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Jake Paul - Anderson Silva, la petite mort de la boxe ?

Yohann Le Coz

Mis à jour 29/10/2022 à 10:22 GMT+2

BOXE - Jake Paul contre Anderson Silva. Un Youtuber contre un ancien champion de MMA à l'UFC. Voilà la promesse du combat de boxe anglaise de samedi soir. Un joyeux mélange de genres qui est l'occasion pour Silva d'empocher un joli pactole et pour Paul de poursuivre son chemin dans la boxe professionnelle tout en essayant de révolutionner le noble art désormais quelque peu sclérosé.

Jake Paul, trublion de la boxe

Crédit: Getty Images

Ce samedi, Jake Paul, célèbre Youtuber américain (20 millions d'abonnés) va affronter Anderson Silva, le Brésilien ancien champion du monde des poids moyens de l'UFC et véritable légende du MMA, dans un combat de boxe anglaise. Et pour regarder l'événement, même si vous déboursez déjà une fortune en abonnements aux chaînes de sport en tout genre, rien n'y fera. Il faudra sortir de votre poche pas moins de… 60 euros, le prix du "pay-per-view" de la soirée. Et les deux combattants devraient repartir les fouilles bien remplies de plusieurs millions de dollars. Comment en est-on arrivé là ?
Pour bien comprendre, il faut remonter à l'origine du parcours de Jake Paul. Ou plutôt des frères Paul. L'histoire des deux têtes blondes les plus célèbres de YouTube ressemble à s'y méprendre à celle de deux ados américains tout droit sortis d'une mauvaise série. Ils ont deux ans d'écart, sont grands, beaux gosses et musclés puisque, évidemment, ils pratiquent le football américain et la lutte au lycée. Jake Paul a même avoué que durant sa scolarité, il a été un "bully". Traduisez : "J'ai harcelé des élèves moins populaires". Le tableau est complet.

Devenus des monstres d'internet, ils en veulent plus

Un Noël, leur père leur offre une caméra pour filmer quelques sketches à la maison, que les deux bambins d'une dizaine d'années commencent déjà à poster sur YouTube. "Nous avons fait ça, on s'amusait, ça a duré quatre ans, mais nous n'étions pas sérieux" s'était livré Jake en 2016 au blog TV Cleveland.com.
La mayonnaise a mis du temps à prendre, mais ils finissent par devenir ultra-populaires sur la plateforme. Ils y postent quasi quotidiennement, chacun de leur côté, des "vlogs". Ils affichent leur vie toujours plus formidable, des grosses voitures, d'immenses maisons et surtout les clashs (montés de toute pièce ou non, on ne saura jamais) qui les opposent régulièrement. En allant parfois beaucoup trop loin dans le sensationnel, comme en 2018 quand Logan avait filmé un cadavre dans une forêt au Japon pour le buzz, provoquant un véritable tollé.
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Jake Paul

Crédit: Getty Images

Reste que les Paul sont de plus en plus célèbres et ambitieux. Internet ne leur suffit plus et ils comprennent bien vite que leur capacité à susciter l'engouement peut leur ouvrir de nombreuses portes. Ils touchent d'abord un peu au cinéma, sans grand succès. Puis vient l'idée du sport. Notamment des sports de combat, et plus particulièrement de la boxe. Très vite, ils arrivent à organiser des combats très lucratifs, comme celui à venir face au Brésilien Anderson Silva.

Une recette déjà vue…

"Jake Paul c'est un symptôme du cancer qui ronge ce sport, analyse Jean-Charles Bares, commentateur sportif pour Eurosport spécialisé dans la boxe. Il est arrivé à devenir une attraction parce que ce sport en manque aujourd'hui. Ça montre que la boxe n'est plus capable de produire des évènements." En cause notamment, l'intérêt du public dilué dans la multiplication des ceintures de champions, des catégories de poids, des combats sans grands intérêts…
Et puisque c'est dans les vieux pots qu'on fait la meilleure confiture... "Ils utilisent des méthodes qu'ont employées d'autres boxeurs avant eux, comme Floyd Mayweather, poursuit le commentateur. Beaucoup de lumière, de bruit, de provocations…". Finalement, la recette des frères Paul tient à peu d'ingrédients : accumulez une masse de followers prêts à payer pour vous voir combattre, devenez maître du "trashtalk" et jurez publiquement que vous êtes assez bon pour battre telle ou telle célébrité, combattant, influenceur dans les règles du noble art.
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Jake Paul face à Tyrone Woodley

Crédit: Getty Images

Ainsi, l'aîné de la fratrie a obtenu deux combats. Le premier, une défaite à la décision contre le rappeur/YouTuber KSI en novembre 2019. Le second un an et demi plus tard, soldé par un match nul contre… Floyd Mayweather en personne ! Une opposition plusieurs fois qualifiée de "braquage du siècle", puisqu'elle a été moins qualitative que lucrative. Mais à la différence de Logan, Jake, "the Problem Child", a un plus de talent et semble bien plus investi, en termes d'entraînement comme de construction de carrière.
Là où son aîné a affronté une star d'internet puis une légende de la boxe en exhibition, lui, en plus d'avoir mis KO un ancien basketteur, a accumulé six victoires contre des adversaires progressivement plus prestigieux. Toujours avec des bourses dépassant les 500 000 dollars, sans compter les pay-per-view et différents bonus de victoire.
"Il y a des gens qui sont prêts à payer pour voir ça, constate Bares. C'est devenu un spectacle. C'est un sport qui n'a plus de cadre. Pendant des années Mayweather faisait ce qu'il voulait, choisissait ses adversaires, il était dessus de la boxe et dictait ses conditions. Jake Paul c'est la même chose."
La seule différence entre les deux hommes, outre l'insondable profondeur de l'écart de niveau, c'est la construction de leur célébrité et de leur personnage. L'un les a façonnés sur le ring, l'autre sur internet. Et c'est ce qui dérange parfois… ou pas.

…qui fait débat

En tant que grand amateur du noble art, Jean-Charles Bares ne retient pas vraiment ses coups quand il s'agit de donner son avis sur ce genre combat : "Pour les combattants je comprends tout à fait qu'ils aillent prendre un gros chèque en allant affronter Jake Paul. Mais ça devient de l'exhibition, de la mascarade."
A l'image de Ben Askren, ancien champion du Bellator, qui avait touché environ 800 000 dollars selon Forbes pour se faire coucher par le Problem Child. Soit presque la totalité de ses salaires accumulés en MMA professionnel (bonus et sponsoring exclus). "Quand on voit un mec comme Jake Paul avec quelques combats pros engranger des millions de dollars alors que des champions du monde boxent pour des queues de cerise…" grommelle Bares.
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Anderson Silva et son ancien coach, Daniel Woirin (crédits : Daniel Woirin)

Crédit: Eurosport

A l'inverse, Daniel Woirin, ancien entraîneur d'Anderson Silva, le futur adversaire du cadet Paul, pendant ses années MMA, préfère tempérer : "En France on n'a pas le sens du business. Il faut voir le côté mercantile. Le combat va rapporter beaucoup d'argent parce que ce sont des superstars. C'est un spectacle à l'américaine." Et l'entraîneur français de poursuivre : "Anderson aime la boxe anglaise, il a déjà fait des combats, il aime ça et il aime le challenge. Il y a la passion aussi."
C'est la nouvelle génération, on ne peut rien y faire
Le commentateur voit un gamin griller les étapes, sauter le circuit amateur, les galères et "profiter de l'état de la boxe pour faire de l'argent et voler la vedette à des vrais champions". L'entraîneur, presque sous forme de réponse, perçoit une chance pour les combattants de se remplir les poches. "Anderson Silva va peut-être faire plus d'argent que toute sa carrière en MMA, c'est quand même incroyable. Moi je dis pourquoi pas ? C'est la nouvelle génération, on ne peut rien y faire, si le gars est suivi par beaucoup de personnes, il trouvera un combat."
Seul point sur lesquels les deux hommes sont bien d'accord, le vidéaste a beau faire le pitre sur internet, il n'en est pas moins un combattant correct. "Je ne peux pas dire qu'il a un immense talent, mais il est monté sur le ring face à des mecs qui étaient combattants professionnels, respecte tout de même Bares. Ce n'est pas un clown". Du côté de Woirin, l'œil du coach prédit un combat plus difficile que prévu pour l'ancien champion de l'UFC : "Attention, Jake Paul c'est un gars qui s'entraîne tous les jours. Il a les moyens, il s'entraîne avec les meilleurs et il va être prêt physiquement. Techniquement pas au niveau de Silva mais plus jeune et plus costaud."
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Anderson Silva et son ancien coach, Daniel Woirin (crédits : Daniel Woirin)

Crédit: Eurosport

Reste que le décalage entre le battage médiatique du combat et le niveau sportif du boxeur de 25 ans est abyssal. Finalement ce combat, bien que professionnel, a des petits airs d'exhibition. Les gens ne vont pas vraiment payer pour voir de la boxe, mais plutôt en espérant "voir Jake Paul se faire casser la gueule, cingle Jean-Charles Bares, avec le sourire. Que ce petit blondinet, grande gueule, Youtuber, qui s'introduit dans le monde du combat, se fasse casser la gueule".

Tout ça uniquement pour l'argent ?

Et aux yeux de l'intéressé alors, que vaut vraiment ce combat ? Au-delà des billets verts, il ne représente qu'une étape d'un plan bien plus large : "réinventer le sport" selon ses propres mots. Rien que ça. Il y a plusieurs mois, surfant sur la médiatisation que lui apportent ses combats, Jake Paul a lancé la première application dédiée au "micro-pari".
Pas encore disponible en France et seulement sous forme de bêta-test aux Etats-Unis, le système permet de parier en direct sur les micro-événements d'un match ou d'un combat. Exemple fictif avec le tennis : le prochain coup sera-t-il un revers ou un coup droit, le prochain service sera-t-il faute, si oui dans le filet ou hors du carré de service, le retour sera-t-il gagnant ou non… Les possibilités sont quasi-infinies.
Parallèlement, il a créé sa propre émission "BS with Jake Paul". Un talk-show de sport, sur lequel il est accompagné de sa petite amie, de son meilleur ami et de quelques invités prestigieux triés sur le volet (combattants UFC, joueurs NBA…). Le show, disponible sur YouTube, est voué à devenir "la plus grande émission de sport du monde" et vise à réinventer la manière de parler de sport. Et surtout court-circuiter les médias traditionnels où "tout le monde a plus de quarante ans" et où "les journalistes posent toujours les mêmes questions ennuyantes". S'il y a des anglophones parmi vous, on vous laisse vous faire votre avis.
Le but ? Intéresser de nouveau les jeunes au sport avec de nouveaux codes. Notamment en parlant d'athlète (Jake Paul lui-même) à athlète (ses invités), pour "vraiment les comprendre". Habitué à maîtriser sa communication à 100% sur sa chaîne YouTube, devenue un véritable média de masse, Jake Paul a transposé cette maîtrise à une émission sportive qu'il utilise aussi beaucoup pour parler de lui-même. "Je suis la meilleure chose qui soit arrivée à la boxe en un siècle" jure-t-il. Si on peut lui rappeler que sur ce même siècle, Mohamed Ali a combattu, il a au moins le mérite de "souffler sur les braises d'un sport en train de mourir" glisse Jean-Charles Bares. A voir s'il se fera éteindre samedi soir.
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