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Grandes joies et immenses peines : Mes années Hidalgo

Bertrand Milliard

Mis à jour 31/03/2020 à 11:50 GMT+2

Il est l'heure de dire un dernier au revoir à Michel Hidalgo, dont les obsèques se tiennent ce mardi à Marseille. L'occasion, aussi, pour Bertrand Milliard, de lui rendre un hommage très personnel. Il a grandi avec cette équipe de France de la fin des anénes 70 et du début des années 80. Les Bleus des deux Michel, Hidalgo et Platini. Souvenirs.

Michel Hidalgo pendant la Coupe du monde 1982.

Crédit: Getty Images

Par Bertrand MILLIARD
Pour les personnes de ma génération, enfants de l’ère Hidalgo – plus communément appelés les "vieux" - ce sélectionneur de l’équipe de France est celui qui les a fait rêver, au travers de trois grandes compétitions internationales. Celui aussi qui, le premier, a trouvé la voie du succès.
En 1978, je m’éveille doucement au football. L’épopée des Verts de 76, je n’en ai qu’un très vague souvenir, celui d’une fête organisée à la maison par mes parents le soir de la finale. Mais ce sont plus les jus de fruits et les biscuits au chocolat qui m’ont marqué que le match. De cette époque remontent mes premiers vrais souvenirs de foot télévisé : le 7-2 de Bastia contre Carl Zeiss Iena en Coupe de l’UEFA, la finale de la Coupe des Coupe entre Anderlecht et l’Austria Vienne ou la finale de Coupe de France entre Nancy et Nice remportée par les Lorrains grâce à un but de….. Michel Platini.
La Coupe du Monde, je vais la vivre en pointillés. Il y a un décalage horaire avec l’Argentine et je ne peux voir que les matchs disputés en journée, et pas à l’heure de l’école. Le 2 juin, je suis en train de faire des courses avec ma mère et mes sœurs. L’heure tourne, celle du match contre l’Italie, le premier des Bleus dans ce Mondial, approche. Sans grand espoir, je demande la permission de rentrer seul pour ne pas louper le début. Accordée ! Je me précipite, récupère la clé dans sa cachette, ouvre la porte, allume le téléviseur en noir et blanc. Pile pour le début de la rencontre.
Colère aussi, un peu, contre Didier Six
Heureusement, car Bernard Lacombe ouvre le score de la tête après seulement 37 secondes de jeu. Le but le plus rapide de l’histoire de la Sélection. Un début en fanfare qui me réjouit mais la suite sera plus dure. Plus expérimentée, plus "vicieuse", la Squadra Azzura inscrit deux buts et s’impose 2-1. Déception. Puis frustration et colère à l’issue du deuxième match, contre l’Argentine organisatrice. Frustration du résultat et de ne pas pouvoir regarder la rencontre, trop tardive. Colère contre l’arbitrage, pour le moins "favorable" aux locaux pendant la compétition (on n’oublie pas le très suspect 6-0 face au Pérou au second tour, qualificatif pour la finale grâce au goal average…). Le pénalty concédé par Marius Trésor juste avant la mi-temps fait polémique.
Colère aussi, un peu, contre Didier Six, qui mange la feuille et le but du 2-1 après un travail somptueux de Platini. Cette occasion me fait encore mal quand je la revois aujourd’hui, plus de quarante ans après. Finalement, la France perd encore 2-1 et se retrouve éliminée avant même l’ultime match de poule. Ce duel contre la Hongrie, elle aussi éliminée, m’a pourtant marqué pour deux raisons : d’abord le maillot rayé vert et blanc porté par les Bleus ce jour-là.
Suite à une erreur de l’intendant français, les deux équipes se présentent en effet en blanc. Les maillots bleus sont déjà dans l’avion du retour et ce sont des motards de la police qui partent en ville chercher un jeu de maillots du petit club local de pêcheurs, le Club Atletico Kimberley, provoquant un retard d’une demi-heure au coup d’envoi ! La seconde raison, c’est le match en lui-même, de qualité, remporté 3-1, et donnant pas mal de regrets. Ces Bleus sans expérience n’auraient pas été ridicules au deuxième tour.
En pyjama, sur le tapis du salon
Mon grand souvenir suivant remonte à novembre 1981. Entre temps, Michel Hidalgo n’a pas réussi à qualifier ses hommes pour la phase finale de l’Euro 80. Une seule défaite, 0-2 en Tchécoslovaquie, avec notamment une panenka de…. Panenka, aura eu raison des Français, deuxièmes de leur groupe et éliminés. La campagne suivante est difficile également : défaites en Irlande, en Belgique et aux Pays-Bas, succès dans la douleur à la maison face aux Diables Rouges. Les Bleus se retrouvent dos au mur, dans l’obligation de remporter leurs deux dernières rencontres au Parc des Princes, face aux Pays-Bas et à Chypre.
Face aux partenaires de Johnny Rep et Rudi Krol, les Bleus peinent, la tension est très palpable et un coup franc splendide de Platini va les délivrer à la 53e minute. Un coup d’éclat car le capitaine néerlandais s’est placé au poteau droit, laissant le gauche à son gardien Van Breukelen. Pourtant le joueur de Saint-Etienne parvient à trouver une mince ouverture pour y loger le ballon.
Explosion de joie, Platini termine à genoux dans une posture qui restera célèbre et moi aussi, en pyjama, sur le tapis du salon, délivré et tellement heureux. Six ajoutera un second but, puis Chypre sera balayé 4-0 pour valider la qualification, mais ce moment, ce coup franc, demeureront inoubliables. On sent qu’un "truc" vient de se passer. Vivement le Mundial !
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"Le France - Pays-Bas de 1981 est le match le plus important du mandat d'Hidalgo"

Comme si la souffrance marquait plus que la joie
L’apogée des années Hidalgo, paradoxalement, c’est la Coupe du Monde 1982, c’est une défaite, une 4e place. C’est là que s’est forgée la légende, que les souvenirs les plus inoubliables se sont inscrits en nous. Comme si la souffrance marquait plus que la joie. Comme si le résultat avait finalement moins d’importance que le contenu, que le jeu proposé, que les circonstances, que les scénarii…
Avant le "formidable drame" de Séville, il y aura la nette défaite d'entrée contre l’Angleterre, puis cet incroyable match contre le Koweït, remporté 4-1. Je suis alors en voyage de classe et ne verrai jamais l’intégralité des débats mais on se tient au courant par radio interposée. C’est ainsi que l’on vit, à 3-1, la descente sur la pelouse d’un cheikh koweitien, frère de l’émir, intimant aux joueurs de son pays de rentrer au vestiaire après un but de Giresse accordé alors qu’un coup de sifflet avait retenti dans les tribunes, ayant pu tromper les défenseurs croyant au hors-jeu.
Fait incroyable : l’arbitre, cédant à la pression, décide d’annuler le but. On va voir alors un autre Michel Hidalgo, excédé, entrant sur le terrain, repoussé par la Guardia Civil. Rouge de colère, il s’attaque aussi à une caméra mais rien n’y fera. L’image de la réaction à cette injustice flagrante restera, là encore, pour l’éternité. La France gagne, on est contents quand même. La qualification se joue lors d’un France-Tchécoslovaquie très crispant.
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Michel Hidalgo lors du France - Koweit de 1982.

Crédit: Getty Images

Ascenseur émotionnel
Pour une fois, l’enjeu prend le pas sur le jeu. Un nul suffit pour passer et Hidalgo mise sur une tactique défensive qui aurait pu se retourner contre lui. Certes Six ouvre le score et on se voit déjà au deuxième tour, mais Panenka (encore lui !?) égalise sur pénalty à cinq minutes de la fin et les Bleus rejoignent la phase suivante sur un fil quand Amoros repousse un ballon sur sa ligne de but à la dernière minute. Ascenseur émotionnel : la peur cède la place au plaisir d’être assuré de voir au moins deux rencontres supplémentaires.
Ce deuxième tour sera – presque – une formalité. Au cours d’un match dominé mais sans efficacité offensive, Bernard Genghini, en l’absence de Platini, distille un coup franc splendide laissant Koncilia, le portier autrichien, enlacé à son poteau. C’est ce jour-là que j’entendrai pour la première fois l’expression "nettoyer la toile d’araignée". L’Autriche, qui a participé au "match de la honte" avec la RFA au premier tour pour éliminer l’Algérie, est punie. 1-0, minimum syndical.
Pour le spectacle, on attendra le match suivant, un festival offensif ponctué de deux doublés de Rocheteau et Giresse. Deux images me reviennent : celle de Rocheteau percuté et grimaçant au moment d’inscrire le 3-0. Et celle du but de la tête de Giresse, le plus petit joueur de l’équipe, et de la joie qui s’en suit. Une équipe heureuse et en demi-finale.
Ces larmes-là n’ont jamais séché
Comment raconter autrement le match d’une vie ? Ce 8 juillet 1982, c’est le jour de l’enterrement de mon grand-père maternel, qui, jusqu’au bout, aura regardé et commenté la Coupe du Monde, dont il ne verra pas l’issue. Un contexte triste et particulier pour cette demi-finale face à la RFA. Nous sommes avec mon père et mon cousin dans un hôtel de Sisteron, entouré d’une quinzaine de personnes, dont…. un touriste allemand. Tous passeront par tous les états.
La terrible agression de Schumacher sur Battiston vaut à notre voisin allemand des regards noirs. Pas de rouge, pas même de faute sifflée, l'injustice est gigantesque. Amoros qui trouve la transversale à la 90e minute et un peu plus de frustration engendrée. Prolongation. Sur le but de Trésor, je bondis de joie et cours jusqu’au bar des arcades, situé à une centaine de mètres, prévenir ma mère et ma tante, qui suivent uniquement au son des réactions des téléspectateurs.
Rebelote sur le but de Giresse, la joie est intense, la finale est là, on la touche du doigt, et c’est tellement mérité. La France surclasse l’Allemagne dans cette prolongation, plus rien ne peut arriver. Je me souviens néanmoins du frisson que procure l’entrée en jeu de Rummenigge, l’homme providentiel pour nos adversaires. Comme un pressentiment. 3-2, on y croit toujours mais le cœur bat plus fort. 3-3, Ettori qui regarde filer dans la cage le retourné de Klaus Fischer, l’impossible se produit. Stupéfaction générale.
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Klaus Fischer

Crédit: Imago

Notre touriste allemand murmure de satisfaction mais reste mesuré, fusillé du regard par le reste de l’assemblée. Les tirs au but arrivent. Je reste sur un très mauvais souvenir en cette maudite saison 81-82 : la défaite des Verts en finale de la Coupe de France, aux tirs au but justement, après avoir été rattrapés par le PSG à la 120e minute. Non, pas deux fois, pas ça, pas encore ! Stielike rate, un peu d’espoir qui revient, mais pas de soulagement, la tension est maximale. Et Six manque le péno qu’on ne verra jamais, même au ralenti.
Ettori s’étant transformé en plot tournant sur lui-même, cette séance semble à nouveau mal barrée et la sanction tombe : Bossis échoue et Hrubesch achève les Bleus. Le touriste allemand éructe de joie, à notre plus profond dégoût. Sa chambre étant contigüe à la mienne, je l’entends entrer dans cette dernière et réveiller sa femme en hurlant. De mon côté, les larmes coulent. Le deuil familial reprend aussi le dessus. Ces larmes-là n’ont jamais séché.
Sur le coup-franc de la 57e minute, je ne comprends pas ce qui se passe
Le 27 juin 1984, l’excitation monte. Ce soir, c’est la finale de l’Euro face à l’Espagne pour les Bleus. Le téléphone sonne. C’est la fille de la meilleure amie de ma mère, c’est à moi qu’elle veut parler. Elle vient de récupérer deux places pour le match et ne sait qu’en faire, donc me les propose. Incroyable aubaine. J’appelle mon cousin (oui, celui du France-RFA) et c’est parti. Places récupérées, direction le Parc des Princes pour assister à un moment historique, à l’apothéose.
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Michel Platini et Michel Hidalgo sur la pelouse du Parc des Princes après le sacre à l'Euro 1984

Crédit: Getty Images

Sur le coup franc de la 57e minute, je ne comprends pas ce qui se passe. L’action se déroule de l’autre côté et le tir de Platini a été stoppé par Arconada. Pourtant une clameur parvient de la tribune Auteuil et les joueurs se congratulent. Il me faudra attendre le retour au bercail pour comprendre ce qui s’est réellement passé. Le but de Bellone nous libère définitivement et scelle ce premier grand succès du sport collectif français. Je me souviens du trophée soulevé par Platini, qui le méritait tant, puis du tour d’honneur, de voir de près ces héros, un Jean Tigana ivre de joie, un Hidalgo fier du devoir accompli.
On a le sentiment d’avoir enfin gagné quelque chose, on ressent comme un soulagement, comme un baume apaisant passé sur la plaie deux ans après la blessure. Mais cela ne suffira pas à effacer la déception de 82. Le sélectionneur en personne exprimera ce sentiment un peu trouble. Ses Bleus auraient mérité d’être champions du monde.
Six ans dans ma vie à suivre et aimer cette équipe de France, ses péripéties, ses grandes joies, ses immenses peines. Rien que pour cela : merci, Monsieur Hidalgo.
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"On peut faire un parralèle entre Jacquet et Hidalgo, les deux sont partis de loin"

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