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19 juillet 1966 : le jour où Pelé dit adieu à la Seleção

Chérif Ghemmour

Mis à jour 30/12/2022 à 16:44 GMT+1

Pelé superstar au soleil de Mexico en juin 1970 ! Trois fois champion du monde ! Un exploit qui aurait bien pu ne jamais se produire. Car quatre ans plus tôt, il avait mis fin à sa carrière internationale après une Coupe du monde 1966 terminée sur une jambe après avoir subi les assauts répétés des défenseurs adverses. Pelé promet qu'il ne reviendra pas, et pourtant...

Pelé le 19 juillet 1966.

Crédit: Imago

"Jouer sur une jambe"... Pour un footballeur lambda touché ou blessé cela signifie qu’il peine et qu’il plombe son équipe. Pas Pelé. Même en boitant sur une jambe (la droite), il parvient en gaucher exclusif à organiser comme il le peut et de façon assez convaincante le jeu de la Seleção contre le Portugal ! Mais en vain… En ce triste 19 juillet 1966, le Brésil sombre 3-1 au Goodison Park. Cette deuxième défaite en match de poule élimine donc le tenant du titre et favori de l’épreuve.
Déjà blessé à la jambe droite contre la Bulgarie, Pelé a littéralement été achevé par les défenseurs portugais en milieu de première période. Victime d’une déchirure du ligament au genou droit, il sort puis revient sur le terrain en claudiquant, les remplacements n’étant alors pas autorisés. "J’ai commencé le travail, Morais l’a terminé", déclarera le défenseur bulgare Dobromir Zhechev. Ni lui, ni Morais n’ont reçu de carton, jaune ou rouge : ils n’existaient pas à l’époque…
Je ne participerai plus jamais à une Coupe du monde
Après le match, Pelé, meurtri, s’adresse aux journalistes médusés : "Je ne participerai plus jamais à une coupe du monde. C’est fini : c’est la dernière fois que vous me voyez porter le maillot du Brésil." Il ajoute : "Je refuse que le football devienne une guerre. Sinon, je raccrocherai les crampons." Le choc est immense : le meilleur footballeur du monde quitte pour toujours l’équipe mythique au maillot jaune d’or et double championne du monde ! Il a 26 ans à peine…
Cet épisode occupe une place importante dans son autobiographie "Ma vie de footballeur" sorti en 2014. Pelé y racontait sa colère contre la junte militaire au pouvoir qui, de concert avec la CBD (la fédé brésilienne), avait instrumentalisé la Seleção afin de calmer les tensions sociales du pays. L’équipe nationale, c’était ainsi 44 joueurs de quatre équipes qu’on trimballait dans tous le pays pour faire oublier la crise et l’inflation qui avait explosé en 1964. Pelé est bien sûr retenu dans la meilleure Seleção, celle qui est envoyée en Europe dans des froides tournées où on change sept joueurs de match en match…
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Mario Americo auprès de pelé en 1966 lors de la Coupe du monde en Angleterre.

Crédit: Eurosport

En quittant l’Angleterre, Pelé ne se pardonne pas non plus l’arrogance brésilienne déjà mortifère de 1950 qui avait rejailli avant le Mondial 66 : les Brazileiros seraient sacrés à Wembley pour la troisième fois. C’était écrit ! Surtout, Pelé, le footballeur, a été traumatisé par la violence qui s’est instaurée dans son sport au milieu des années 60. "À compter de ces années-là, le football est devenu moche", déplorait-il dans le documentaire de Netflix, Pelé (2021). Dans son livre, il dénonce aussi le laxisme coupable de l’arbitrage de l’époque. Il parle même de complot européen généralisé contre l’Amérique du Sud, le grand Brésil en premier, à la coupe du Monde 66.

Peur de la blessure au genou dans la famille de Pelé

Exagéré mais pas si faux : une troisième couronne mondiale de la Seleção aurait "tué le game", comme on dit aujourd’hui. Et il est vrai qu’à l’époque, battre la grande équipe du pays tropical relevait de l’exploit hypothétique… Enfin, les blessures aux genoux sont la hantise absolue de la famille d’Edson Arantes do Nascimento. Son père Dondinho, un temps footballeur pro remarquable, avait vu sa carrière sabrée par une terrible blessure à la rotule et il avait fait vivre une vie de misère aux siens. Dona Celeste, mère d’Edson Arantes, a ainsi prié à l’église toute sa vie durant chaque match de son fils, s’esquintant elle aussi les genoux ! Alors Pelé a dit stop…
Et il tient parole. Il résiste aux appels du peuple et aux sollicitations officielles. Une Seleção light, privée de son diamant, dispute des matchs sans que Pelé n’éprouve le moindre regret. Mais un homme va progressivement le faire douter. Il s’agit du professeur Julio Mazzei, directeur technique de Santos FC. Il exerce par sa grande culture et sa grande disponibilité un charisme quasi paternel sur Pelé. Son marquage individuel va s’exercer par des taquineries qui vont faire mouche : "Edson, tu ne veux plus jouer pour ton pays ? Tu veux que le dernier souvenir de toi avec la Seleção ce soit l’échec de 1966 ?". Et quelques mois plus tard : "Alors, Edson ! Toujours pas prêt pour gagner une troisième Copa do mundo ? Et tu diras quoi quand tu seras comme un con devant ta télé à regarder la Coupe du monde1970 ?"
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Pelé, les grands moments

Crédit: Marko Popovic

Bingo ! Pelé, tout chamboulé, ose enfin se l’avouer : la Seleção lui manque… Beaucoup, même. En 1968, il réalise qu’il n’aura que 29 ans au Mundial mexicain de 1970, soit un an de moins que son cher Didi en 1958 en Suède. Et puis il pète la forme avec Santos : à raison de presque 80 matchs par an (79 en 1968, pour 59 buts), il joue encore à merveille, marque encore des buts à la pelle, et constate lors des tournées mondiales que son immense popularité n’a pas faibli.

Et si juillet 1966 n’avait été en fait que péché de vanité ?

A la naissance de sa fille Kelly, il a changé. Il montre plus d’intérêts aux autres et ne se considère plus uniquement comme "Pelé la star". Il gamberge : et si son retrait de juillet 66 n’avait été en fait que péché de vanité ? Et puis le foot a changé en bien. Les matchs internationaux sont plus pacifiés et la FIFA, tirant les leçons du Mondial 66 marqué par le jeu dur, a réagi. Un Mundial 70 peu spectaculaire où les attaquants seraient massacrés déprécierait l’événement sportif le plus vendeur au monde avec les JO. La FIFA autorisera que les joueurs blessés pourront désormais être remplacés et qu’au Mundial 1970 des cartons jaunes et rouges sanctionneront les casseurs en protégeant mieux l’intégrité physique des artistes.
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Pelé

Crédit: Getty Images

Ces mesures resteront parmi la plus grande contribution, même indirecte, de Pelé à la préservation du beau jeu… A l’été 1968, après moult discussions avec Julio Mazzei, sa femme Rose et ses deux parents, Pelé décide de revenir en Seleção, avec une humilité confondante : "J’ai appelé le responsable de l’équipe nationale pour leur demander s’ils accepteraient de me reprendre. Je leur ai fait la promesse qu’à partir de ce moment je m’efforcerais d’être un bon buteur mais aussi un bon leader." Pour son retour contre le Paraguay, le 25 juillet 1968, il signe un doublé lors de la victoire brésilienne à Asunción (4-0).
Ses deux années en retrait de la Seleção se soldent par 15 matchs d’absence, donc autant de sélections (et aussi quelques buts probables) en moins. Si on ajoutait ces 15 rencontres qu’il aurait très certainement disputées à ses 92 capes totales (pour 77 buts), il aurait été un des tout premiers centenaires de l’histoire du foot avec 107 sélections… En novembre 1968, Elizabeth II en visite officielle au Brésil demande à rencontrer Pelé dont elle est fan !

Rencontre décisive avec... Elizabeth II

A la fin de l’entrevue royale entre The Queen et O Rei, le chef du protocole anglais demande à Pelé : "Serez-vous présent au Mundial 70 ?" La star de Santos se voit alors confirmer qu’avec lui, la Seleção refait peur… Sous les ordres du nouveau sélectionneur João Saldanha, Pelé se distingue lors de la brillante qualification du Brésil pour le Mundial 70 : six victoires en six matchs et six buts perso ! Le 19 novembre 1969, le gol mil (son 1 000e but) le lancera vers un triomphe solaire au Mundial 1970. Au Mexique, il surmontera brillamment les agressions d’un jeu demeuré dur, en s’adaptant comme un vrai crack.
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Pelé

Crédit: Getty Images

Un an après le titre mondial, Pelé prendra à nouveau sa retraite internationale au terme d'un match contre la Yougoslavie au Maracaña (2-2). Le 18 juillet 1971, devant 130 000 personnes, les "Fica ! Fica !" ("Reste ! Reste !") de la foule chavirée n’y feront rien : "Il faut partir quand le public veut qu’on reste, pas quand il veut qu’on s’en aille", écrira-t-il. Ce nouvel adieu à la Seleção sera le bon. Avant ce match, Pelé, en difficultés financières (pour cause d’escroqueries, notamment), avait demandé à la CBD une prime spéciale supérieure à celle octroyée aux autres joueurs. Refus de Joao Havelange ! Le président de la fédé avait été de ceux qui avaient pourtant poussé Pelé à revenir en sélection.
Et il avait aussi "oublié" que le célèbre Numéro 10 était l’attraction principale des tournées mondiales de la Seleção lors de matchs de gala qui faisaient entrer du fric à la CBD tout en assurant le prestige d’Havelange, bientôt candidat à la présidence de la Fifa en 1974… Pelé ne pardonna jamais au boss de la fédé et mit un terme à sa carrière internationale.
A 31 ans à peine, il était encore en pleine possession de ses moyens. Tostão (et d’autres grands joueurs brésiliens) ont toujours affirmé que Pelé aurait pu jouer la Coupe du monde 1974. Très plausible, mais alors pas vraiment en titulaire à tous les matchs. O Rei aurait donc pu monter à presque 140 sélections et 5 coupes du monde d’affilée, éteignant pour toujours tout débat autour du "meilleur footballeur de tous les temps"… Peu importe ! Même sans toutes ces capes et tous ces expected goals, Edson Arantès do Nascimento demeure le plus grand. Même sur une jambe…
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