer ce qu'il doit faire. Je le trouve admirable de ce côté-là."
Admirable car, après tout, il pourrait se contenter d'engranger titres et honneurs sans mettre les mains dans le cambouis. Mais il ne s'y résout pas. Le biathlon est plus important que lui à ses yeux. De par son statut, il se sent une forme de responsabilité. Sa parole compte. Si lui ne monte pas au créneau, qui le fera ? "Il est légitime, juge Defrasne. C'est le meilleur donc c'est très bien qu'il soit ferme là-dessus."
C'est peut-être aussi une façon pour lui de prouver qu'il est plus qu'un simple champion, aussi énorme soit-il. Comme s'il avait touché les limites de sa propre grandeur. C'est en tout cas l'avis de Lois Habert. "Quand Martin est devenu très fort, explique-t-il, il se ne mêlait plus de ce qui se passait autour. Il n'y avait plus que la compétition. Ça faisait sportif un peu plat vu de l'extérieur, type gendre idéal, hyper pro, qui gagne mais dont on n'entend pas parler. Je pense qu'à un moment, il a voulu montrer qu'il avait aussi des choses à dire, qu'il pouvait se positionner sur des sujets importants. Il a envie de donner l'image d'un mec qui sait aussi prendre soin de sa discipline et devenir l'image de son sport."
Pas de méprise pour autant. La nature est ici plus forte que la posture. Car, au fond, c'est simplement le véritable Martin Fourcade qui s'exprime là. "Il est vrai de vrai Martin. Quand il a quelque chose à dire, il le dit", souffle Stéphane Bouthiaux. Et ça a toujours été le cas. A son arrivée chez les Bleus, il fut rapidement affublé d'un surnom qui en dit long : gueule à ressorts. Parce qu'elle était sans cesse ouverte. "Il était toujours à tchatcher, à brailler, glisse Lois Habert, à la fois amusé et affectueux. C'était une grande gueule, super sympa mais grande gueule. Donc il a ça en lui."
L'âge n'y a rien changé. Sa carrière non plus. La gueule est toujours ouverte, le ressort fonctionne à fond. Surtout quand le dopage rôde. Alors il continuera de parler, et si vous n'avez pas fini de le voir, vous n'avez pas non plus fini de l'entendre. Ainsi soit Martin Fourcade, l'homme qui n'a jamais eu peur de dire ce qu'il n'avait pas peur de penser.
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Martin Fourcade s'est imposé en moins d'une décennie comme un des plus grands champions français de tous les temps.

Crédit: Eurosport

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