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Coupe du monde - Angleterre : L’invité surprise… tout sauf un hasard

Bruno Constant

Mis à jour 11/07/2018 à 13:03 GMT+2

COUPE DU MONDE - L’Angleterre, qui s’avançait vers le Mondial dans un scepticisme général, est l’invité surprise du dernier carré. Un exploit qui ne doit rien au hasard mais au travail de Gareth Southgate, son sélectionneur, qui avait tout prévu, dans les moindres détails.

Dele Alli et Gareth Southgate - Coupe du monde 2018

Crédit: Getty Images

On pourrait les appeler les improbables héros. Il y a Jordan, le petit gars de Washington, Harry, le monstre (du jeu aérien) venu de Sheffield, Kerian, "the Bury Beckham", Jesse, né entre Liverpool et Manchester, Dele, abandonné par son père dont il ne veut plus porter le nom (Alli). Il y a aussi Raheem, le prodige mal aimé, originaire de Jamaïque où son père fut abattu quand il avait deux ans, ou encore l’autre Harry, refoulé par Arsenal à 11 ans car jugé en surpoids. Ces gamins n’ont pas eu un destin tout tracé comme les Beckham, Gerrard et autre Rooney mais ils sont en passe de réussir là où la "golden generation" a échoué.
Il y a deux ans, pourtant, les héros d’aujourd’hui n’étaient, pour beaucoup d’entre eux, que d’illustres inconnus dans leur pays ou presque. Si Alli et Sterling faisaient déjà les gros titres de la presse britannique et partie intégrantes des Trois Lions de Roy Hodgson, Pickford sortait d’un prêt à Preston en D2 anglaise et avait disputé trois matches avec les pros à Sunderland, Trippier était la doublure de Walker à Tottenham, Maguire n’était que remplaçant en D2 à Hull qui venait de fêter sa montée en Premier League, Lingard émergeait seulement à Manchester United après une saison à Derby et Kane tirait les corners à l’Euro.
Et puis, il y a Gareth, le discret, l’élégant. L’homme qui murmure à l’oreille des chevaux malades pour les remettre dans le droit chemin, l’homme qui a fait exploser les ventes de veston chez Marks and Spencer. Un montage photo du gilet en question avec l’inscription "It’s coming home" réalisé par un fabriquant de téléphone est même devenu viral après que les supporters aient organisé une pétition pour la mise en vente de celui-ci. Passer du vulgaire "Big" Sam Allardyce qui détruisait une dizaine de chewing-gum par match, à l’élégant Gareth Southgate, quel grand écart ! Comme l’Angleterre de l’Euro 2016 au Mondial 2018.

Les Anglais peuvent remercier The Daily Telegraph…

Il y a deux ans, Gareth Southgate n’était que le sélectionneur des U21 anglais. Et les supporters devraient remercier The Daily Telegraph d’avoir piégé en caméra cachée Sam Allardyce, alors sélectionneur. Viré après soixante-sept jours et un seul match pour tentative de corruption, celui dont les médias britanniques ne voulaient pas à la tête des Trois Lions a dû céder sa place. Southgate accepta d’assurer l’intérim en attendant que la Fédération anglaise trouve un successeur qui fut finalement… Southgate.
Celui que personne n’avait vu venir et qui récidiva en Russie au point de faire de l’Angleterre, risée de l’Europe deux ans plus tôt face à l’Islande, l’invité surprise du dernier carré de la Coupe du monde où l’Angleterre ne s’était plus hissée depuis 28 ans ! Néanmoins, cet exploit qui déchaine les passions et ravive la fierté outre-manche ne doit rien au hasard. Gareth Southgate avait tout prévu, tout étudié et travaillé dans les moindres détails. Digne du grand Sherlock Holmes dont il perpétue également l’élégance du costume trois pièces.
Il a beaucoup voyagé, beaucoup observé, notant par exemple que les champions du monde allemands concédaient très peu de fautes dans leurs trente mètres. Et si, en huitième, l’Angleterre a mis fin à la malédiction des tirs au but face à la Colombie – ils avaient perdu six des sept dernières séances -, c’était tout sauf un miracle. Ce genre d’exercice n’a rien d’une loterie contrairement à ce que beaucoup pensent.
Harry Kane lors de Colombie - Angleterre / Coupe du monde 2018
Lors de sa finale de Ligue des Champions face au Bayern Munich avec Chelsea en 2012, Petr Cech était parti du bon côté six fois sur… six, parce qu’il avait étudié, à l’aide de Christophe Lollichon, l’entraîneur des gardiens, les habitudes des tireurs munichois. Southgate, lui, rumine depuis plus de vingt ans son tir au but malheureux lors de la demi-finale de l’Angleterre perdue face à l’Allemagne à l’Euro 2016 à Wembley. Le sélectionneur des Trois Lions et ses joueurs ont donc préparé cet exercice depuis le mois de mars dernier.

Il a analysé les tirs au but sous toutes les coutures

Avec son staff, il a analysé une centaine de séances dans les tournois majeurs et s’est aperçu que les Anglais étaient ceux qui tiraient le plus vite après le coup de sifflet de l’arbitre. Impatient, comme ressentant le besoin d’en finir avec ce sentiment qui leur tord les boyaux ? Il a demandé à ses joueurs de s’inspirer de Cristiano Ronaldo, réalisé une batterie de tests psychométriques pour déterminer les joueurs qui avaient les plus grandes aptitudes émotionnelles et psychologiques, organisé un tournoi de footgolf où les autres joueurs pouvaient déconcentrer le tireur et, enfin, placé les joueurs dans les conditions réelles d’une séance en leur demandant de marcher depuis le rond central.
Autre pièce essentielle du puzzle : les coups de pieds arrêtés. L’Angleterre a inscrit onze buts à la Coupe du monde, dont quatre sur corner et un sur coup franc, soit une véritable arme fatale. Comment l’expliquer alors que les Trois Lions n’avaient pas marqué un seul but en 72 corners lors des trois derniers tournois majeurs (Euro 2012, Mondial 2014, Euro 2016) ? Il y a bien sûr la qualité des pieds droits de Trippier et Young. Mais ce n’est pas tout.
Là aussi, Southgate avait tout analysé, remarquant que 11% des buts du Mondial 2014 l’ont été sur corner. Il a mis en place la technique de la "chenille" ou du "love train" (le "train de l’amour", surnommé ainsi par Glenn Hoddle en direct sur ITV) soit un alignement de quatre joueurs en file indienne – généralement Henderson, Stones, Maguire et Kane – à laquelle ses adversaires ne semblent pas savoir répondre. Une approche qui semble inspirée de l’équipe de Lincoln City, club de D4 anglaise, adepte du stratagème depuis deux ans.

Le "love train" sur corner et les écrans façon NBA

Néanmoins, l’idée de Southgate, très ouvert sur le monde extérieur et grand amateur du football américain, semble venir de l’autre côté de l’Atlantique. L’ancien défenseur a ainsi profité du "temps libre" offert aux sélectionneurs pour effectuer des allers-retours aux Etats-Unis et ainsi observer l’approche parfois chorégraphique des équipes de football NFL ou de basket NBA pour créer des espaces dans des situations ou des zones du terrain très denses. Il a assisté aux deux derniers Super Bowls ainsi qu’aux entrainements de l’équipe des Seattle Seahawks et a échangé avec Glen Taylor, le propriétaire des Minnesota Timberwolves.
Southgate souhaitait appliquer notamment les blocks (ou écrans) et les fausses pistes qui permettent à un joueur de se libérer du marquage en individuelle avec l’aide d’un coéquipier qui bloque la course de l’adversaire. Le premier but de Stones face au Panama vient ainsi d’un écran de Young tandis que le premier de Kane contre la Tunisie profite d’une fausse piste de Henderson au premier poteau.
Au-delà du passage à une défense à trois dont il ne souhaite pas s’écarter, l’approche tactique et les idées nouvelles de Southgate ont séduit les joueurs. "Cela ressemble à une révolution, admet Lingard. Le manager est arrivé avec de grandes idées notamment sur la manière dont il voulait nous voir jouer." Des idées neuves et une nouvelle dimension pour cette équipe d’Angleterre qui n’a peut-être pas fini de nous étonner.
Dele Alli (Angleterre), buteur face à la Suède, Coupe du monde 2018
Bruno Constant fut le correspondant de L’Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd’hui avec RTL et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté. Pour approfondir le sujet, retrouvez mon Podcast 100% foot anglais sur l’actualité de la Premier League et du football britannique.
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