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Coupe du monde 2022 | Finale France - Argentine | L'Angleterre emportée par la Griezmania

Philippe Auclair

Mis à jour 16/12/2022 à 20:44 GMT+1

COUPE DU MONDE - C'est une sorte de syndrome de Stockholm, version Mondial. L'Angleterre voit tout ce qui lui manque depuis son élimination au Qatar, et se console en admirant le génie d'Antoine Griezmann. Au point de se lancer dans une improbable réhabilitation, empreinte de fascination. Snobé outre-Manche sous le maillot de l'Atlético, le Français est devenu le sujet de tous les superlatifs.

Messi, Griezmann ou Mbappé : qui sera désigné meilleur joueur du Mondial ?

Pour commencer, il n'y en avait eu que pour Kylian Mbappé, le prodige, la mégastar, le phénomène, avec mentions honorables pour deux nouveaux recordmen en bleu : le gardien de Tottenham Hotspur et l'ancien avant-centre d'Arsenal et de Chelsea, autrement dit Hugo Lloris et Olivier Giroud. Et puis tout a basculé. L'Angleterre est tombée amoureuse d'Antoine Griezmann. l'Angleterre a eu le coup de foudre pour l'architecte de son élimination.
On ne dira pas qu'elle ignorait complètement son existence auparavant ; mais sa présence dans la football conversation britannique était des plus discrètes au regard de qu'il avait déjà accompli, un peu, beaucoup à cause du club auquel on l'associe immédiatement et qui, s'il est besoin de la préciser, n'est pas Barcelone, mais l'Atlético de Madrid de Diego Simeone, honni d'entre les honnis en Angleterre comme presque partout ailleurs. Mais là, d'un coup, d'un seul, tout est pardonné. Comme si l'on parlait d'un autre joueur - ce que Griezmann, c'est vrai, est un peu devenu.
L'Angleterre voyant midi à sa porte plus que peut-être toute autre nation de football, le révélateur ne pouvait manquer d'être son match contre les champions du monde en titre, dans lequel il trouva le moyen d'allumer des feux et, dans le même mouvement, d'éteindre incendie sur incendie sur un terrain dont chaque centimètre carré portait l'empreinte de ses crampons. "Les choix courageux de Southgate défaits par le talent artistique de Griezmann", avait titré le Times. Et quand il remit ça contre le Maroc, on passa de l'éloge au dithyrambe.

Une transformation que personne n'avait anticipée

Lorsque la BBC posa la question : "Antoine Griezmann est-il une légende française sous-cotée ?", tout le monde répondit "oui". C'était tout juste si on ne se demandait pas si les notes de 9 sur 10 qu'on lui décernait match après match n'étaient pas un brin sévères à son égard. Le "super-talent, très, très malin, qui lit le jeu admirablement" vanté par Alan Shearer, devint en l'espace d'une semaine le point focal de toutes les analyses, et Dieu sait s'il y en eut, y compris dans les quotidiens d'actualités générales comme le Daily Mail, le Guardian ou le Times ; y compris dans le journal de référence du monde des affaires, le Financial Times, qui donna une pleine page au journaliste Simon Kuper pour expliquer la transformation du laissé-pour-compte du Barça en MVP virtuel de la Coupe du monde.
On passa en revue ses statistiques, comme c'est logique, nombre d'occasions créées, de ballons récupérés, etc, etc, mais sans s'y attarder. Il s'agissait avant tout d'illustrer comment le troisième meilleur buteur de l'histoire des Bleus s'était métamorphosé en milieu de terrain, et quel milieu de terrain !, à l'âge de trente-et-un ans, car c'est cela, cette transformation que personne n'avait anticipée (et dont le mérite est aussi attribué à Didier Deschamps), qui fascine tant l'Angleterre.
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Faut-il craindre un arbitrage pro-Argentin en finale ? "Il n'y a pas de complot..."

Personne n'en a sans doute mieux parlé que Barney Ronay, de The Guardian. "Peut-être est-ce la nouveauté de son nouveau rôle en milieu de terrain, la manière dont il l'a endossé avec un tel appétit, a-t-il écrit. Est-ce que quelque autre le joue ainsi, ce rôle, avec la même diablerie, toujours prêt à pirouetter ?". Ronay, souvent malicieux, s'est aussi fendu d'une comparaison qui fera s'étrangler ceux qui sont suffisamment âgés pour se souvenir de Séville et de Guadalajara. "La France est la nouvelle Allemagne, selon une théorie [en vogue], ou, plutôt, la nouvelle Allemagne de l'Ouest, une équipe qui, tout simplement, sent qu'elle va gagner, et comprend exactement la façon dont cela va se passer. Ayant ceci à l'esprit, il semblait approprié que Griezmann jouât ici [contre le Maroc] comme un mélange de Lothar Matthäus, d'Andreas Brehme et même de Jürgen Kohler, surgissant encore et encore dans la surface de réparation française pour dégager le ballon lorsque les Marocains pressaient".

Une régularité, au sommet

Ce ton, dans lequel la surprise n'est jamais bien loin de l'admiration la plus sincère, est celui que l'on relève partout, avec, en sus, comme un parfum de mea culpa. On a affaire à un footballeur exceptionnel, c'est une évidence. Mais comment a-t-on pu l'ignorer si longtemps? Qu'est-ce qui nous aveuglait à ce point ? Et ceux qui avaient mieux vu que les autres ne se privaient pas d'enfoncer le clou, comme James Gheerbrandt du Times.
Avec les Bleus, écrit-il, "aussi farfelu que cela puisse paraître, je pense que, pour son abnégation, sa polyvalence, sa constance dans l'impact et sa capacité à se hisser à la hauteur des moments décisifs, quand l'histoire est en équilibre sur le tranchant d'un rasoir, Griezmann est le plus remarquable des footballeurs internationaux de la dernière décennie, et l'un des plus grands de tous les temps. [...] Ce qui emporte l'argument est l'extraordinaire constance et durabilité de Griezmann. Le quart-de-finale contre l'Angleterre était son soixante-douzième match international consécutif pour la France. Il en a manqué un pour la dernière fois il y a cinq ans et demi. Quelle preuve incroyable de dévouement et de cran, de ténacité et d'amour. Certains joueurs considèrent le football international comme un spectacle secondaire, dans lequel ils peuvent figurer ou pas à leur envi. Griezmann s'y est impliqué avec chaque fibre de son être."
Yes, it's love. Il y entre peut-être une part de projection, car ce nouveau Griezmann, qui joue 4, et 6, et 8, et 10, n'est-ce pas une version aboutie de ce que l'Angleterre espère bientôt avoir en Jude Bellingham, et qui lui manque depuis si longtemps, une fusion des talents de Frank Lampard et de Steven Gerrard, avec l'intelligence de Michael Carrick et les "diableries" de Paul Scholes pour servir de liant ? Les Anglais sont cruellement conscients de cette déficience, en laquelle ils n'ont pas tort de voir l'une des raisons de leurs échecs répétés sur la scène internationale depuis plus de cinquante ans. Ce qu'ils admirent chez Griezmann est aussi ce qui leur manque. Leur amour n'en est pas moins sincère pour autant.
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