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Pourquoi l'Argentine ne forme pas de gardiens aussi exceptionnels que ses attaquants ?

Thomas Goubin

Mis à jour 16/06/2018 à 14:35 GMT+2

COUPE DU MONDE 2018 - Alors que Sergio Romero, indiscutable remplaçant à Manchester United, est absent en Russie, Willy Caballero devrait finalement garder les buts de l'Albiceleste. L'Argentine souffre pour trouver une paire de mains rassurante. Et cela n'a rien d'une nouveauté. Décryptage.

Messi et Caballero (Argentine)

Crédit: Getty Images

La nouvelle aurait dû secouer l'Argentine. Il n'en a pourtant rien été. Le 23 mai, Jorge Sampaoli décidait de se passer de Sergio Romero, son gardien titulaire. El Chiquito, son surnom, venait de se blesser au genou droit. Décisif lors du Mondial 2014, notamment en demi-finale face aux Pays-Bas, la doublure de De Gea à Manchester United a vu son absence saluée comme une bonne nouvelle par certains, alors qu'aucune solution évidente ne s'imposait pour le remplacer. Une situation qui en dit long sur le manque de confiance qu'inspire les gardiens argentins.
Finalement, c'est Willy Caballero, 36 ans et capé pour la première fois en mars dernier, qui devrait se présenter entre les poteaux argentins, samedi, face à l'Islande (15h). Remplaçant à Chelsea et auparavant à Manchester City, il prendrait la place d'un remplaçant à Manchester United ... L'autre prétendant au poste se nomme Franco Armani. Ce gardien de 31 ans sort d'excellentes saisons à River Plate et Atlético Nacional (Colombie), mais n'a encore jamais joué un match international. Plus loin derrière, on trouve Nahuel Guzmán, le fantasque gardien des Tigres de Gignac, rappelé après l'éviction de Romero. El Chiquito a pourtant assuré qu'il aurait pu être remis sur pied pour le début du Mondial, mais Sampaoli voulait un gardien apte à participer à tous les entraînements. Rarement décevant en sélection, même si sa dernière saison comme titulaire en club remonte à 2012-2013 (Sampdoria), Romero n'aurait-il pourtant pas été la meilleure des solutions ? Tout du moins, la moins mauvaise, pour un pays qui n'a plus formé un gardien qui fait référence à son poste depuis des lustres.
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Willy Caballero

Crédit: Getty Images

Formation défaillante

Le mal est profond. "Le problème c'est qu'en Argentine, être gardien cela à longtemps été réservé au petit gros ou à celui qui n'est pas habile avec ses pieds" introduit Esteban Pogany, ex-entraîneur de gardiens au sein de l'AFA (association de football argentine) de 2010 à 2016. Une absence de considération pour la fonction qui peut permettre de mieux comprendre comment un pays qui a formé des joueurs d'époque à tous les postes peine à sortir ne serait-ce qu'un portier indiscutable pour sa sélection. Gardien de 1970 à 1996 en première division argentine et colombienne, Pogany estime toutefois cette tendance lourde révolue, même s'il reconnaît qu'il existe un trou générationnel. "Lors des années 90, le gardien a commencé à gagner en charisme, c'était l'époque des Chilavert (quadruple champion d'Argentine avec Vélez Sarsfield entre 1993 et 1998), Higuita, ils portaient des tenues qui attiraient l'attention, ils marquaient des buts, les enfants les adoraient".
"C'était l'époque des gardiens fous, reprend Thierry Barnerat, entraîneur de gardiens suisse et instructeur FIFA, des leaders qui avaient un énorme impact sur leur équipe, mais depuis, le poste a beaucoup évolué, contrairement aux méthodes d'entraînement". Et l'Argentine a tardé à s'adapter à la nouvelle donne. En 2012, un article de la Nación relevait que le poste d'entraîneur de gardiens commençait tout juste à se généraliser en première division argentine. "Aujourd'hui encore, il n'existe pas de diplôme d'entraîneurs de gardien reconnu, déplore Pogany, et des gens sans formation remplissent cette fonction".
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Chilavert

Crédit: Getty Images

Les Romero, Caballero, et autres Abbondanzieri (titulaire lors du Mondial 2006), seraient donc le fruit de méthodes d’entraînements un brin archaïque. D'une formation des formateurs défaillante. "Souvent, les gardiens argentins, et plus largement les latino-américains, sont à l'aise avec leurs pieds, ce qui est une vraie qualité au sein du football actuel, brosse Barnerat, sur l'explosivité, les arrêts à mi-hauteur, ils sont également bons, mais la grande révolution méthodologique c'est d'entraîner à la prise de décision, et c'est là-dessus, que des De Gea ou Neuer sont exceptionnels. Parfois, la meilleure décision c'est de rester dans ses buts et pas de sortir, même si cela est plus spectaculaire". "C'est vrai que Romero, par exemple, est insuffisant sur ses déplacements sur sa ligne pour s'adapter à l'orientation du jeu" reconnaît Pogany, qui est, lui aussi, instructeur FIFA.
"D'excellents entraîneurs de gardiens en Argentine"
Pour Barnerat, il faut distinguer l'entraînement analytique traditionnel, quand le gardien travaille ses réflexes en connaissant la destination de chaque ballon, du situationnel, où il s'agit de reproduire une situation de jeu, avec la dose d'aléatoire qui lui est inhérente. "Nous avons mis un peu de temps à nous actualiser,à combiner les deux méthodes, reconnaît Pogany, qu avait élu meilleur gardien du championnat argentin en 1989-1990, notamment à cause du désordre au sein de l'AFA. L'entraînement tactique mais aussi psychologique était insuffisant, mais aujourd'hui il y a vraiment d'excellents entraîneurs de gardiens en Argentine."
Sur les quarante dernières années, un seul nom fait l'unanimité en Argentine : Ubaldo Fillol, gardien des champions du monde 1978. Depuis ? Il y a certes eu Sergio Goycoechea, héros de la Coupe du Monde 1990, mais le playboy qui faisait fondre la mère de Miossec lors de son passage au Stade Brestois (1991), n'a jamais séduit les grands clubs européens. "Goycoechea a surtout été le gardien d'un Mondial, estime Pogany, sur les pénaltys, il était exceptionnel, ce qui est une grande vertu, mais j'ai du mal à la situer parmi les meilleurs. Dans les sorties aériennes, il n'était pas franchement fiable". En 1998, il y eut aussi Carlos Roa. Excellent en France, il remportera le trophée Zamora en 1998-1999, alors qu'il évoluait à Majorque. Ses prestations lui vaudront même l'intérêt de Manchester United, mais Roa décide alors d'interrompre sa carrière pour des raisons religieuses.
Aujourd'hui, l'Argentine dispose de gardiens capables de séduire des grands clubs européens, comme Romero ou Caballero, mais qui ne parviennent pas à s'y imposer. Des portiers qui seraient bien hasardeux de placer à hauteur des De Gea, Neuer, Stegen, Ederson, Courtois, ou même Lloris. Pogany voit toutefois la lumière au bout du tunnel. "A partir du cycle de Sergio Batista (2008-2011, comme sélectionneur U20, puis des A), le poste d'entraîneurs de gardiens a été davantage pris au sérieux, et aujourd'hui avec de jeunes entraîneurs comme Diego Placente (sélectionneur U15) ou Pablo Aimar (sélectionneur U17), nos jeunes sont de mieux en mieux formés". "Je vous l'assure, poursuit-il, ces quatre ou cinq prochaines années vous verrez de grands gardiens argentins débarquer en Europe". En attendant, Jorge Sampaoli va devoir bricoler…
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