Fury - Usyk II - "Ma souffrance, c'est lui" : comment la revanche magnifie le Noble Art

Vous pouvez l'appeler rematch ou revanche. Peu importe. Quel que soit le terme, ces combats ont bâti la légende de la boxe. Au fil des décennies, le Noble Art a offert tant de duels qui ont laissé une trace indélébile dans l'histoire de ce sport. Joe Louis contre Max Schmeling. Jake LaMotta contre Sugar Ray Robinson. Muhammad Ali contre Joe Frazier.  Sugar Ray Leonard contre Roberto Duran. Mike Tyson contre Evander Holyfield. La liste n'est pas exhaustive. Elle est surtout prestigieuse en attendant sa prochaine ligne. Tyson Fury et Oleksandr Usyk vont l'écrire samedi à Riyad.

Que s'est-il passé depuis sept mois ? Quelles sensations ont pu habiter les deux boxeurs depuis leur premier rendez-vous sur le même ring de la Kingdom Arena. L'Ukrainien avait infligé au Britannique la toute première défaite sa carrière, sur décision partagée, pour devenir le premier champion unifié des poids lourds depuis Lennox Lewis. Le Britannique avait signé cet exploit en 1999 lors d'une revanche mémorable remportée face à Evander Holyfield à Las Vegas, huit mois après un combat qui s'était soldé sur un nul controversé à New York.

Lewis n'avait que ça en tête. C'est quasiment un euphémisme. Il ne pensait à autre chose à aucun moment. C'était le seul moyen pour lui de préparer les retrouvailles avec un boxeur sur le ring. "Chaque jour, je me réveillais en m'entraînant pour cette personne, en me préparant pour elle, en pensant à elle toute la journée. Je prenais cela très au sérieux, racontait-il le mois dernier dans le podcast 5 Live Boxing. Réveillez-vous tous les jours avec sa photo. Collez-la au mur. Et penser à eux tout le temps. C'est une guerre mentale à laquelle vous vous livrez."

Tous les boxeurs n'accrochent pas forcément la photo de cet adversaire qu'ils vont retrouver. Mais ils l'ont tous en tête, comme un besoin vital de mentaliser les aspects aussi multiples qu'indescriptibles d'une revanche. "Il faut que tu aies la haine quand tu rentres sur le ring, enfin pas forcément la haine, c'est autre chose, explique John Dovi, ancien champion de France amateur devenu coach, et consultant sur Eurosport lors des Jeux de Paris 2024. C'est un autre mot. Si tu as la haine, tu n'est pas capable de faire le combat, de mettre en place ta tactique parce que t'es aveuglé. C'est autre chose. La photo, tu personnifies la souffrance. Tu te dis 'c'est lui, ma souffrance c'est lui. Il faut qu'il paie'".

Mais il y a plus encore. Entre deux hommes qui se sont déjà rendus coup pour coup sur un ring, il y a une relation unique à l'heure des retrouvailles. "Quand tu montes sur le ring face à quelqu'un, tu crées un lien, résume John Dovi. Un truc à vie, rare et indéniable, qu'on ne peut pas expliquer. Il y a un fluide, une forme de respect, d'humilité, de reconnaissance... C'est un adversaire, mais en vérité, c'est un partenaire. On ne le comprend pas tout de suite parce qu'on doit se mettre des coups dans la gueule, mais quand c'est terminé et qu'on relativise tout ça, ce sentiment incroyable... C'est toute la beauté de ce sport."

Le respect fait partie intégrante du noble art. Il n'empêche pas d'être compétiteur. Bien au contraire. "Les revanches, les rematches, les trilogies, ce sont toujours des histoires d'hommes, de dignité, d'obsession, décrit Jean-Philippe Lustyk, commentateur télé depuis plusieurs décennies et auteur du Grand livre de la boxe*. Lorsque ça se joue à très peu de choses, et surtout quand t'es invaincu, c'est obsessionnel. Quand Ali est battu pour la première par Frazier en 1971, ça change tout ! La seule chose qu'il a en tête, c'est de prendre sa revanche et il la prendra deux ans plus tard dans un championnat d'Amérique du Nord. Une première défaite est toujours lourde de conséquences pour des boxeurs qui se pensaient invincibles."

C'est un autre aspect passionnant de la revanche. L'avantage psychologique pour celui qui a gagné le premier opus est relatif. "Ça apporte un peu de confiance, c'est indéniable, explique John Dovi. Mais c'est justement la particularité de notre sport, cette capacité à se remettre en question tout le temps. Tu peux affronter un adversaire une fois, deux fois, trois fois... ce ne sera jamais le même combat. Certaines choses ne changent pas. Il aura la même taille, les mêmes caractéristiques, la même vitesse. Mais il ne faut pas tomber dans cette facilité. En face, il aura travaillé et il sera revanchard. Quand on a perdu un combat, on a soif de revanche, de laver l'affront. Donc le deuxième combat ne sera pas la même. Ce sera plus intense, plus fort."

C'est justement ce que tout le monde attend. Et le trailer, où chacun des deux boxeurs a l'impression de voir l'autre partout où il va, offre une traduction spectaculaire de ce que représente la revanche en général, et pour Fury et Usyk en particulier. "C'est la nature de ce sport, conclut Jean-Philippe Lustyk. C'est l'histoire des duels qui se sont reproduits deux ou trois fois. C'est fascinant sur un plan sportif et médiatique, quand les boxeurs sont proches l'un de l'autre ou quand il y a une opposition de styles. C'est ça la clé. Quand on regarde le trailer... C'est obsessionnel. La bande-annonce est géniale. C'est au niveau du combat, à la hauteur de l'événement. C'est géant." On en salive d'avance.

*Le grand livre de la boxe, par Jean-Philippe Lustyk. Nouvelle édtion augmentée. Editions Marabout