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God Save(d) The… Panama et il est Anglais !

Bruno Constant

Mis à jour 24/06/2018 à 13:33 GMT+2

COUPE DU MONDE 2018 - Il se nomme Gary Stempel, il est Anglais, il était encore inconnu outre-Manche il y a six mois et c’est un peu grâce à lui si la Marea Roja se trouve aujourd’hui sur la route des Trois Lions.

Gary Stempel

Crédit: Imago

Pour Hernan Dario Gomez, son sélectionneur, la qualification historique du Panama pour sa première Coupe du monde est "une œuvre de Dieu". Il y a un peu de ça, sans doute.
Quatre ans après avoir laissé échappé son billet pour le Mondial 2014 dans le temps additionnel de son match face aux Etats-Unis (2-3), c’est un but fantôme de Gabriel Torres – l’égalisation accordée au joueur face au Costa Rica n’a jamais franchi la ligne – qui a relancé l’espoir du Panama puis une frappe de Roman Torres, son défenseur central bodybuildé en position d’avant-centre, en toute fin de match (88e) qui a définitivement envoyé son équipe en Russie, le 11 octobre dernier.
Une œuvre de Dieu donc mais, pour beaucoup de Panaméens, le Dieu en question s’appelle Gary Stempel. Il est Anglais et a donné goût au football à ce petit pays d’Amérique Centrale de 4 millions d’habitants, coincé entre le Costa Rica au nord et la Colombie au Sud, et surnommé "centre du monde, cœur de l’univers".

Educateur à Millwall dans les années 80

Ce technicien de 60 ans a passé les vingt dernières années de sa vie à enseigner le football au sein des différentes sélections panaméennes et du championnat des clubs. Un Anglais, oui, à qui il aura fallu placer la Marea Roja (la marée rouge) sur la route de sa propre patrie, ce dimanche à Nijni Novgorod, pour se faire un nom. Il y a six mois encore, personne ne connaissait le nom de Gary Stempel outre-Manche. Et pour cause, Stempel est né en 1957 à… Panama City, la capitale, d’une mère anglaise et d’un père panaméen, ex professionnel de baseball.
A l’âge de 5 ans, sa famille décida de rentrer en Angleterre, au nord de Londres, à Finchley. C’est donc presque tout naturellement qu’il est devenu fan du club voisin, Arsenal. Mais c’est à Millwall, le club de la banlieue sud de la capitale, qu’il a débuté sa carrière, en tant qu’éducateur en liaison avec les communautés locales tout en passant ses diplômes d’entraîneur. Après dix années chez les Lions, Stempel rentre au Panama, en 1996, avec une idée en tête : transmettre sa connaissance et son amour du football au sein d’un petit pays où les sports rois sont le baseball et la boxe.

Des joueurs dénichés dans les rues de Panama City

Après avoir travaillé avec différentes écoles, Stempel parvient à intégrer ce qui ne ressemblait pas vraiment à une Fédération pour en devenir l’entraîneur des U20 avec qui il obtient la médaille de bronze aux jeux d’Amérique Centrale de 1997. L’équipe était composée de joueurs dénichés dans les rues de la capitale panaméenne à l’image de Luis Coco Henriquez qui vendait des journaux dans la rue. "Certains ne savaient pas qui était leur père, d’autres avaient leur mère en prison et assuraient deux ou trois petits boulots pour subvenir aux besoins de leurs frères et sœurs", raconte Stempel.
En 1998, il poursuit son ascension en prenant en charge le club de Panama Viejo puis celui de San Francisco. Dans le même temps, la fédération lui confie la responsabilité de la sélection des U20, qu’il qualifie pour sa première Coupe du monde en 2003, puis des U23. Après un court passage au Salvador, il obtient la récompense suprême en héritant entre 2008 et 2009 de l’équipe nationale panaméenne, à qui il offre le premier trophée de son histoire dans un tournoi international majeur : la Coupe des Nations d’Amérique Centrale en 2009.
Une compétition que le Panama aurait dû disputer sur son sol mais dont il avait confié l’organisation au Honduras, faute d’infrastructures suffisantes. Puis, il guide ce petit pays de football en quart de finale de la Gold Cup pour la première fois. Après cela, Stempel retourne à San Francisco, où il remporte cinq titres en deux passages (2009-2010 puis 2012-2016) avant d’aller transmettre son savoir à d’autres nations comme le Guatemala, le Suriname ou Belize.
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Gary Stempel (avec la casquette), lors d'un entraînement quand il était à la tête du Panama.

Crédit: Getty Images

Le football aide les personnes défavorisées à se détourner du crime
La route fut parfois sinueuse, voire violente. Lors d’un match avec la sélection des U21, alors qu’il rentrait au vestiaire juste derrière l’arbitre de la rencontre, il est aspergé d’urine. Il est également confronté à la misère du pays en enseignant le bien fondé du football dans les prisons ou les bidonvilles de la capitale. "Mon expérience à Millwall m’a beaucoup aidé, admet-il. Millwall, dans les années 80, c’était un endroit très dur." Un club gangréné par le hooliganisme et la violence. "Ce n’était pas ce qu’on pourrait appeler une jolie place pour travailler. Il y avait beaucoup de problèmes : le racisme, la drogue, la violence. Quand je suis arrivé au Panama, c’était juste une progression naturelle."
"Le football aide les personnes défavorisées à se détourner du crime, explique Alvaro Robles, ancien joueur de la sélection de Stempel après avoir passé cinq ans en prison. C’est un outil très puissant." Il n’est pas rare, néanmoins, que d’autres fassent le chemin inverse, du football au crime. "Il est difficile de quitter le quartier dont vous êtes originaire, ajoute-il, et ceux qui dirigent les gangs peuvent offrir davantage d’argent que le football."
Jose Luis Garcès en est le principal exemple. L’attaquant, surnommé el Pistolero, était l’un des plus grands talents du Panama mais sa carrière a été en partie gâchée par ses mauvaises fréquentations et ses nombreux séjours en prison entre 2011 et 2012. Cependant, beaucoup doivent leur salut ou leur rédemption à Gary Stempel, qui organise encore aujourd’hui des matches de football et même un championnat dans les prisons panaméennes.

Le Mondial, élément fédérateur

"Gary nous a donné du courage, affirme Robles. Il ne nous a pas seulement appris comment jouer au football, il nous traitait également comme des êtres humains. Parfois, après l’entraînement, il nous emmenait au McDo et payait pour tout le monde. Son cœur est bien plus important que celui du seul coach." Sans lui, le Panama serait-il à la Coupe du monde aujourd’hui ? "Gary a pratiquement formé, développé tous les joueurs qui sont présents en sélection, admet Garcès. C’est lui qui nous a formé lorsque nous avions 17-18 ans."
Grâce à lui, le football est également devenu le sport numéro un au Panama et vibre au rythme de sa première Coupe du monde. "Cette qualification a beaucoup uni le pays, estime Hernan Gomez, son sélectionneur. Les joueurs sont devenus un exemple. Accomplir le rêve de toute une vie pour ce pays de 4 millions d’habitants est une leçon pour tout le monde. Et Gary est la personne qui le plus aidé le football panaméen." "Si, à travers le football, explique Stempel, vous pouvez changer ces joueurs, leur qualité de vie et qu’ils peuvent à leur tour changer la qualité de vie de leurs familles, les sortir des bidonvilles, alors cela a beaucoup plus de valeur que de remporter un championnat."
En ce dimanche après-midi, l’Angleterre en appellera à Dieu pour sauver la Reine. Le Panama, lui, a déjà remercié le sien. Et il est Anglais.
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Gary Stempel (à gauche), lorsqu'il était sélectionneur du Panama, en 2009.

Crédit: Getty Images

Bruno Constant fut le correspondant de L’Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd’hui avec RTL et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté. Pour approfondir le sujet, retrouvez mon Podcast 100% foot anglais sur l’actualité de la Premier League et du football britannique.
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