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Rancoeur, admiration et amour du foot : l'Angleterre vit la mort de Maradona à sa manière

Philippe Auclair

Mis à jour 26/11/2020 à 22:10 GMT+1

Le traitement du décès de Diego Maradona outre-Manche a rappelé la rancœur encore présente d'une partie du Royaume contre l'Argentin. Certains médias se sont ainsi essentiellement contentés de revenir sur cet Argentine - Angleterre teinté de polémique de la Coupe du Monde de 1986, n'insistant pas outre mesure sur le génie de l'Argentin. Mais une autre Angleterre existe aussi.

Captains Diego Maradona of Argentina and Peter Shilton of England attend a coin-toss

Crédit: Getty Images

"Au cours d'une vie dans laquelle le drame ne fit jamais défaut, il se montra aussi un menteur, un tricheur et un égomaniaque". Ainsi se clôt le premier paragraphe de la nécrologie que le Daily Telegraph consacra au 'plus grand joueur de sa génération' (Gary Lineker dixit), quelques heures après que la nouvelle de la mort de Diego Maradona avait frappé des millions d'amoureux du football au plus profond de cet amour, y compris en Angleterre, le pays grâce auquel - en quelque sorte - Maradona devint vraiment Maradona pour la planète entière, lors de la Coupe du Monde de 1986.
Il ne servirait à rien de revenir sur ce qu'il se passa au Stade Aztèque de Mexico City, le 22 juin 1986. Vous aurez tant vu et revu ces images que, pour un peu, vous pourriez croire que vous aussi y étiez. Le problème de l'Angleterre - d'une partie de l'Angleterre - est que le temps semble s'être arrêté ce jour-là quand il s'agit du génie de Lanús. La BBC, par exemple, consacra la plus grande partie de son 'hommage' à ce match, ne faisant qu'effleurer la grandeur de ce qu'accomplit Maradona à Naples, qui est, peut-être, dans toute l'histoire du football, le tour de magie le plus inouï qu'un homme, un seul, pût accomplir sur un terrain de football.
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Diego Maradona: "Hand of God" - Argentina v England - World Cup 1986

Crédit: Imago

Mexico, le Séville de certains Anglais

D'une certaine façon, cela peut se justifier. Ce match-là, celui de la 'main de Dieu' et du dribble fou qui poussa son commentateur argentin, la voix brisée par l'émotion, à parler de Diego comme d'un 'cerf-volant cosmique' - je n'invente rien -, pouvait servir de résumé à une carrière dans laquelle l'ange et le démon changeaient souvent de costume en coulisses.
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10 secondes, 5 adversaires effacés et 32 km/h : le "but du siècle" de Maradona décortiqué

La fameuse main, pourtant, n'avait rien de vraiment satanique. Pied-de-nez, sans doute. Bras d'honneur, peut-être. Mais rien de pis que cela. Je crois l'avoir déjà mentionné ici, mais cette main-là n'était pas pire que celle dont Jackie Charlton se servit pour stopper le ballon sur sa ligne de but lors de la victoire des Anglais sur le Portugal à la World Cup de 1966. La différence est que l'arbitre de cette rencontre accorda un penalty aux Portuguais, tandis que celui du Stade Aztèque ne fit rien. Mais qu'y pouvait Diego?
Gary Lineker, qui adorait Maradona, avec lequel il avait d'ailleurs tourné un formidable documentaire pour la BBC, vingt ans pile après 'the' match, m'a raconté comment certains des joueurs anglais avaient été à deux doigts, ou un poing, de provoquer une bataille rangée dans le tunnel des vestiaires. Terry Butcher et Peter Shilton, ce qui ne surprendra pas ceux qui connaissent leurs personnalités et leur 'patriotisme', étaient particulièrement animés ce jour-là. Et au fil des ans, Mexico devint un peu le Séville des Anglais. Enfin, de certains Anglais.
Mexico n'était pourtant pas Séville. Autant la France avait brillé contre l'Allemagne, autant l'Angleterre avait été timide face aux Argentins. Il n'y avait pas de Schumacher dans le but de La Albiceleste. L'Angleterre n'avait réagi que bien trop tard et n'avait jamais mené au score. Malgré tout cela, le sentiment d'avoir été victimes d'une injustice sans nom s'installa dans la psyché de la sélection et de ses supporters. Il y avait de la rage dans cela, mais pas la rage d'avoir été floués, la rage d'avoir été, une fois de plus, tout simplement moins bons, remis à sa place par un footballeur sorti du bidonville.

L'autre "Angleterre"

A les entendre, leur équipe s'était fait voler, non seulement un match (qu'elle n'avait jamais été en position de gagner), mais la possibilité d'un titre, vingt ans après celui de Wembley. La faute à qui? A Diego Maradona, le prototype du footballeur que l'Angleterre n'avait jamais produit et ne produirait jamais, qu'elle jalousait et détestait en même temps.
Voilà pourquoi, en Angleterre, au soir de l'annonce de la mort de Maradona, on entendait quelques accords discordants dans le concert d'hommages qui lui étaient rendus ailleurs. Cela ne veut dire que ces accords aient trouvé un public qui les applaudît, et c'est là qu'il faut prendre grand soin de ne pas mélanger les genres, ou les Angleterres.
S'il y a celle du Telegraph, du Daily Star qui titre "Où était le VAR quand on en avait besoin..." ou du Daily Mail, qui crut bon laisser passer le mot 'Argie' (un terme xénophobe dont le Sun usa et surtout abusa pendant la guerre des Malouines) dans une notice par ailleurs honorable, il y aussi une autre Angleterre, plus jeune, qui n'ouvre pas ces journaux, et pour qui Maradona fut et restera un dieu. C'est l'Angleterre qui avait fait un triomphe au Maradona du documentariste Asif Kapadia, pour qui les frontières ne sont pas un butoir dressé pour repousser l'autre, mais un obstacle à franchir pour aller à sa rencontre. On doit espérer qu'un jour viendra où elle sera l'Angleterre tout court, et où on n'aura plus à lire des phrases comme celle qui ouvrait cette chronique. Que ce jour vienne, le plus tôt possible.
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Sansom was first choice for England, and is seen here to the left of Diego Maradona during Argentina's famous win at the 1986 World Cup

Crédit: Eurosport

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