Boxe - Contre Oleksandr Usyk, Tyson Fury met ses ceintures et sa légende en jeu

Tyson Fury, lorsqu'il s'est présenté sur le ring face à Francis Ngannou le 29 octobre dernier en Arabie Saoudite, sa ceinture mondiale des poids lourds WBC n’était pas en jeu. Seul son honneur et son héritage pour le noble art étaient sur la ligne. Car lorsqu’un pratiquant rompu à l’exercice de la boxe affronte un homme venu du MMA, aussi bon soit-il, la responsabilité du premier est de rendre l'opposition si déséquilibrée. Au point de ridiculiser l’idée de ces “crossovers”.

Sauf que le Camerounais en a décidé autrement. Au troisième round, sur un crochet, Fury a fini sur les fesses. Après quoi, ce dernier a calculé, jaugé ses forces et agi en conséquence pour l’emporter de justesse. De quoi égratigner son aura de boxeur invaincu (34 victoires et un match nul) et faire un peu tache sur le livre de sa légende. Pire encore, son ennemi juré et compatriote Anthony Joshua a écrasé Ngannou quelques mois plus tard avec un K.O terrible au deuxième round. Pas vraiment reluisant pour Fury qui, déjà en 2015, aimait se comparer aux plus illustres de sa discipline, se disant “ le plus charismatique, le plus coloré, le plus controversé depuis Mohamed Ali”.

Alors forcément, contre Oleksandr Usyk, le 17 février à Riyad, la capitale saoudienne, le “Gipsy King” jouera gros. Pour Brahim Asloum, champion olympique (2000) puis champion du monde de boxe anglaise (2007-2009) un voile de doute drape le champion britannique. “Aux yeux du grand public, il a perdu contre Ngannou, parce que personne ne s’attendait à ce qu’il se fasse mettre sur les fesses par un mec du MMA, résume l’ancien boxeur. Fury pensait qu’il allait s’amuser, quand il a été touché, il s’est dit ‘je vais gérer et faire le minimum pour gagner’. Et j’aurais fait pareil ! Mais dans l’image, il a perdu”.

Comment se retirer en tant que légende de son sport quand on vient d’être ébranlé par un homme censé vous servir de punching-ball sous l'œil des caméras du monde entier ? Si Fury avait sous la main l’un de ces “neuralyzers” qu’utilisent les Men in Black pour effacer la mémoire des témoins de leur travail, gageons qu’il l’utiliserait volontiers sur celles et ceux qui ont visionné son dernier combat.

À la place, il a peut-être mieux. Une occasion qui ne s’est pas encore présentée au XXIe siècle : unifier les quatre ceintures de champions des poids lourds. Le dernier à avoir réalisé la prouesse était un certain Lennox Lewis. L’enjeu de la prochaine mise de gants sera simple : estomper les souvenirs de sa piètre performance et livrer une grande prestation face à Usyk. L’occasion est belle. “On attendait pour savoir qui est réellement le plus grand poids lourd de notre génération”, savoure Brahim Asloum.

Mais, Fury plus personnellement, a “beaucoup à jouer”, analyse l’ex-champion olympique. “S’il gagne devant Usyk, il efface ce combat contre Ngannou, dont on ne se souviendra pas vraiment, car le monde de la boxe sait qu’il a gagné. Par contre, s’il perd, on se souviendra que Ngannou a été celui qui a amorcé la fin de carrière”. L’enjeu est donc immense pour le britannique, un gitan bercé dans la culture de la boxe, à qui le statut de légende parle bien plus que celui de champion du monde.

Car pour l’instant, difficile de le mettre aux côtés des plus grands poids lourds de ce sport. “Je ne le mettrai jamais dans un top 10 des poids lourds mondiaux dans l’histoire, juge sévèrement Nicolas Zeisler, fondateur du site Cultureboxe. En tout cas, s'il gagne ce combat (contre Usyk), c'est sûr qu’il s’approche du top 10. Mais ce dont il est victime, c'est l'opposition.”

Il est vrai que la concurrence proposée par la crème de la crème des poids lourds mondiaux n’égale pas le contingent de cracks que l’on pouvait retrouver pendant les années Ali ou Tyson. "De tous les boxeurs que Fury a rencontrés, il y a un seul véritable client, c'est Vladimir Klitschko, assène Nicolas Zeisler. Là, il y a eu un réel passage de témoin contre un type qui a régné pendant 10 ans sur la catégorie". C’est d’ailleurs pour cela que la manière importera tant dans les prochaines sorties du Gipsy King. Histoire d’épaissir son récit personnel, dans un sport où les paillettes et le bagout pèsent leur poids. En revanche, "ce qui est très intéressant dans l'héritage de Tyson Fury, c'est que c'est sans doute le premier super lourd (125 kg) aussi complet, poursuit le fondateur de Cultureboxe. Le plus léger sur ses jambes, le plus imprévisible".

Brahim Asloum abonde dans son sens : "Il ne pourra jamais remplacer un Tyson ou un Ali. Mais ceux qui parlent de la boxe de Fury parlent de sa science de la boxe, il joue bien avec son corps, il pèse avec ses 125 kilos sur ses adversaires… S’il gagne devant Usyk, il fera partie de ceux qu’on cite facilement". Reste à gagner avec la manière, maintenant ou jamais. Car le temps presse.

"Il est engagé sur la pente savonneuse, son dernier combat était très médiocre contre Ngannou, juge Nicolas Zeisler. Après, est-ce que ça vient de l'usure du temps ou d'une mauvaise préparation ?" La question mérite d’être posée. Assiste-t-on au déclin d’un sportif, dont le personnage qu’il a bâti refuse de s’en aller en même temps que sa forme physique ? "En termes d'usure, c'est vrai que c'est compliqué à juger, tout est possible avec Tyson Fury", rappelle le créateur de Cultureboxe.

Car l’homme a connu l’enfer. Entre dépression, tendances suicidaires, obésité et consommation de drogues, il est finalement revenu sur le devant de la scène pour rafler en 2020 un titre mondial qu’il avait perdu. "Mais en même temps, le fait d'avoir interrompu sa carrière, mis à mal son corps et puis son esprit, ça a un prix, tempère Nicolas Zeisler. Ton corps peut te le faire payer et peut-être que c'est quelque chose qui est en train de se passer". Mais sait-on jamais, avec ces champions qui frisent la folie, au sens propre du terme. On ne sait jamais vraiment ce qu’ils ont encore dans le ventre.

L’après comptera aussi. Fury va-t-il s’arrêter à temps et remiser les gants avec un statut ? Pour le créateur de Cultureboxe, rien n’est moins sûr. "Il voudra faire en sorte, surtout si ça se passe bien contre Usyk, de tirer le maximum du reste de sa carrière. Peut-être une revanche si le combat était intéressant." Et ensuite, combat contre Anthony Joshua à Wembley dont les Anglais rêvent ? Après des détours par l’Arabie Saoudite, boxing is coming home ? Un duel redevenu pertinent depuis la victoire impressionnante de Joshua sur Ngannou.

Et puis, il reste difficile de croire que le géant arrêtait la boxe sans ce dernier immense coup d’éclat. D’autant plus que ses démons le guettent, quand il n’est pas soumis à la rigueur d’un camp d’entraînement et à l’adrénaline du combat. L’intéressé jure qu’il veut encore "faire 10 combats" une fois ce week-end passé. Afin de rencontrer Joshua, battre à nouveau Wilder et passer en revue la génération de poids lourds montants. Faut-il croire un homme qui a déjà faussement annoncé sa retraite ?

En tout cas, il sera question d’un savant dosage pour dire non au bon moment. Et Fury a beau se présenter comme un être exceptionnel, il reste un mortel. Et comme tous les autres, la question n’est pas de savoir s’il prend sa retraite, mais quand.