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Le prodige, graine de champion à faire éclore

Benoît Vittek

Mis à jour 10/10/2019 à 10:13 GMT+2

DOSSIER JEUNES (2/3) - Les exploits de Bernal ou Evenepoel ne suffisent pas à banaliser l'exceptionnel : tirer le meilleur d'un jeune prometteur reste un exercice périlleux, entre développement physique et psychologique. Il existe plusieurs façons de favoriser l'épanouissement de ces stars en devenir. Des approches globales qui ne doivent pas faire fi des spécificités des champions en herbe.

Remco Evenepoel, vainqueur de la 2e étape du Tour de Belgique - 13/06/2019

Crédit: Getty Images

"Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années". Rodrigue, dans Le Cid, de Pierre Corneille (1637). "Qu’Evenepoel soit si jeune n’est pas le plus important. Je roulais aussi fort à 19 ans qu’à 23 ans.” Roger De Vlaeminck, interrogé par Het Nieuwsblad (2019). À quatre siècles d’écart, le dramaturge français et le champion cycliste belge mettent leurs mots sur une réalité incarnée en 2019 par les prodiges venus imposer leur talent au peloton cycliste.
Ces derniers jours encore, Quinn Simmons, 18 ans, s’est engagé sur la même voie que celle empruntée par Remco Evenepoel il y a un an : direction le World Tour dans la foulée de son titre de champion du monde Junior (il rejoint la Trek-Segafredo de Mads Pedersen), plutôt que de faire des gammes imposées dans la classe Espoirs. Leur âge détonne dans les pelotons, mais à quoi bon attendre s’ils sont prêts ?
Les premiers tours de roue professionnels de Simmons, attendus dès janvier sur le Tour Down Under, montreront si l’Américain peut déjà affronter le monde des grands. Ou si son parcours viendra rappeler une autre réalité : le talent n’attend pas les années, certes, mais un jeune espoir n’a pas nécessairement toutes les clefs en main pour s’exprimer au milieu de ses aînés.
Simmons, Evenepoel, mais aussi Bernal, Pogacar ou Gaudu : tous les prodiges du moment restent de jeunes champions que leurs équipes s’efforcent de couver, avec la part d’incertitude que leur jeunesse amène dans l’équation.

Pogacar ne devait pas faire la Vuelta...

Pour commencer, tous les prodiges ne sont pas aussi pressés. Vainqueur du Tour de l’Avenir en 2018, néo-pro en 2019, Tadej Pogacar ne devait pas disputer son premier Grand Tour avant 2020. Immédiatement opérationnel au plus haut niveau, il s’est imposé dans l’équipe UAE pour la Vuelta, sur laquelle sa précocité a fait des merveilles (3e du général, trois étapes remportées). Le Slovène sera rejoint l’an prochain dans l’équipe émiratie par Brandon McNulty, son aîné de quelques mois, qui a préféré temporiser avant de rejoindre le World Tour, malgré différentes offres il y a un an, et notamment de la part d’UAE, déjà.
Quand tu as un jeune champion, tu ne lui dis pas qu'il doit gagner 10 courses
"J'essaye de ne pas aller trop vite", nous expliquait McNulty (21 ans) en début de saison. "Beaucoup de juniors américains ont montré qu'ils étaient très forts, sont partis directement en Europe, avec un gros programme, et ils se sont cramés. Je veux éviter ça." Le jeune Texan espère donner sa pleine mesure “à 25, 27 ou 30 ans”, des horizons qui semblent bien lointain pour Pogacar. Dans 10 ans, le Slovène se voit “peut-être avec une famille, dans un bel endroit tranquille”. Toujours dans le cyclisme ? “Je ne sais pas.”
Pogacar et McNulty, accompagnés par quelques autres grands espoirs (Philipsen, Bjerg, Ardila…), évolueront sous la direction de Joxean "Matxin" Fernandez, réputé pour son travail de détection et formation des jeunes talents du peloton mondial depuis les années 1990, qui définit son management par le "cariño", l'affection qu'il donne à ses espoirs : "Je crois en eux, mais je ne leur demande rien en retour. On leur demande simplement de profiter, d'avancer chaque jour avec confiance. Quand tu as un jeune champion qui peut être compétitif, tu ne lui dis pas qu'il doit gagner dix courses, ou même six, ou deux. Tu lui offres le cadre pour qu'il fasse les choses bien."

Le Wolfpack fait monter ses jeunes loups, Ineos les presse

Toutes les équipes World Tour, et une bonne partie de celles qui évoluent à l’échelon inférieur, ont renforcé leur investissement auprès des jeunes. Jonathan Vaughters, dont l’équipe EF Education First a révélé cette année les talents de Sergio Higuita, revendique une approche similaire. Au sein du Wolfpack de Deceuninck-Quick Step, les jeunes sont rapidement envoyés au charbon, notamment pour tirer de grands bouts droits en tête de peloton, mais c’est visiblement une bonne école. Surtout, ils savent qu’ils auront eux aussi leurs opportunités de briller dans une équipe de francs-tireurs. Quinze hommes en bleu ont levé les bras en 2019. Le dernier d’entre eux est Jannik Steimle, stagiaire de 23 ans recruté début août et qui intègrera pleinement le World Tour en début de saison prochaine.
La toute-puissante Ineos a elle aussi recruté quelques-uns des plus grands espoirs mondiaux, avec des réussites diverses. La formation britannique a la réputation de presser ses coureurs. Souvent, ça passe, avec d’immenses réussites, mais parfois, ça casse, pour les jeunes comme pour certains de leurs aînés. Egan Bernal est un cas unique : arrivé à 21 ans dans la formation britannique, il affichait déjà une grande maturité physique et mentale, permettant à son équipe de lui donner rapidement des responsabilités sur les épreuves d’une semaine et de le propulser co-leader sur le dernier Tour (même si on sentait dès le départ qu’il avait l’avantage sur son aîné gallois).
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Egan Bernal et Geraint Thomas lors du Tour de France 2019

Crédit: Getty Images

En France, on forme

Les équipes françaises revendiquent au contraire leur identité formatrice, adossée à différentes équipes amateurs. “Je ne veux pas être le Real Madrid du sport éphémère”, illustrait encore cet été Jérôme Pineau, à la tête de Vital Concept-B&B Hôtels. Lorsqu’on lui parle recrutement de stars pour se mettre au niveau World Tour, Jean-René Bernaudeau met en avant le réseau de talents que sa formation Direct Énergie accompagne dans l’ouest. Installée dans le Nord, Cofidis fait régulièrement monter des stagiaires venus de tout le pays. AG2R La Mondiale s’appuie sur le club Chambéry Cyclisme Formation, et la Groupama-FDJ, après avoir accompagné les jeunes talents avec sa fondation, a lancé en début d’année sa propre équipe continentale.
Dans l’équipe, on a la chance de pouvoir faire des plans de carrière où on laisse au coureur le temps de se former, d’évoluer”, se réjouit l’entraîneur David Han, qui travaille notamment avec Valentin Madouas et David Gaudu. Ce dernier a rejoint l’équipe avant même de fêter ses 20 ans, parce que son talent le permettait, mais aussi parce que la concurrence rôdait tandis que la FDJ, qui l’avait déjà repéré, pensait lui laisser un peu de temps pour faire ses gammes chez les jeunes. De quoi précipiter l'émergence du grimpeur breton, avec un top 10 sur la Flèche wallonne dès le printemps 2017 et une progression notable depuis.
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David Gaudu (Groupama-FDJ) vainqueur de la 3e étape du Tour de Romandie

Crédit: Getty Images

"Il va forcément y avoir du déchet"

Dans beaucoup de pays, les jeunes s’entraînent et courent contre les pros”, observe Matxin. “En Colombie, tu as deux courses : le championnat national et la Vuelta a la juventud [le “Tour de la jeunesse”, remporté il y a quelques années par Richard Carapaz et Miguel Angel Lopez]. Le reste du temps, tu cours contre des professionnels. C’est pareil pour les Norvégiens ou les Danois. Alors que dans certains pays comme en Espagne ou en Italie, il y a un bon calendrier pour les moins de 23 ans, donc les jeunes murissent plus lentement.”
Juan José Oroz, ancien membre de la mythique Euskadi, connaît bien le calendrier pour les jeunes espagnols : l’équipe Lizarte, dont il est le directeur sportif, a dominé le circuit ibérique en 2019 (grâce notamment au talent d’Iñigo Elosegui qui, à 21 ans, passera pro avec la Movistar cet hiver) et s’est attiré le soutien d’un nouveau sponsor, Kern-Pharma, pour développer une équipe professionnelle tout en préservant la formation amateure.
On voyait que beaucoup d’Espoirs ne trouvaient pas le cadre pour continuer à grandir”, nous explique Oroz, témoin d’une atrophie progressive du cyclisme espagnol au XXIe siècle derrière les épouvantails Contador, Valverde et autres "Purito" Rodriguez. “On vient pour ça, pour faire émerger les nouveaux talents avec l’objectif qu’ils grandissent de leur arrivée jusqu’à leur départ. Nous sommes une option pour les jeunes et nous n’allons pas bloquer leur progression par égoïsme, assure-t-il. Par exemple, nous serons très heureux de voir Iñigo grandir chez Movistar, en espérant qu’il remporte rapidement les plus grandes courses du monde.”
Des rangs amateurs jusqu’à l’élite du cyclisme, les chemins vers le succès sont nombreux… et incertains. “Ils ont agrandi le filet pour augmenter la pêche, mais il va forcément y avoir du déchet”, observait pendant la Vuelta un suiveur aguerri par quatre décennies sur les bords des routes de Grands Tours et de courses départementales. Aux équipes de trouver les réponses adaptées à chaque coureur pour qu’il s’épanouisse, aujourd’hui et demain.
Retrouvez la première partie de notre dossier consacré aux jeunes dans les pelotons internationaux >>> Egan Bernal, Remco Evenepoel ou Tadej Pogacar : les jeunes sont le présent du cyclisme
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Iñigo Elosegui, lors du CLM -23 des Mondiaux, le 24/09/2019

Crédit: Getty Images

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