Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout
Opinion
Football

Droits TV : énorme bluff mais petite victoire

Cédric Rouquette

Publié 23/04/2015 à 14:17 GMT+2

Quasiment 750 millions d’euros : la L1 n’aura jamais valu aussi cher qu’au terme de l’appel d’offres lancé en deux temps trois mouvements par la LFP. Il a vu Canal+ et Be In Sports accepter de jouer le jeu des enchères pour la période 2016-2020 pour déboucher sur ce montant record.

Droits TV : énorme bluff mais petite victoire

Crédit: Eurosport

Il valorise la L1 au-dessus de la Bundesliga et au niveau de la Liga sur le plan de sa valeur économique et de sa promesse de spectacle télévisuel. C’est une vraie performance, presque indécente si l’on compare le niveau de football pratiqué là-bas, sur des marchés domestiques pourtant comparables. C’est, à ce titre, un chiffre qui fera date.

Le succès consommé - notamment le succès politique de Frédéric Thiriez, qui sera sorti indemne des trois grosses batailles pour les droits TV à haut risque de ses mandats - il est très utile de s’attarder sur ce chiffre de 748,5 millions par saison pour relever que sous son apparente opulence, il est une contrainte pour la Ligue 1 autant qu’une opportunité. Autrement dit : le résultat de l’appel d’offres ne donne pas de réelle marge de développement aux clubs français pour les six prochaines années. Il leur permet de souffler, voire de survivre. C’est une excellente nouvelle pour beaucoup d’entre eux. Mais il n’est rien de plus. Cet appel d’offres anticipé était clairement un geste politique placé sous le signe de la peur. Il n’en découle qu’un soulagement. Pas les moyens d’un changement de braquet dont nos dimanches soiront pourtant bien besoin. Voici quelques chiffres cachés derrière le chiffre pour s’en convaincre.

1.Il n’a pas fallu plus de deux heures pour que les langues se délient sur la distance entre la somme obtenue et les aspirations des dirigeants de L1, qui tablaient sur 850 ou 900 millions par an, comme nous l’a confié à chaud le co-président des Verts Bernard Caïazzo. Il faut se souvenir que Jean-Michel Aulas avait estimé la valeur de la L1 à 800 millions d’euros annuels… pour la période 2008-2012, celle d'avant Zlatan et Falcao. Avec le recul des ans, la L1 n’aura jamais atteint ce plafond. Avec 748,5 millions (dont 22 au titre de la L2), le foot pro ne profite que de façon imparfaite d’une concurrence extrême menée entre acteurs très bien-portants et football-dépendants.

2.L’enveloppe dont pourra profiter la Ligue 1 ne sera pas de 750 millions par saison. Cette somme doit être révisée après la soustraction de la taxe Buffet pour le développement du sport (5%) et de la part réservée à la L2. A titre de comparaison, en 2012-2013, les clubs de L1 s’étaient répartis 489,7 millions sur un montant global initial de 608 millions. Appliqués aux montants actuels, cela veut dire que quasiment 38 millions seront absorbés par la taxe Buffet et que plus de 108 millions seront reversés à la L2. La part du gâteau de la L1, ce sera 600 millions (chiffre arrondi).

3. La répartition des droits par club épouse un schéma complexe, mêlant classement sportif et notoriété sur cinq saisons, et qui permet au premier de gagner environ quatre fois plus que le dernier (47 millions pour l’OM en 2012-2013, et 12,9 millions pour Troyes par exemple : classement complet ici). La hausse enregistrée vendredi, et répercutée sur 2016-2020, représentera, sur ces bases, entre 3 et 10 millions supplémentaires, environ, par club et par saison. Si on cherche à transférer cette force de frappe à l’échelle des stricts renforts sportifs, on peut imaginer un transfert de plus par an et par club. Un Payet de plus l’OM et quelques "coups" supplémentaires comme Toivonen, Aguilar ou Khalifa pour les clubs moyens, si on se base sur les chiffres du dernier marché.

4. Il n’y aura pas, cela dit, vingt transferts de plus par saison dans le sens des arrivées. Ce serait oublier qu’avant d’investir, les clubs devront éponger leur passif. Pour certains, ils n’auront même que cela à faire. Les clubs ont perdu 61 millions d’euros en 2011-2012, soit moitié moins que la saison précédente, malgré l’ajout de 250 millions d’euros par les actionnaires respectifs des différents clubs (source DNCG dans son dernier rapport disponible). Les perspectives à très court terme, entre 2014 et 2016, ne sont pas meilleures. Pour les formations dont le propriétaire n’aura pas massivement mis la main à la poche, la nouvelle somme ne pourra avoir pour vertu ultime que l’assainissement des comptes, accompagné d’une austérité persistante sur le plan des transferts et des salaires. Quand Jean-Michel Aulas dit dans L'Equipe que les clubs peuvent maintenant rassurer les banques, il a à peu près tout résumé.

Une autre façon de percevoir la situation permet de dire que les clubs ont quasiment gelé leurs perspectives de développement jusqu’à l’horizon 2020, quelle que soit l’évolution du marché du football européen. En sécurisant leur principale source de revenus, ils l’ont aussi figée. Estimés à 60 millions d’euros, les droits à l’étranger ne changeront pas significativement la donne. Pas plus que les droits mobiles, valorisés à 25 millions. Tous sont attribués jusqu’en 2016.


La L1 a du pétrole, il lui manque des idées pour devenir un vrai spectacle

Les deux autres sources de revenus principales des clubs sont les rentrées commerciales et marketing d’un côté, les produits des transferts de l’autre. L’accroissement des rentrées commerciales pourra au mieux suivre une courbe parallèle à celle des droits TV, avec une grande inégalité selon la taille des clubs. Tous y travaillent, et plus encore ceux dont le stade va évoluer grâce à l’Euro 2016. Mais de nombreux exemples (Lille notamment) montrent qu’il est aventureux de croire aux miracles. Quant aux transferts, c’est une ressource aléatoire, moins solide qu’auparavant. Et quoiqu’il arrive, seule une minorité d’équipes peut prétendre à réaliser des coups qui changent un train de vie pour une saison ou deux.

Moralité : si le nouvel accord sur les droits TV permet aux clubs d’avoir la visibilité qui leur manquait, elle ne permet pas, sur le papier, d’accroissement décisif des moyens de développement de la Ligue 1. Si ces moyens doivent venir de quelque part, ce sera de la détermination des dirigeants, et des entraîneurs qu’ils mandateront pour cela, à faire du Championnat de France un véritable spectacle. Pour la troisième fois en trois appels d’offres, les diffuseurs viennent d’envoyer un message de confiance absolue, presque aveugle et pour tout dire touchant, sur le fait que cet horizon d’une L1 qui régale les yeux était possible. Aux clubs de l’entendre pour fidéliser leur public. Au fond, la Ligue 1 a du pétrole. Au moins pour six ans de plus. Puisse-t-il lui donner des idées pour justifier son statut de spectacle le plus cher de la télé payante.

Relire : le Ligue 1 laisse le PSG et Monaco partir sans elle

Cédric ROUQUETTE
Twitter : @CedricRouquette
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité