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La trahison de Ben White

Philippe Auclair

Mis à jour 21/03/2024 à 15:29 GMT+1

Ben White a décliné, et l'Angleterre s'est indignée. Le latéral droit d'Arsenal s'est mis tout un pays à dos, en refusant de rejoindre les Three Lions pour disputer les deux matches amicaux face au Brésil (23 mars) et à la Belgique (26 mars). Les critiques acerbes ont plu contre un joueur aussitôt perçu comme ingrat envers Gareth Southgate. Une levée de boucliers qui a agacé Philippe Auclair.

Ben White.

Crédit: Getty Images

Ben White n'est pas le premier joueur à avoir dit "merci, mais sans moi" à son sélectionneur, et il ne sera pas le dernier non plus ; mais les réactions à son refus de rejoindre le groupe de l'équipe d'Angleterre pour deux matches de gala, contre le Brésil ce samedi et la Belgique mardi prochain, sont sorties de l'ordinaire. A lire les commentaires postés sur les réseaux sociaux comme dans certains articles publiés dans la presse, y compris celle dite "de qualité", on pourrait penser que le défenseur d'Arsenal a commis une trahison méritant qu'on l'enferme dans la Tour de Londres. Et cela, alors que sa décision serait demeurée inconnue du grand public si Gareth Southgate ne s'était longuement exprimé sur le sujet lors d'un point-presse jeudi dernier, le jour même où White avait prolongé son contrat avec les Gunners jusqu'au 30 juin 2028, avec option d'une année supplémentaire.
"Ben White sera toujours connu pour avoir refusé de jouer pour l'Angleterre", tonnait Henry Winter dans le Times, dans une chronique lourde de sous-entendus. "C'est un immense privilège de représenter son pays et White se fera fustiger pour avoir rebuffé Southgate. Il est un professionnel, il peut s'accommoder des piques des supporters adverses, mais il doit être conscient de tous les commentaires déplaisants qui seraient dirigés à l'encontre de sa famille". Des "commentaires déplaisants" aux menaces, il n'y a qu'un pas que beaucoup d'imbéciles ne se priveront pas de faire - et encore plus aisément si des commentateurs "respectés" leur donnent l'ombre d'une justification.

Une histoire contrariée avec les Three Lions

Le 'crime' dont on accuse White est pourtant des plus mineurs si on prend le soin de le contextualiser. Lui au moins n'est pas de ces hypocrites qui invoquent de mystérieuses blessures pour sécher quelques matches amicaux - quarante-cinq dans le cas d'un spécialiste de l'exercice, Ryan Giggs, dont les pieds-de-nez à la sélection galloise (et alors qu'il en était le plus indiscutable des titulaires) étaient si fréquents qu'ils étaient devenus un sujet de plaisanterie. Il n'a pas non plus refusé de participer à un grand tournoi, comme Adrien Rabiot refusa de figurer sur la "liste d'attente" de Didier Deschamps avant la Coupe du Monde de 2018.
Or, si le footballeur lui-même n'a pas voulu livrer les raisons de sa décision, et que Gareth Southgate n'a pas souhaité s'étendre sur la question, on en sait suffisamment du passé de l'arrière droit d'Arsenal avec les Three Lions pour avancer plus que des hypothèses à leur sujet : on peut proposer une explication, et je ne parle pas ici de cette 'explication' des plus vives que White aurait eu avec le sélectionneur-adjoint Steve Holland juste avant le début de la Coupe du Monde de 2022, dont le joueur s'absenta pour 'raisons personnelles'.
Peut-être ce différend joua-t-il son rôle ; mais il était davantage l'expression d'un clivage pré-existant que sa cause. Ben White a beau aujourd'hui être l'arrière droit le plus performant du championnat d'Angleterre, il n'a jamais été le premier choix de Southgate dans cette position. Trippier, James, Alexander-Arnold (voire Walker si besoin est) l'ont toujours devancé dans la hiérarchie du manager anglais. White, jusqu'à présent, n'a pas été la cinquième roue du carosse de l'Angleterre, mais, au mieux, sa sixième ou septième. A preuve ce qu'il advint lors de l'Euro 2020, quand le défenseur, alors à Brighton, ne fut inclus dans le groupe de Southgate qu'après qu'Alexander-Arnold se fut blessé. Du tournoi lui-même, il ne disputa pas une minute.

En décalage avec son temps

D'autres joueurs s'accomoderaient d'un pareil statut ; mais Ben White est coulé dans un moule inhabituel. Ben White dénote dans un milieu somme toute des plus conformistes. Ben White, disons-le aussi net qu'il le reconnut lui-même, ne s'intéresse au football que lorsqu'il y joue. Le reste du temps, il a des choses plus importantes à faire que de regarder un match à la télévision - si ce n'est pour analyser son propre jeu. Il n'est pas le seul dans ce cas, évidemment. Mais il est un des rares à ne pas s'en cacher, et cela dérange.
"Apprendre à le connaître prend du temps", dit de lui Jorginho, tandis que Declan Rice avoue "ne pas pouvoir l'expliquer" et que son capitaine Martin Ødegaard reconnait que "si vous le considérez de l'extérieur, vous pourriez penser qu'il est quelqu'un [...] qui n'accorde pas beaucoup d'importance [au football], [alors qu'il est] l'un de ceux qui tiennent le plus à l'équipe et à ses coéquipiers".
Il n'est peut-être pas si étonnant que cela qu'un joueur en décalage patent avec ce qu'il est convenu d'attendre d'un footballeur professionnel se sente mal à l'aise dans l'environnement d'une sélection vivant en vase clos, d'autant plus que le rôle qu'il devrait jouer en son sein n'est pas des plus clairs. On sait que Gareth Southgate est de ces sélectionneurs qui mettent la fidélité au premier rang des vertus attendues d'un membre de Team England. Or Ben White n'est ni Harry Maguire, ni Jordan Henderson, dont l'état de forme et les choix de carrière semblent ne pas avoir de conséquences sur leur statut de 'protégés' au sein de la sélection anglaise.

Le poids de la sélection

Le White qu'on voit briller en Premier League, complice préféré de l'indiscutable Bukayo Saka, ferait pourtant du bien à cette sélection, comme Southgate l'admet - sans amertume, doit-on souligner. La porte à sa réintégration reste d'ailleurs ouverte. Southgate, patriote s'il en est, n'a rien d'un fanatique, à la différence de ceux qui crient 'au traître !' aujourd'hui, et qui ne disaient rien quand Paul Scholes avait soudain mal au dos à l'approche d'une trêve internationale.
C'est que l'Angleterre a changé. L'un de ses charmes est qu'elle savait porter son amour du drapeau de St George comme si celui-ci ne pesait presque rien. Ce n'est plus le cas, quand, chaque automne, le port du coquelicot est devenu obligatoire dans les stades et sur les plateaux de télévision (et gare à qui ne marcherait pas droit), et quand la finale de la FA Cup a pris des allures de parade militaire. Les soldats n'y figuraient autrefois que pour y jouer l'hymne et agrémenter la mi-temps de quelques fanfares. Ce temps-là est révolu. Les tenues de camouflage ont remplacé les uniformes de parade. Le patriotisme est désormais de rigueur. Etre appelé par l'Angleterre est un honneur, un privilège. Répondre à cet appel est donc un devoir.
Alors, au final, que reproche-t-on à White, si ce n'est qu'il n'a pas l'âme d'un soldat, n'a aucune intention de donner des excuses et ne se sent coupable de rien ?
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Ben White à la Coupe du monde 2018, avec les Three Lions.

Crédit: Getty Images

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