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Pour le Maracanazo, Moacir Barbosa a pris perpétuité

Laurent Vergne

Publié 17/07/2015 à 10:36 GMT+2

Moacir Barbosa était le gardien de but de la Seleçao en 1950. Jugé coupable sur le but décisif de l’Uruguay, il a payé chèrement cette défaite. Plus que n’importe qui. Retour sur une injustice longue de plusieurs décennies.

Moacyr Barbosa

Crédit: DR

"Au Brésil, la peine maximale pour un crime est de 30 ans. Moi, je paie depuis plus de 43 ans pour un crime que je n’ai pas commis." Pour beaucoup, Moacir Barbosa a été le principal coupable de la défaite du Brésil contre l’Uruguay lors de la finale 1950 au Maracana. Ils étaient onze sur le terrain ce jour-là à subir la loi de la Celeste mais lui seul a porté ad vitam aeternam le poids de cette culpabilité. Pour lui, il n’y a eu ni défense ni appel. Mais une condamnation pure et simple.
En réalité, Barbosa n’est rien d’autre qu’une victime, injustement punie par la rancœur populaire et médiatique. Il était le gardien de cette Seleçao maudite. C’est lui qui a concédé en seconde période à Schiaffino et Ghiggia les deux buts fatals. Face à Ghiggia, il eut le tort d’anticiper légèrement sur un centre de l’ailier uruguayen, dont la frappe au premier poteau est venue le surprendre. Depuis, l’image de Moacir Barbosa, un genou à terre avant de se relever laborieusement, hante la mémoire du football brésilien. Elle a poursuivi le malheureux gardien jusqu’à son dernier souffle, le figeant dans l’histoire. Ce genou à terre, Barbosa semble l’avoir posé devant sa propre tombe, cette cage où les rêves de titre du Brésil se sont enterrés en même temps que sa propre carrière et, d’une certaine manière, son existence.

Quand Teixeira intervenait pour qu’il ne commente pas à la télé

Lorsque, en 1994, Barbosa a évoqué cette peine de 43 ans, la prescription ne s’appliquait manifestement pas. Suivi par une équipe de la BBC, il venait alors de se voir vu refuser l’accès du camp d’entrainement de la Seleçao à Teresopolis, en pleine préparation pour le Mondial 1994. Un vigile l’avait reconnu et, de peur qu’il ne porte la poisse, ne l’avait pas autorisé à entrer. Version officielle. L’officieuse dit que Mario Zagallo, le sélectionneur, ne voulait pas de Barbosa près de ses joueurs. Quelques mois auparavant, le président de la Fédération brésilienne en personne, Ricardo Teixeira, était intervenu pour qu’il ne commente pas un match du Brésil à la télévision. Le chat noir, encore et toujours. D’où les propos pleins d’une légitime amertume de l’ancien gardien. Et pourtant…
En son temps, Moacir Barbosa était considéré comme un immense gardien, une des idoles du Vasco de Gama de la seconde moitié des années 40, surnommé "L’Express de la victoire". Ses exploits avec le Vasco ont alors propulsé Barbosa jusque dans la cage de la Seleçao. A 29 ans, lors du Mondial 1950, celui qui a inventé le dégagement aux six mètres était au faite de sa carrière. Jusqu’à cette dernière demi-heure du dernier match, ce tournoi se déroulait comme dans un rêve pour lui comme pour le Brésil. Barbosa en fut d’ailleurs nommé meilleur gardien. Mais de tout cela, rien n’a subsisté, pulvérisé dans la mémoire collective par cette indélébile tâche. Condamné à porter seul la croix de tout un pays, il est devenu un paria. Un maudit.
Regarde, viens ici mon fils, c’est l’homme qui a fait pleurer le Brésil tout entier
Sa vie post-Maracanazo fourmille d’anecdotes tragi-comiques. Comme ce barbecue qu’il organisa chez lui en 1963 pour brûler le bois des poteaux du Maracana, que l’administrateur du célèbre stade lui avait offert. Vain exorcisme, bien sûr. Ou celle, plus cruelle, de cette femme qui, le reconnaissant à la sortie d’un supermarché de Rio en 1970, dit à son petit garçon : "Regarde, viens ici mon fils, c’est l’homme qui a fait pleurer le Brésil tout entier". Quelques semaines avant sa mort, en 2000, Barbosa avait confié que cette scène restait la plus douloureuse de son existence, celle qui l’avait fait le plus souffrir. On peut le comprendre. Le gardien de but, de par la nature solitaire de son poste, a toujours une propension, bien malgré lui, à focaliser l’attention, la critique, la colère, la rancœur et, quand les quatre se mélangent, la bêtise, d’autant plus dure à combattre qu’elle porte en elle des germes irrationnels. Moacir Barbosa a vécu cette expérience jusqu’à l’extrême, presque jusqu’à la caricature. Après le Maracanazo, il n’a plus gardé les buts du Brésil qu’une seule fois, en 1953, face à l’Equateur, avant une fracture de la jambe qui l’écarterait définitivement de la Seleçao.
Il faudrait attendre aussi le milieu des années 90 pour revoir un gardien de but noir en équipe du Brésil. Dida, lointain successeur de Barbosa, serait d’ailleurs un des premiers à réclamer publiquement une réhabilitation du paria. C’était avant la Coupe du monde 2006, six ans après la mort de Barbosa, qui n’aura pas eu le loisir d’entendre ces paroles réconfortantes : "Il est temps aujourd’hui de briser un tabou qui dure depuis plus de cinquante ans. Barbosa a fait de grandes choses pour le football brésilien mais après ce match, il a été crucifié. C’est quelque chose de terrible. Il faut souligner tout ce qu’il a apporté à notre sélection."

Et si le Maracana portait son nom un jour ?

Aujourd’hui, alors que la Coupe du monde revient au Brésil 64 ans après, le vent pousse à nouveau dans le sens d’une réhabilitation de Barbosa. Darwin Pastorin, journaliste italo-brésilien qui a travaillé 20 ans pour Tuttosport et dirige la chaine officielle de la Juventus Turin, a écrit un livre il y a quelques années sur l’ancien gardien de le Seleçao (L’ultime parade de Moacir Barbosa). Le mois dernier, il a tourné une vidéo où, face caméra, il interpelle l’idole de la Vieille Dame, un certain Michel Platini. Pastorin lui demande d’user de son influence pour que le Maracana soit rebaptisé "Stade Moacir Barbosa".
Il est peu probable que le grand pardon aille jusque là. Pas tout de suite, en tout cas. Mais le geste est symboliquement fort. Surtout, il aurait été inconcevable il y a encore quinze ou vingt ans. Il prouve qu’après lui avoir pourri les cinquante dernières années de sa vie, le Maracanazo semble au moins enclin à le laisser reposer en paix.
Bouc-émissaire idéal, parce qu’il était gardien de but et qu’il était noir, Barbosa a trop payé pour ce crime. "Certains pensent que le football est une question de vie ou de mort. Je suis très déçu par cette attitude. Je peux vous assurer que c’est beaucoup, beaucoup important que ça", a dit le grand Bill Shankly. A croire qu’il a prononcé ces mots spécialement pour Moacir Barbosa.
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