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Tour de Romandie - Simon Pellaud : "Gino aurait dû être ici, en ce moment même"

Benoît Vittek

Mis à jour 22/04/2024 à 10:49 GMT+2

Globe-trotter du cyclisme, Simon Pellaud a couru à travers le monde et noué une relation particulière avec Gino Mäder, tout autour du monde, allant de la Suisse jusqu'en Chine. "Gino était un ami, un confident", a expliqué à Eurosport le baroudeur de l'équipe Tudor à la veille du Tour de Romandie, qui débute ce mardi.

Simon Pellaud lors du Tour des Alpes

Crédit: Getty Images

La semaine dernière, Simon Pellaud (Tudor Pro Cycling) a débarqué sur le Tour des Alpes depuis la Colombie, où il s'est installé il y a quelques années. "Je vais être un peu fatigué", soufflait-il avec sept heures de décalage horaire à encaisser... Et il est parti en échappée lors des deux premières étapes. À Medellin, le globe-trotter à deux roues, originaire du Chemin-Dessus dans le Valais, est devenu le "suizo paisa" : "suizo", comme ses origines helvètes, et "paisa", comme les habitants de la région d'Antioquia, qui l'ont adopté aussi naturellement qu'il a épousé leur passion cycliste.
À 31 ans, Pellaud est un personnage singulier des pelotons, anachronique, "un peu romantique", comme il le dit lui-même. Il a voyagé, couru dans quarante pays, levé les bras sur quatre continents (Afrique, Amérique, Asie et Europe)... On l'a vu se lier d'amitié avec Thomas De Gendt, à force d'échappées partagées sur le Giro. Il était aussi un proche de Gino Mäder, qui aurait dû le rejoindre dans les rangs de l'équipe Tudor avant de perdre la vie suite à une chute en course, l'an dernier, sur les routes du Tour de Suisse.
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Gedenken an Gino Mäder bei der Präsentation von Team Bahrain zum Auftakt der Tour de France 2023 in Bilbao

Crédit: Getty Images

On dit souvent que les coureurs n’ont pas le temps de profiter du décor… Qu’est-ce que ça change de courir au Cameroun, en Malaisie ou au Vénézuéla ?
Simon Pellaud : Quand on est vraiment en mode course, c’est un peu différent. Mais j’ai l’impression que ces derniers mois, ces dernières saisons, c’est peut-être ce qui est à côté de la course qui me fait être un cycliste, plus que la course en elle-même. C’est beau d’être un équipier, de pouvoir aider un coureur à gagner, mais je vais reprendre une phrase d’un coureur que j’admire, Primoz Roglic : citez-moi un coureur qui a commencé le vélo en rêvant d’être gregario… Ça n’existe pas. Quand un enfant fait du vélo, ce n’est pas pour ramener des bidons à un copain de classe ou même pour profiter de la nature. N’importe quel cycliste du peloton professionnel te dira qu’il a commencé le vélo parce qu’il voulait gagner des courses. C’est quelque chose qui m’a fait réfléchir ces derniers temps. Au final, il faut aussi savoir trouver son équilibre. J’habite en Colombie, je parle cinq langues, j’ai rencontré énormément de personnes dont des amis qui me sont très proches grâce au cyclisme, et ce n’est pas seulement parce que j’ai gagné des courses.
Et s'il y a un pays qui vous a particulièrement marqué dans tout ça…
S.P. : Je pense que c’est facile à trouver !
La Colombie ?
S.P. : Si je suis resté bloqué là-bas, au départ, c’est pour le cyclisme. Le peuple colombien a un respect et une adoration dont je pense qui n’existe dans aucun autre pays au monde.
Ça se ressent au quotidien ?
S.P. : Avant même l’adoration, il faut commencer par le respect. Les Colombiens travaillent six jours sur sept, ils n’ont pas vraiment de vacances. Alors je pense que le coureur cycliste est respecté pour sa rudesse de caractère. Chez nous, on te dit : "Tu fais du vélo ? Ah ok. Et t’as couru le Tour de France ? Non ? Mais alors tu fais quoi dans la vie à part du vélo ?" Les gens ne voient pas forcément à quel point le cyclisme est un sport exigeant.
Si le vélo est si beau, c’est parce qu’il est si cruel
On est régulièrement impressionné par les images de Colombiens sur de vieux vélos, en sandales, qui se mettent à suivre les pros qui s’entraînent. Ça vous arrive aussi ?
S.P. : Tous les jours ! Là-bas, on part rouler tôt, vers 6-7h, et on rentre pour la sortie des écoles vers 13-14h, et quand je passe dans mon village j’entends crier : "Nairo !", "Rigo !" Ce sont les deux coureurs (Nairo Quintana et Rigoberto Uran, ndlr) les plus influents en Colombie. Pour les jeunes, voir un cycliste, c’est aussi une échappatoire, une porte ouverte vers l’Europe. Et c’est pour ça que ça fait vraiment rêver la jeunesse. En Europe, faire du vélo pendant cinq ans dans une équipe WorldTour avec un salaire de 30 à 50 000 euros, ça ne fait pas forcément rêver. En Colombie, avec un salaire comme ça, on peut faire vivre ses parents, ses grand-parents et ses enfants. Ça te fait quatre générations qui vivent grâce au vélo si tu t’en sors bien. C’est une sorte d’eldorado sportif.
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Simon Pellaud, réalise une fantaisie au sein de l'échappée lors de la 20e étape du Giro

Crédit: Getty Images

Vous avez invité d’autres pros, comme Annemiek van Vleuten, à partager vos entraînements en Colombie. Qu’est-ce que vous voulez leur montrer ?
S.P. : Cet hiver encore, j’ai fait venir un collègue suisse, Arnaud Tissières, pendant trois semaines. Quand j’étais chez IAM Excelsior, j’ai réussi à faire participer l’équipe au Tour de Colombie. Là, il y avait tout le staff, tout le monde. Pas mal de monde est déjà venu me voir et j’espère que ce n’est pas fini ! J’ai dans un coin de ma tête aussi d’organiser des voyages à vélo pour faire découvrir à des Européens ce qu’est la Colombie profonde et le territoire incroyable que c’est pour le cyclisme.
Si on résume, le vélo, c’est beau ?
S.P. : Oui, le vélo, c’est beau. Disons que ça a ses côtés vraiment positifs. Après, on sait que c’est comme tout, tout n’est pas tout rose nulle part.
Le vélo, c’est cruel, aussi ?
S.P. : Si le vélo est si beau, c’est parce qu’il est si cruel aussi. Ça tient tellement à rien. Combien de fois j’ai été repris dans les derniers kilomètres après une longue échappée ? Ou combien de fois je suis tombé, je me suis blessé, après des semaines ou des mois de préparation ? Combien de fois je suis passé si proche, et si loin à la fois ? Il y en a plein des histoires comme ça. Et c’est aussi ce qui fait la beauté du sport. Là, je parle des être humains, pas des cinq aliens qui dominent notre sport… Je pense que c’est ce qui fait la beauté du sport, d’être aussi souvent si proche et en même temps tellement loin d’instants qui sont de l’émotion en barre. Et quand on touche cette adrénaline, cette émotion, c’est là que le cyclisme fait vraiment sens.
On avait vécu un moment incroyable en Chine avec Gino
Le cyclisme vous a aussi enlevé un proche, Gino Mäder... Qui était-il pour vous ?
S.P. : Gino était un ami, un confident à l’intérieur du peloton, sans avoir partagé mon enfance avec lui. C’est quelqu’un avec qui je me suis toujours ouvert, et il a laissé une grosse trace dans ma carrière. Il m’a vendu son vélo, un Bianchi haut de gamme, quand je suis passé chez IAM Excelsior. C'était le meilleur vélo pour quelqu'un qui ne fait pas partie d’une équipe de première division. Ce n’est pas toujours évident d’avoir du matériel de pointe pour tous les coureurs, ce sont des budgets faramineux. Et j’avais eu la chance d’acheter son vélo, ce vélo qui m’a ensuite fait passer professionnel chez Androni et ensuite chez Trek. Il me l’a laissé à un prix qui ne faisait aucun sens. Et je ne gagnais pas d’argent non plus. Je n’aurais pas eu la chance de m’acheter un vélo qui représente un budget de plus de 10 000 euros. C’était un geste fou de sa part. Et on a partagé aussi un des plus beaux moments de ma carrière et je pense de sa carrière aussi, au Tour de Hainan, en Chine. J’avais gagné la dernière étape et lui avait gagné l’étape-reine et terminé 2e au classement général. On a une relation particulière je pense. Et je me souviendrai toujours de cette journée où j’ai appris ce qui s’est passé.
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"Merci pour la lumière, la joie et les rires apportés" : Hommage à Gino Mäder

Une des images fortes à ce moment-là, c’est la communion des coureurs suisses présents sur le Tour de Suisse et qui sont ensemble pour encaisser le choc. Comment ça se passe pour vous sur le Tour de Slovénie ?
S.P. : Sylvain Blanquefort, le directeur d'équipe qui était présent, a fait preuve d’une compréhension que je n’oublierai pas. Il a été très présent pour moi, il a su trouver aussi… C’est pas les mots, il n’y a pas vraiment de mots à ce moment-là. Mais il a su me calmer, disons. Entre coureurs, c’était difficile. Et j’ai été, je pense, un des coureurs les plus affectés, en tout cas parmi ceux présents sur le Tour de Slovénie. Et Sylvain a eu une grande partie du mérite de me relever après cette claque énorme. J’étais couché au fond du bus dans un état… Je n’ai même pas envie d’y repenser. C’est lui qui m’a vraiment aidé.
Vous rendez ensuite hommage à Gino pendant la course...
S.P. : Encore une fois, ce sont les émotions qui restent. Je suis peut-être un peu trop sensible mais c’est comme ça que je fonctionne. C’était instinctif, rien n’était prévu, prémédité, dans mon acte pour lui rendre hommage. C’était quelque chose de vraiment spécial, des émotions que je ne saurais même pas décrire.
Avez-vous le sentiment que Gino occupe aujourd’hui une place à part, non seulement à cause de ce drame, mais aussi grâce à ce qu’il incarnait ?
S.P. : De toute façon, dans mon cœur, il a une place vraiment spéciale. Gino était une personne unique. Il aurait certainement dû être ici, sur le Tour des Alpes, en ce moment même. S'il venait chez Tudor, c'était pour performer sur le Giro et le Tour des Alpes aurait été un passage presque obligatoire. Mais oui, c’était une personne tellement humble et tellement géniale que ça a certainement laissé plus de traces dans le cœur de beaucoup de personnes. Mais quand on voit le cyclisme, de nos jours, j’ai l’impression que ça n’a pas laissé assez de traces non plus. Les risques qui sont pris, les chutes actuelles, on passe chaque jour très très proches d’un drame à la hauteur de celui de Gino.
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Les larmes des Bahrain-Victorious et une minute de silence : Hommage à Gino Mäder

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