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Les obstacles et barrières dans la lutte contre le racisme au stade

Sport et Citoyenneté

Mis à jour 19/11/2020 à 08:42 GMT+1

Si le monde du football s'émeut régulièrement des actes de racisme et cherche à luttre contre, ce triste phénomène sévit toujours aux abords des pelouses. Pour Albrecht Sonntag, il y a des caractéristiques propres à ce jeu qui peuvent offrir une vision différente du problème. Et le processus pour l'héradiquer va mettre du temps.

Manchester United's English striker Marcus Rashford warms up wearing an anti-racism top ahead of the English Premier League football match between Tottenham Hotspur and Manchester United at Tottenham Hotspur Stadium in London, on June 19, 2020

Crédit: Getty Images

  • Albrecht Sonntag, membre du conseil scientifique de SPORT & CITOYENNETÉ, professeur à l’ESSCA Ecole de Management.
Sport et Citoyenneté
Devant la litanie des incidents racistes ou discriminatoires dans le football, on est en droit de se montrer désemparé : malgré le consensus sur le caractère inadmissible de ces phénomènes, malgré les nombreuses actions menées pour les combattre, malgré les progrès considérables qui ont été réalisés ces dernières années, le fléau n’a toujours pas disparu. Comme si on avait atteint un plafond en-dessous duquel un racisme "résiduel" soit quasi-impossible à éliminer.
Comment expliquer cet échec persistant ? Faut-il renvoyer la faute au caractère "incorrigible" de certains individus, qu’ils agissent dans les gradins, sur le terrain ou encore dans les salles de réunion ? Cette explication paraît un peu simpliste. On peut aussi poser la question autrement : et si c’était le football lui-même qui serait à l’origine du problème ? Il y a effectivement des caractéristiques propres à ce jeu qui peuvent donner une clé de lecture différente du problème.
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Anti-racism organisation Kick It Out has criticised European football's governing body UEFA

Crédit: Eurosport

Le football, un environnement à part

Il y a d’abord l’environnement émotionnel particulier que génère un match de football, et qui est propice à l’expression de sentiments négatifs. Il est vrai que les occasions de se réjouir sont extrêmement rares. Un match, c’est avant tout une succession d’actions prometteuses mais déjouées, de maladresses et de ratages, d’espoirs contrariés et d’injustices ressenties. Le but, et la délivrance qu’il offre, sont l’exception, noyée dans une longue accumulation de frustrations. Une crispation nerveuse qui n’est guère favorable au contrôle de soi et à la tempérance.
Ensuite, il y a, bien sûr, la puissance de la logique partisane, démontrée à de nombreuses reprises par la recherche en sciences sociales, dans le sillon de l’ethnologue Christian Bromberger. Cette logique de l’opposition frontale entre deux camps a produit tout un "langage de la rivalité partisane" solidement ancré dans la nature binaire des confrontations footballistiques et inséparable de l'espace spécifique du stade de foot. Dans le stade, les émotions agressives et les propos injurieux normalement bannis jouent même un rôle essentiel dans la construction de la solidarité et de la cohésion du groupe.
Cette analyse fait suite à la théorie de la civilisation développée par le sociologue Norbert Elias, selon laquelle un jeu comme le football a un effet "cathartique" : il libère des pulsions archaïques en les canalisant dans un besoin d'humiliation agressive du rival qui puise dans la violence verbale, toujours dans le but de déstabiliser l'adversaire par tous les moyens. Dans la configuration d’un match de football, l’injure raciste ou la stigmatisation verbale de minorités sont des options certes détestables, mais qui ont l’avantage d’être disponibles à tout moment et efficaces pour toucher l’adversaire là où ça fait mal.
Tout cela forme un environnement qui favorise à la fois le racisme de type "impulsif", plutôt spontané et dû à un relâchement du contrôle sociale sous la pression émotive du jeu, et le racisme de nature "instrumentale", consciemment utilisé dans le désir de blesser l’adversaire. Il convient de mentionner que le football connaît aussi la discrimination "institutionnelle" ou "systémique", notamment dans l’encadrement, le management, et les organismes de gouvernance, même si ce dernier, plus caché, soulève bien moins d’indignation dans le débat public.
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Racism once again marred an England game with Bulgaria

Crédit: Getty Images

Comment endiguer ce phénomène?

Comment faire évoluer cet éco-système délétère ? Cela ne semble possible que par une pression durable et cohérente de l’extérieur. Il faut, symboliquement, abattre les murs du stade qui permettent à des comportements d’un autre temps de se calfeutrer à l’intérieur en faisant fi des évolutions que connaît la société dans sa vie quotidienne.
Et ces évolutions ont été spectaculaires durant les dernières décennies, comme l’ont révélé les linguistes qui se sont penchés sur la logique de l’insulte, présente dans toutes les langues humaines. Depuis toujours, les hommes ont utilisé le langage pour dénigrer, humilier et rabaisser autrui. Mais dans le même temps, la société redéfinit en permanence ce que certains scientifiques appellent le "critère de politesse de la classe moyenne", une sorte de paramètre par défaut des utilisations du langage qui sont considérées comme acceptables ou, au contraire, tabous. Ce paramètre bouge sans cesse, et la sensibilité généralisée aux remarques racistes et discriminatoires dans toutes les sphères de la société a atteint aujourd’hui un niveau qui ne permet plus au football de minimiser, en plaidant le deuxième degré et des traditions anodines, un écart grandissant avec les standards admis du langage.
La pression sur le football augmente, donc. Et elle portera ses fruits, même si les décideurs dans les instances de gouvernance, malgré une prise de conscience et une bonne volonté plutôt crédible, n’ont de toute évidence pas encore trouvé la solution pour endiguer le phénomène de manière durable. Pourtant, les outils existent. C’est leur application qui demande davantage de détermination, de cohérence, et de discernement. Peut-être ausssi un peu plus de courage. Et, sans doute, du temps, car l’élimination de la discrimination verbale dans le football est un projet de longue haleine.
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