Paradoxal, passionnant et fascinant, le foot US est un sport unique

Pourquoi aimer le foot US ? Comment en arrive-t-on à s'intéresser à ce sport ? J'ai souvent eu droit à ces deux questions, parfois accompagnées d'un demi-sourire mi-incompréhensif, mi-dédaigneux. Ce sport draine de ce côté-ci de l'Atlantique son lot de clichés, laissant dubitatifs ceux qui demeurent hermétiques aux charmes discrets de la NFL. Il faut bien le dire, ceux-ci sont les plus nombreux. Les fanas de ce sport, eux, continuent de représenter une niche marginale, à défaut d'être anecdotique.

Tenez, voilà encore une autre interrogation, si souvent avancée et que j'ai pu lire encore ici-même, sur ce site, il n'y a pas deux jours : pourquoi les Ricains se sentent obligés de rajouter "américain" dans un nom de sport. Alors, une fois pour toutes, les Américains n'ont rien rajouté du tout. Chez eux, le foot US, c'est le… football. Point barre. C'est nous qui avons apposé cet adjectif pour le distinguer de notre football à nous qui, d'ailleurs, est de plus en plus le leur aussi.

Pour ma part, je suis tombé dans la marmite de la NFL au début de l'année 1986, à l'occasion d'un voyage scolaire à Chicago. Bonne pioche, c'est l'année où les Bears ont laminé la concurrence pour remporter le Super Bowl. Le début d'une histoire d'amour. D'une gigantesque frustration, aussi, une fois revenu en France. Vous qui êtes devenus fans de foot US au XXIe siècle, vous mesurez sans doute mal votre chance. A l'époque, sans internet, et en l'absence d'une presse spécialisée récurrente et économiquement stable (j'ai une pensée pour le Foot US magazine, tenu par des passionnés qui, de mémoire, était un bimestriel), il était bien difficile de suivre l'actu de la NFL. Il y avait bien Canal Plus, mais le "long format" hebdomadaire du samedi évoquait un match… du week-end précédent.

Les temps ont bien changé. Tant mieux, de ce point de vue. La confidentialité du foot US en France, en revanche, reste bien réelle. Le noyau dur s'est peut-être un peu étoffé, mais il reste ce qu'il a toujours été : un simple noyau. Regrettable ? Pas forcément. Le jour où le foot US sera à la mode dans nos contrées, les "puristes", les vrais amoureux, les pionniers, se sentiront peut-être dépossédés de cette futile satisfaction d'appartenir à un cercle fermé. Cette absence d'exposition majuscule nous épargne au moins de subir les "footix américains".

Alors, que répondre à ceux qui s'attachent à dédaigner le foot US et s'échinent à ne voir en lui qu'un sport barbare, pratiqué par des bourrins surdopés et décérébrés ? Rien. Ou plutôt "tant pis pour vous". Oui, cette discipline demande un effort de prime abord. D'abord pour en comprendre les règles de base, d'ailleurs nettement moins complexes qu'on veut bien le dire. Mais une fois cet effort accompli, la quête progressive des subtilités de ce sport apporte bien des satisfactions. Des satisfactions uniques, d'ailleurs, tant le foot US ne ressemble à aucun autre sport.

La façon dont il associe stratégie et engagement physique a même quelque chose de fascinant. C'est à la fois un jeu d'échecs et un combat physique. C'est Kasparov-Karpov sur un ring. Mais il ne faut pas s'y tromper : c'est d'abord une guerre tactique avant d'être une guerre tout court. C'est aussi un sport où, au sein d'une même attaque, on peut trouver un type courant le 100 mètres en 11 secondes, comme certains receveurs, et un autre (un joueur de ligne offensive) affichant 160 kilos sur la balance. Parfois davantage. Bref, c'est un sport éminemment paradoxal, un peu à l'image, en somme, de ce pays où il est roi. Il mérite mieux en tout cas que les critiques simplistes auxquels il a le droit. Critiques ayant pour source, la plupart du temps, une simple ignorance.

Pour autant, le football américain a ses problèmes. Oui, il est brutal par certains aspects. C'est un sport de contacts, de chocs, souvent violents, susceptibles de laisser des traces. Il suffit de voir ce qu'est devenu Jim McMahon, le quarterback vedette de Chicago, justement, dans les années 80, pour s'en convaincre. Ou d'écouter le témoignage d'Antawn Randle El, sacré champion avec Pittsburgh en 2006. Aujourd'hui, à 36 ans, Randle El a parfois du mal à monter ses escaliers ou à se souvenir de ce qu'il a dit cinq minutes plus tôt à sa femme. Les commotions cérébrales sont un vrai sujet et la NFL semble enfin avoir pris la mesure du problème. Elle a fait des pas dans la bonne direction en termes de précautions, même si ce sont loin d'être des pas de géant.

Malgré ça, malgré tout, je pense que je ne pourrai jamais décrocher. La nuit prochaine, comme tous les ans depuis maintenant 30 ans, ce sera donc nuit blanche pour moi. Même si le Super Bowl n'est pas forcément le moment que je préfère dans la saison. Peut-être, justement, parce que le foot US sort alors quelques orteils de l'ombre dans laquelle il est confiné chez nous. Mais s'il lui permet de sortir un peu la tête de l'eau médiatiquement, le Super Bowl fait aussi remonter à la surface ces fameux clichés. Beaucoup regardent le Super Bowl parce que c'est un spectacle, avec ses pubs et ses paillettes à la mi-temps. Moi, comme toujours, c'est le match qui me fera veiller.