Tour d'Espagne - Histoire - Quelle époque ! Il y a 30 ans, la Vuelta 1995 ou la boucherie Laurent Jalabert

C'est l'été des célébrations en forme de compte rond pour le cyclisme français. Après le 40e anniversaire du dernier triomphe tricolore sur la Grande Boucle par l'intermédiaire de Bernard Hinault, nous soufflons à présent les 30 bougies de la victoire de Laurent Jalabert sur la Vuelta en 1995. Un triomphe absolu, plus qu'une victoire, tant il avait tout écrasé. Depuis, plus rien.

Laurent Jalabert, l'ogre de la Vuelta 1995.

Crédit: Getty Images

Une édition historique, pour le Tour d'Espagne. En cette année 1995, la Vuelta fête sa 50e édition. Mais l'épreuve, créée en 1936, se cherche surtout une nouvelle place et une identité régénérée. Elle est le parent pauvre de la trilogie des grands tours, derrière l'omnipotent Tour de France de juillet et le romantique Giro du mois de mai. La Vuelta, elle, quitte cette année-là le printemps pour venir se nicher à la fin de l'été où, trois décennies plus tard, elle se vit toujours, plutôt heureuse. Un changement pour le meilleur. C'était parfois mieux avant, mais, pour elle, ce n'était pas le cas.
Historique, cette campagne 1995 le reste aussi pour le cyclisme français. Si nous avons fêté en juillet le 40e anniversaire de l'ultime triomphe tricolore sur la Grande Boucle, avec 10 ans de moins, c'est aussi un compte rond pour le tout dernier succès bleu sur un Grand Tour. Pas de Bernard Hinault dans le coup cette fois, mais Laurent Jalabert. Un Jaja à la sauce Hinault, voire en mode Merckx. Car ce Tour d'Espagne 1995, le Mazamétain ne l'a pas seulement gagné. Il l'a survolé, mettant la concurrence à sa botte avec une autorité délirante. Une boucherie, avant la traversée du désert.
picture

Laurent Jalabert, Tour d'Espagne 1995.

Crédit: Getty Images

Entre Eddy et Pogi

Qui est Laurent Jalabert en cet été 95, celui du quintuplé de Miguel Indurain en jaune sur le Tour, des premiers pas de Jacques Chirac à l’Élysée et, pour évoquer une sinistre mémoire, de la vague d'attentats qui touche la France et notamment Paris ? À 26 ans, il a opéré une mutation. Sprinteur à ses débuts, il a conservé une pointe de vitesse enviable, mais le très grave accident survenu en 1994 sur le Tour à Armentières, lequel va le laisser plusieurs semaines à l'hôpital, bouleverse sa vision des choses. Désormais, Jalabert ne sera plus qu'un sprinteur de circonstances. Il se meut en coureur tout terrain, chasseur de classiques et même de courses par étapes.
Si la France n'a plus gagné le Tour, son Tour, depuis quatre décennies, il lui est arrivé de disposer du meilleur coureur de la planète. Julian Alaphilippe a pu prétendre à ce titre honorifique il y a quelques années. En 1995, ce fut le cas de Jalabert, de façon incontestable. Une année tout simplement monstrueuse, au cours de laquelle il remporte, notamment, Paris-Nice, Milan-Sanremo, le Critérium International, la Flèche Wallonne, le Tour de Catalogne et, donc la Vuelta. Sur le Tour, qu'il a achevé à la 4e place tout en décrochant le maillot vert et en faisant vibrer le peuple à Mende le 14 juillet, le Tarnais de la ONCE a acquis la conviction qu'il pouvait glaner un Tour de trois semaines. Mais de là à se muer en Cannibale...
Dès la 3e étape et sa victoire à l'Alto de Naranco, Jalabert s'empare du maillot de leader. Il ne le rendra plus. Au total, il remporte cinq étapes, domine tout le temps et partout, triomphe au sprint, en puncheur ou en montagne (dont Luz-Ardiden), y compris devant Virenque et Pantani. Il se permet même de jouer les bons samaritains, comme à la Sierra Nevada, où il fond sur l'échappé allemand Bert Dietz, mais, dans sa grande mansuétude, lui laisse la victoire sur la ligne. Alléluia. Il y a du Merckx en ses veines, mais aussi du Pogi avant l'heure, quand il attaque à plus de 60 bornes de l'arrivée à Avila pour triompher en solo.

Est-ce que c'était vraiment mieux avant ?

La concurrence est écœurée, atomisée. Le Français ne se contente pas de triompher à Madrid. Il ajoute au maillot de oro celui du classement par points ou encore de la montagne. Dans l'histoire des grands Tours, ils n'étaient que deux à avoir accompli un tel exploit : Eddy Merckx, bien sûr, qui l'avait fait à la fois sur le Giro et sur le Tour et… Tony Rominger, sur cette même Vuelta, deux ans plus tôt, en 1993. Quelle époque ! Derrière lui au classement final, Abraham Olano est à plus de quatre minutes. Celui qui complète le podium n'est autre que Johan Bruyneel, qui associera plus tard son nom à Lance Armstrong en tant que manager des équipes du Texan. Lui aussi deviendra ensuite tricard à vie. Mais avant tout cela, le Belge est le lieutenant du général Jaja chez ONCE. Quelle époque, on vous dit…
C'est l'apogée de Laurent Jalabert. Ce sera la source d'un malentendu, aussi. Tout le monde, après ça, l'attendra en grand manitou du Tour. Indurain vieillit et il passera la main dès l'été suivant. Mais ce ne sera jamais le tour du Mazamétain, qui ne finira plus jamais dans les 10 sur les Champs-Elysées et ne retrouvera jamais les effluves euphoriques de cette fin d'été 1995, même s'il accrochera une 4e place sur le Giro en 1998. Juste avant l'affaire Festina, le Tour de la honte, celui qu'il abandonnera. Ce Tour 98 dont des tests d'urine rétroactifs montreront que Jalabert, comme beaucoup d'autres, comme presque tous les autres, était positif à l'EPO, même si l'intéressé n'avouera jamais. Quelle époque épique, quelle époque qui pique...
Mais en 1995, personne ne se posait encore de questions. Ou pas trop. Ou pas trop fort. C'était encore le temps des points d'exclamation plus que des points d'interrogation. On ne voyait rien ou on ne voulait rien voir. On s'extasiait plus qu'on ne s'inquiétait. De qui ? De quoi ? De rien. On regardait, c'est tout. Jaja, lui, profitait. Ce qui est sûr, c'est qu'en cette année 1995, il était plus fort que jamais et plus fort que tout le monde. Depuis, la France a oublié ce que c'était de voir un de ses enfants gagner un grand Tour. Dix-sept nations ont connu cet honneur et ce bonheur au cours des 30 dernières années. La France, elle, attend. Mais faut-il en être nostalgique ? Est-ce que c'était vraiment mieux avant ?
picture

Le triomphe de Laurent Jalabert sur la Vuelta 1995.

Crédit: Getty Images


Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Partager cet article
Publicité
Publicité