Messi et les résignés

Il en va du Ballon d'or comme des grandes finales. Certaines s'annoncent indécises. D'autres semblent courues d'avance. Il y a un an, le tiercé Messi-Iniesta-Xavi avait offert un vif débat, avant et plus encore après, chacun possédant de solides arguments pour prétendre au titre de meilleur joueur du monde. Même Wesley Sneijder, absent du podium final, pouvait faire valoir sa fantastique campagne. Avec le seul vote des journalistes, dans l'ancien système, le Néerlandais aurait même gagné. Cette année, la donne est différente. On a beau retourner le problème dans tous les sens, tous les indices convergent vers un seul nom: Lionel Messi. Et on voit mal comment Cristiano Ronaldo et Xavi, pour des raisons diverses, pourraient lui barrer la route lors de la cérémonie qui aura lieu lundi soir à Zurich (à suivre en direct sur Eurosport et Eurosport Player).

En termes de statistiques individuelles pures, Cristiano Ronaldo a certes des arguments. Sur l'ensemble de l'année, le Portugais du Real a inscrit 63 buts, club et sélection compris. Exatement le même nombre que Messi. CR7 est une machine à scorer. Mais il y a la quantité et la qualité. Sur ce dernier point, l'ancien prodige de Manchester ne peut rivaliser. Le doublé de Messi à Bernabeu (dont un premier but somptueux) en demi-finale de la Ligue des champions, et son but décisif en finale face à MU pèsent lourd à l'heure du décompte. Avec le Barça, Messi ne déçoit jamais dans les grands rendez-vous. On ne peut en dire autant de Ronaldo. Cet argument devrait permettre de placer Messi un cran au-dessus du Lusitanien. Les deux hommes sont sans aucun doute les deux plus grands talents du football actuel. Mais en étant décisif là et quand Ronaldo ne l'est pas (ou pas assez), Messi se place dans une autre dimension, car lui est un talent qui gagne et fait gagner. C'est en tout cas un constat implacable sur 2011.

Difficile de croire qu'à l'heure du choix, les grands électeurs (un tiers de journalistes, un tiers de capitaines de sélections et un tiers de sélectionneurs) n'en tiendront pas compte. Messi a épinglé la Liga, la Ligue des champions, la Coupe du monde des clubs, les Super Coupe d'Europe et d'Espagne. Ronaldo, lui, n'a remporté que la Coupe du Roi. Alors, bien sûr, en fusionnant en un seul les quatre critères (palmarès, classe, carrière, personnalité) de l'ancien règlement à travers une formulation suffisamment floue ("les mérites sportifs et le comportement général sur le terrain comme en dehors") pour que chacun puisse y mettre ce qu'il veut, la FIFA a amoindri l'impact du palmarès. Mais à talent égal, quand l'un a (presque) tout gagné et l'autre (presque) rien, cela ne peut qu'avoir du poids.

Avec Xavi, la problématique est différente. Les deux hommes étant coéquipiers à Barcelone, l'argument du palmarès ne tient pas. On peut également mettre en balance leur influence sur le jeu du Barça. Xavi est prépondérant dans le collectif catalan. Chacun dans leur registre, ils sont irremplaçables. Mais dans ce cas, historiquement, il y a presque toujours eu une prime au joueur le plus offensif des deux, au talent le plus pur. C'est peut-être injuste mais c'est ainsi. L'impact de Messi se matérialise davantage que celui de Xavi. A travers ses buts, et ses buts décisifs, notamment. Maldini, Baresi et Rijkaard ont connu ça du temps du grand Milan. Leur Messi à eux se nommait Marco Van Basten, récompensé à trois reprises.

Mais le meilleur argument d'un troisième sacre de Messi, c'est sa victoire en 2010. Il a obtenu le Ballon d'Or l'an passé sans avoir gagné les deux principaux trophées. La victoire en Coupe du monde de Xavi et Iniesta aurait pu permettre à l'un de ses deux coéquipiers espagnols du Barça de rafler la mise. Malgré tout, le talent unique de l'enfant de Rosario avait été plébiscité. Messi avait été plus fort que la Coupe du monde. Cette fois, personne ne viendra le chatouiller sur son CV des douze derniers mois. Dès lors, comment imaginer que le prestigieux trophée puisse lui échapper? Ce serait presque un contresens après le résultat de l'an dernier. Xavi et Ronaldo en ont d'ailleurs déjà pris leur parti. Le Portugais s'est fait excuser, Coupe du Roi oblige mardi. Mais s'il s'était senti en mesure de l'emporter, nul doute qu'il aurait effectué le déplacement jusqu'à Zurich. Quant à Xavi, il a compris. "Je suis lucide, dit-il. Si nous n'avons pas pu gagner en 2010 malgré notre titre mondial, il est clair que je n'ai pas la moindre chance alors que Messi a tout réussi cette année."

Pour toutes ces raisons, si le scrutin ne débouche pas sur une victoire de Messi, on pourra donc de surprise colossale. Il se dit d'ailleurs que l'Argentin a préparé un discours cette fois, alors qu'il avait été pris de court l'an dernier. Plus que dans le suspense, l'intérêt de ce Ballon d'Or 2011 risque donc de résider dans son impact historique. Avec trois titres de rang, Messi rejoindrait Michel Platini, le seul à avoir accompli une telle performance. Mais chut ! Officiellement, le suspense reste entier.