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Existe-t-il un remède pour le sport ?

Philippe Auclair

Mis à jour 12/07/2022 à 15:48 GMT+2

"Existe-t-il un remède pour le sport?" C'était la question posée lors de la conférence Play The Game. Comme s'il allait désormais de soi que ce sport, football au premier chef, était bien malade, et pas seulement du dopage ou du truquage de matches. C'est sa gouvernance même qui est en cause : les instances qui en ont la charge, la FIFA au premier lieu, échappent à tout contrôle. Réveil en vue ?

Gianni Infantino à Paris en 2019

Crédit: Getty Images

C'est l'actualité politique qui veut ça : cette chronique a Westminster pour point de départ. Mais c'est bien vers Zurich qu'elle se dirige.
Le Royaume-Uni vit des moments étranges, et inédits. Un Premier ministre désavoué par son propre parti, éclaboussé par d'innombrables scandales, plus impopulaire que jamais, a annoncé qu'il quittait la tête des Conservateurs. Boris Johnson n'a pourtant pas présenté sa démission. A aucun moment n'a-t-il prononcé ce mot. Et, sauf coup de théâtre, Boris Johnson demeurera Premier Ministre jusqu'au moment où les Conservateurs auront choisi un nouveau leader - un processus qui durera des mois. L'homme qui a chuté va donc assumer son propre intérim. C'est invraisemblable, mais c'est ainsi.
Il aurait pu se retirer de la scène après avoir perdu la confiance de son propre gouvernement. Il a préféré exploiter le flou constitutionnel qui entoure sa situation pour adresser un bras d'honneur à ceux qui l'avaient lâché. (Et le football dans tout cela? D'une certaine manière , on y est déjà.)
De la même façon, l'homme qui avait si souvent bafoué le code de conduite ministériel britannique avait toujours pu échapper à quelque sanction que ce soit, pour la bonne et simple raison que la personne responsable de l'application de ce code de conduite était... lui-même.
Voilà à quoi mène une "constitution" ambigüe, jamais couchée par écrit, dont le bon fonctionnement dépend entièrement du désir des gouvernants de respecter ses principes. Voilà pourquoi le débat politique britannique, aujourd'hui, tourne si souvent autour de cette fameuse "constitution" qui n'est pas une. Autrement dit, autour de la gouvernance.

Qui surveille qui ?

Nous y voilà. De Westminster, nous passons à Zurich. Car ce qui choque dans le cas d'un Premier ministre démocratiquement élu passe quasiment inaperçu dans un autre univers politique, celui du sport; qui inclut, ô combien, celui du football, dans lequel une instance qu'on trouve fréquemment sur le banc des accusés est aussi celle qui est censée mener les investigations dans ses propres affaires et les punir : la FIFA.
Cette grande organisation sportive, qui proclame le plus haut et le plus fort son attachement indéfectible aux principes de transparence et d'intégrité, est aussi celle sur laquelle aucun organisme de contrôle indépendant n'a prise, détentrice d'un pouvoir dont elle use et abuse sans craindre qu'on lui en tienne rigueur.
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Gianni Infantino

Crédit: Getty Images

Le Tribunal Arbitral du Sport ? Non. D'une part, la cour de Lausanne n'intervient qu'en cas de litige; de l'autre, son mode de financement pose problème, puisque la FIFA est l'un de ses bailleurs de fonds.
Les choses sont ainsi faites. Ce serait un moindre problème si elle était dirigée par des dirigeants ne songeant qu'au bien du sport; comme l'absence d'une "vraie" constitution serait un moindre problème pour les Britanniques, si les intérêts que servait Boris Johnson étaient d'abord ceux de son pays avant d'être les siens. Il en va autrement dans les faits.
Les Commissions de Gouvernance et d'Éthique de la FIFA, soi-disant "indépendantes", le furent rarement totalement et le sont encore moins depuis que Gianni Infantino, après avoir purgé ses membres les plus retors, dont l'ancien ministre portugais Miguel Maduro (*), créa un poste de "directeur" des Commissions "indépendantes" dont il confia la responsabilité à deux proches alliés, l'avocat italien Mario Gallavotti tout d'abord, puis son ancien collègue de l'UEFA Carlos Schneider - ce qui, si on prolonge le parallèle avec la vie politique britannique, rappelle beaucoup la nomination par Boris Johnson de la députée conservatrice Suella Braverman, si pliante et si compréhensive, au poste crucial d'avocate-générale du Royaume-Uni.
La police de la FIFA est donc policée elle-même par un policier que la FIFA elle-même a choisie. La FIFA a ses statuts. Elle a la maîtrise des lois du jeu. Mais il n'y a pas de "constitution" du football. Pas de Conseil Constitutionnel. Pas de séparation des pouvoirs.
Comment avoir confiance en un tel système ? Et comment sortir de ce cercle vicieux ?

La prise de conscience

C'est la question qui, sous une forme ou sous une autre, a sous-tendu quasiment toutes les présentations et débats, formels ou non, qui ont animé la conférence Play The Game qui s'est récemment tenue pendant quatre jours à Odense, au Danemark. "Ah, une autre conférence, dira-t-on en soupirant. Comme si le football en avait besoin..." eh bien si, justement, il en a plus besoin que jamais. Et Play The Game n'est pas une sorte de Davos du football où les puissants du sport viendraient échanger des amabilités en public et conclure des deals en coulisses. La première de ces conférences, qui sont financées par le gouvernement danois, et dont les intervenants ne sont pas rémunérés, s'était tenue il y a vingt-cinq ans; et en un quart de siècle, le rendez-vous est devenu incontournable pour quiconque s'intéresse aux questions de gouvernance sportive.
Ce n'est pas seulement le message qu'on a entendu au Danemark qui était frappant. C'était aussi l'identité de ceux et celles qui voulaient le faire passer. Créer une agence de lutte contre la corruption dans le sport, qui soit "au dessus" des instances, FIFA comprise ? Certainement, car "nous ne pouvons pas attendre que des organisations publiques ou sportives le fassent", dit Drago Kos, le Président du groupe de travail sur la corruption de l'OCDE. "Les crimes sont des crimes. L'autonomie du sport n'a pas de rôle à jouer". Dixit Paolo Bertaccini Bonoli, un consultant de l'Office des Nations unies contre les drogues et le crime.
Les mots ne sont pas nouveaux. On les avait entendus quand les agents du FBI étaient venus réveiller des dignitaires de la FIFA à l'aube dans leur palace de Zurich en 2015, mais pas dans les mêmes bouches, et la dynamique, elle, est nouvelle. Ce ne sont plus seulement quelques activistes qui sont parvenus à la conclusion que les grandes instances du sport étaient devenues incapables de se gouverner. Ce sont aussi des agences internationales et des spécialistes de la lutte contre le crime organisé qui l'affirment.
Il est évidemment hors de question que la FIFA se plie d'elle-même à quelque contrôle extérieur que ce soit; et il y aura toujours le casse-tête de savoir comment donner une légitimité à une agence de lutte contre la corruption dans le sport, qui aie les pouvoirs statutaires d'enquêter et de punir. Les cyniques auront toujours beau jeu de dire que les mots ne coûtent rien, et que mettre en place une telle agence coûterait très cher; ils diront aussi que, pour être vraiment légitime, elle aurait elle aussi besoin d'une autorité de tutelle qui supervise son action et garantisse son indépendance; et ainsi de suite. Et même les partisans les plus convaincus de la nécessité d'une telle agence concéderont qu'on est encore très loin de savoir comment passer de sa conception à sa création.
Ce qu'on a entendu à Odense ne constitue donc qu'un premier pas. Nous en sommes encore au stade de la prise de conscience. Celui des résolutions suivra. L'alternative - l'inaction - est trop déprimante pour qu'on puisse l'accepter.
Et peut-être qu'un jour, le Royaume-Uni se dotera d'une constitution.
(*) Maduro avait notamment bloqué la nomination du ministre de Poutine Vitaly Mutko au Conseil de la FIFA.
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