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Le combat entre Tyson Fury et Deontay Wilder sera-t-il le dernier grand moment de la boxe, supplantée par l'UFC ?

François-Miguel Boudet

Mis à jour 09/10/2021 à 20:33 GMT+2

Dans la nuit de samedi à dimanche (vers 5h30), à Las Vegas, Tyson Fury et Deontay Wilder s’affrontent pour la troisième fois. Vingt mois après la victoire de l’Anglais par KO technique, les deux promettent un combat exceptionnel. Mais cette belle sera-t-elle le dernier grand rendez-vous de la boxe avant de finir dans l’ombre de l’UFC ?

Tyson Fury - Deontay Wilder

Crédit: Getty Images

La boxe a besoin de sagas, de grandes rivalités mâtinées de décisions controversées, de comebacks épiques. C’est certainement ce qui a manqué à Floyd Mayweather Jr pour atteindre la popularité de Manny Pacquiao dont les 4 combats face à Juan Manuel Márquez ont marqué une époque. Ah, si seulement il y avait eu une revanche contre Óscar de la Hoya ! Il n’y a d’ailleurs pas toujours besoin de titre en jeu pour rester dans les mémoires, le regretté Arturo Gatti et Micky Ward en attestent. Chez les lourds, la dernière série emblématique en trois tomes remonte aux affrontements entre Evander Holyfield et Riddick Bowe de 1992 à 1995, "The Real Deal" n’ayant affronté Mike Tyson et Lennox Lewis, dernier à avoir unifié les titres de la catégorie, qu’à deux reprises.
C’est une décision de justice qui a permis d’assister à ce Fury-Wilder troisième du nom. Fury avait en effet signé un super-fight en Arabie Saoudite contre Anthony Joshua prévu le 14 août dernier. Bob Arum (Top Rank, autrement dit Fury) et Eddie Hearn (Matchroom Boxing, Joshua) qui s’associent pour une unification des lourds, c’était le jackpot assuré : 75 millions d'euros garantis pour chaque boxeur ! Mais Wilder a obtenu d’un juge l’activation d’une clause stipulant un troisième combat en cas de défaite. Sous la menace d’une prune de 80M€ en cas de rupture abusive de contrat, Fury a remis le cap sur Vegas. Et comme Joshua a plié il y a deux semaines face à Oleksandr Usyk, ancien roi des lourds-légers monté dans la catégorie reine, le duel fratricide 100% britannique a sérieusement pris du plomb dans l’aile.
Fury-Wilder III est donc un combat attendu, à plus d’un titre. Osons forcer le trait : c’est un rendez-vous avec la boxe, son passé et son avenir.

Un acte I contesté, un acte II sans appel

Tyson Fury et Deontay Wilder, ce sont deux forces de la nature, deux modèles XXL dédiés à la distribution de tartines. Quand on voit sa grande carcasse de 2.06m, difficile d’imaginer que Fury, grand prématuré, ne pesait qu’une livre (453 grammes) à la naissance ! Prénommé Tyson en hommage à "Iron » Mike", le "Gyspy King" est le premier à avoir déboulonné Wladimir Klitschko de son piédestal en 2015. Cette victoire l’a fait sombrer dans une profonde dépression accompagnée d’alcool et de cocaïne pendant près de deux ans. Père de 6 enfants dont la dernière, Athena, née le 8 août, a passé deux semaines en soins intensifs, le colosse est aussi mobile dans le quadrilatère que volubile dans ses punchlines.
Lors des deux premiers combats, il a surclassé Deontay Wilder, troisième des JO 2008 et surnommé "The Bronze Bomber" en référence au "Brown Bomber", Joe Louis. Comme Fury, l’Américain n’est pas le dernier non plus pour le trashtalk. Comme Fury, sa fille nécessite des traitements médicaux. Voilà pour les points communs. Leur boxe n’a en revanche pas grand-chose à voir. Plus frustre techniquement, Wilder dispose d’une droite foudroyante qu’il cherche absolument à placer, quitte à rendre son style rudimentaire. Mais quand elle passe, mieux vaut être équipé d’un paratonnerre de dernière génération !
Les pensées des juges sont souvent impénétrables et, lors du premier combat en 2019, un match nul (un "split draw" : 113-113, 112-114 Fury, 115-111 Wilder) a été signifié alors que Fury avait, de l’avis général, nettement dominé Wilder, même en ayant fait deux voyages au tapis aux 9e et 12e rounds. C’est dire l’écart de classe… Le deuxième combat, en février 2020, n’a souffert d’aucune forme de contestation : Fury a concassé Wilder qui ployait déjà sous le poids de son costume au moment d’entrer sur le ring. Terrassé, le natif d’Alabama a multiplié les excuses : outre son déguisement, son eau, l’arbitre, les gants de Fury et son propre entraîneur ont tous été reconnus coupables de sa défaite.
"J’irai dans ma tombe en croyant à ce que je crois, a ainsi déclaré Wilder lors de la dernière conférence de presse avant la pesée de vendredi. Je sais des choses avec certitude. Beaucoup de choses sont claires à mes yeux et j’en eu la confirmation. Les hommes mentent, les femmes mentent, mais vos yeux ne mentent pas sur ce qu’ils voient". Des allégations qui n’ont pas manqué de faire sourire Fury qui a contré : "il a changé toute son équipe, sa façon de s’entraîner. Mais si je n’ai gagné que parce que j’ai triché, pourquoi tout changer ? Quelqu’un peut-il répondre à cette question ? Je sais qu’il ne le peut pas, il n’a pas le cerveau pour le faire. Au fond de son âme, il sait qu’il a perdu la première fois, la deuxième et qu’il va perdre la troisième fois. Après, il retournera travailler dans cette chaîne de fast-food où il travaillait avant de faire carrière dans la boxe. Jusqu’à la retraite".

Wilder change tout, Fury (trop) sûr de sa force ?

Le deuxième combat, disputé en l’an 1 ante Covid, a en effet provoqué la séparation de Wilder d’avec son coach Mark Breland, après que celui-ci a écourté (à raison) la leçon au MGM Grand pour protéger son boxeur blessé à l’oreille et totalement hagard. C’est désormais Malik Scott, ancien adversaire vaincu en… 1 coup sur un ring de Porto-Rico en 2014 et également ancien sparring partner de Fury, qui a remplacé Breland. Celui qui se surnomme "The Odd Guy" ("le mec bizarre", rapport à ses nombreuses passions qui détonnent dans le milieu, de l’opéra au compte OnlyFans qu’il tient avec sa femme), entraînait jusqu’alors des enfants californiens.
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Tyson Fury, Deontay Wilder

Crédit: Getty Images

Prendre en main les destinées d’une référence des lourds n’est pas chose aisée mais il est convaincu qu’il a fait progresser Wilder. "J'entraîne le puncheur le plus dynamique et le plus dur de l'histoire du sport et il a une boîte à outils pleine d'ustensiles qu'il n'a pas utilisés, estime-t-il. Tyson Fury est un très, très, très bon combattant mais le Deontay Wilder que j'entraîne, il peut en faire le combat le plus facile de sa carrière ou un cauchemar absolu. Tout dépend de Deontay. Il a les compétences, la puissance, l'attitude, l'instinct de tueur". Et histoire de le mettre dans l’ambiance adéquate, Scott a étoffé la culture boxe de Wilder avec le visionnage des classiques du genre : Joe Louis-Max Schmeling, Larry Holmes-Gerry Cooney et plusieurs combats de Mohamed Ali.
Wilder a bénéficié d’un rab de préparation. Initialement prévu le 24 juillet, l’affiche a été reportée de plusieurs semaines car Fury a contracté le coronavirus. De quoi faire les affaires du "Bronze Bomber" : "c’était une bénédiction pour moi. Plus ils retardaient le combat, plus nous avions de temps pour travailler mon art et revoir la stratégie que nous utiliserons".
Suffisant pour venir à bout de Fury ? Pas de l’avis général. Ring Magazine, la référence de la presse pugilistique, a réalisé un sondage auprès de journalistes, d’anciens champions et de promoteurs. Bilan : 19 sur 20 votent Fury. Seule la promotrice Jolene Mizzone propose un avis différent et annonce même un KO à la 7e reprise : "étant donné que cela se déroule près de deux ans après leur revanche, je pense que Wilder n’a fait que s’entraîner et je ne suis pas sûr que Fury en ait fait de même. Fury est peut-être plus faible mentalement que Wilder".
Ancien champion du monde des lourds, David Haye se pose également des questions quant à la préparation du "Gypsy King" : "Personne ne croit que Wilder a une chance mais je ne le vois pas ainsi. Fury ne s’est pas entraîné comme il l’a fait pour le deuxième combat. Il y a eu des rumeurs selon lesquelles le combat était retardé car la préparation ne se passait pas bien. Il n’est arrivé à Vegas que fin septembre. Un camp de 3 semaines pour un combat de cette ampleur ? Peut-être y a-t-il un excès de confiance".
Un argument balayé d’un revers de main par Fury lors d’une interview accordée en début de semaine à Ring Magazine : "J'étais prêt dès la semaine après l'avoir détruit. Je n'ai pas besoin de beaucoup de temps pour préparer un match qui va durer 18 minutes maximum (…) Je vais le battre. Il n’y a pas de secret sur les tactiques que nous allons employer. Je vais l’effacer. Rien de personnel. Vite fait, bien fait".

Dernier rayon de soleil avant la pénombre ?

La boxe compte sur ce Fury-Wilder III, encore plus depuis qu’Usyk, trop méconnu et guère porté sur la chose médiatique, a puni Joshua, beaucoup plus bankable. Elle souffre d’un grave déficit d’intérêt lié au nombre de catégories et de fédérations qui multiplient les titres, les dénominations aussi alambiquées que factices et les arrangements des principaux promoteurs qui protègent d’abord leurs intérêts plutôt que de s’entendre pour proposer des combats sportivement attirants. Lassé, HBO a même jeté l’éponge alors que c’était le canal de référence outre-Atlantique. Pour vendre des événements désormais, il faut que Floyd Mayweather Jr affronte Conor McGregor, que Mike Tyson, Roy Jones Jr et Evander Holyfield rechaussent les gants. Pathétique. Peu importe s’il s’agit de parodies de combat, cela suscite plus de buzz qu’un combat de Canelo Álvarez, Terence Crawford ou Errol Spence Jr.
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Mike Tyson

Crédit: Getty Images

L’arrivée à maturité du MMA a également asséné un sacré coup de vieux au Noble Art. Ancien détenteur de la ceinture WBA World des poids moyens, Hassan N’dam défiera le Kazakh Janibek Alimkhanul à Las Vegas le 5 novembre prochain. Basé à Monaco, il s’est essayé au MMA et a eu un temps pour ambition de défier Jake Paul, frère de Logan qui a récemment "affronté"… Floyd Mayweather Jr, jamais le dernier pour ajouter quelques millions de billets verts sur son compte. Pour le Franco-Camerounais, un fossé s’installe inexorablement entre les deux disciplines.
"La catégorie des lourds fait tenir l’ensemble de la boxe, explique-t-il. Le MMA gagne la bataille de la médiatisation. On s’en aperçoit en France : Francis Ngannou devrait affronter Cyril Gane chez les lourds le 22 janvier 2022, ce n’est pas encore officiel mais on en parle déjà. Si Fury-Wilder et l’unification contre Usyk ne sont pas spectaculaires, la boxe sombrera, au profit du MMA". Pour N’dam, là où le bât blesse, c’est au niveau du service après-vente. Même quand il s’agit de bons clients jamais avares d’amabilités, de personnages au parcours de vie improbables, les promoteurs semblent incapables de… promouvoir leurs athlètes : "l’UFC parvient à mettre constamment ses combattants en valeur car ses dirigeants ont investi dans le secteur de la communication. L’UFC continue son travail de médiatisation même après les combats, ce n’est pas le cas en boxe. Car si l’aspect sportif est important, ce qu’il y a autour est tout aussi capital".
Après des années de domination sans partage des frères Vitali et Wladimir Klitschko, à la fois grâce à leur talent mais aussi à cause de la faible opposition de l’époque, les multiples reports du combat du siècle entre Mayweather Jr et Pacquiao qui ont abouti à un sommet sans saveur, les fans ont besoin de grands rendez-vous emblématiques. Sans catégorie reine, point de salut. Le renouveau des lourds est-il déjà à son crépuscule et toute la "sweet science" dans son sillage ?
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