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Le "choc psychologique", mythe dépassé ?

Louis Pillot

Publié 16/12/2017 à 00:03 GMT+1

LIGUE 1 - Le "choc psychologique" a la peau dure. Le mythe veut que les clubs changeant d'entraîneur en cours de saison progressent instantanément. Pourtant, les expériences récentes montrent que se séparer de son coach n'a finalement que peu d'incidence au point de vue des résultats.

Jocelyn Gourvennec

Crédit: Getty Images

Avec une victoire en onze matches de Ligue 1, Bordeaux s’enfonce chaque semaine un peu plus dans la crise. Une partie des supporters a trouvé la parade pour endiguer cette spirale infernale. Contre Strasbourg (défaite 0-3), certains ont appelé à la démission de Jocelyn Gourvennec, le coach des Girondins. Avec, en ligne de mire, un changement d’entraîneur censé engendrer un “choc psychologique” et inverser la courbe des résultats. Le mythe, s’il reste tenace, est pourtant remis en question par les expériences récentes.
Les techniciens arrivés en cours de saison en Ligue 1 connaissent en effet un succès mitigé. Pour Sabri Lamouchi (Rennes), Frédéric Hantz (Metz), Julien Sablé (Saint-Étienne) et la “cellule technique” du LOSC dirigée par Joao Sacramento, le choc psychologique n’a pas existé. Les quatre équipes se sont en effet inclinées lors du match marquant leur prise de fonction. Lamouchi, avec la défaite du Stade Rennais contre Strasbourg (2-1), a même stoppé la série de quatre victoires d’affilée initiée par Christian Gourcuff avant son départ.

Peu de mieux, beaucoup de moins bien

Les matches suivants ont confirmé la tendance des nouveaux entraîneurs à faire moins bien que leur prédécesseur. Sabri Lamouchi est le seul à avoir redressé la barre, avec trois victoires et un nul en cinq rencontres de championnat. L’ex-sélectionneur de la Côte d’Ivoire culmine à 2 points par match, contre 1,25 pour Christian Gourcuff lors de ses 12 matches à la tête de Rennes cette saison.
Au contraire, Frédéric Hantz fait à peine mieux que Philippe Hinschberger à Metz, avec respectivement 0,33 et 0,3 point par match cette saison. La cellule technique lilloise fait elle moins bien que Bielsa (0,75 point par match, contre 0,92 pour l’Argentin), quand Saint-Étienne s’est littéralement écroulé depuis le départ d’Oscar Garcia et l’arrivée de Julien Sablé (1,38 point par match pour l’Espagnol, 0,40 pour le Français).
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Julien Sablé, entraîneur de l'AS Saint-Etienne

Crédit: Getty Images

De quoi relativiser la thèse du choc psychologique, qui implique un effet immédiat pour les équipes changeant d’entraîneur en cours de saison. D’autant que, sur les 29 cas recensés depuis début 2015, seuls 8 entraîneurs ont réussi leur entrée en matière avec leur nouveau club. Près de 35% des coaches perdent même le premier match joué avec leur équipe, et un pourcentage similaire fait match nul. Les statistiques ne disent finalement pas grand chose d’un prétendu électrochoc.

Le choc psychologique, simple chimère ?

Le mythe a pourtant la peau dure : changer d’entraîneur inverserait presque immédiatement la courbe des résultats. Certains techniciens, à l’allure de pompiers, s’en sont même faits une spécialité. Citons Rolland Courbis et Frédéric Hantz en France, ou encore Sam Allardyce et Tony Pulis en Premier League, appelés en priorité dès qu’une équipe va mal.
La saison passée, une poignée d’entraîneurs arrivés en cours de saison ont eux plutôt accrédité la thèse de l’existence d’un effet psychologique durable. Sergio Conceiçao, arrivé le 13 décembre 2016 en remplacement de René Girard au FC Nantes, a remporté six de ses sept premiers matches toutes compétitions confondues. Le Portugais, parti depuis au FC Porto, interrompait alors une série de sept matches sans victoire. Et le FC Nantes, 19e à son arrivée, a terminé septième du championnat de France.
Mais le cas de Sergio Conceiçao reste rare. Malgré l’existence, périodiquement, d’un sursaut lors des premiers matches, la tendance n’est souvent que peu inversée sur la saison. Bernard Casoni, remplaçant de Sylvain Ripoll à Lorient, n’a pu éviter la relégation du club l’année dernière. De même pour Rui Almeida, successeur de François Ciccolini à Bastia, et incapable de redresser la barre pour empêcher le club corse de terminer dernier.
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Sergio Conceicao lors de Nantes - Montpellier en Coupe de Ligue le 13 décembre 2016

Crédit: AFP

La science (presque) formelle

La question du choc psychologique a fait l’objet de nombreuses études ces dernières années. Et toutes, ou presque, sont formelles : changer d’entraîneur n’a aucune conséquence sur les résultats d’une équipe. C’est la thèse défendue par Matthieu Llorca et Thierry Teste en 2010 (“Impact des changements d'entraîneur sur les performances sportives des équipes de football : le cas du championnat de France de ligue 1”, La Revue Européenne de Management du Sport).
Dans leur conclusion, les deux hommes expliquent : “Licencier son entraîneur en cours de saison n’améliore pas les résultats sportifs du club, ce qui n’est pas le cas lorsque le changement d’entraîneur a lieu lors de la période estivale.” L’affirmation est clairement vérifiable cette saison, au vu de la réussite de Claudio Ranieri à Nantes. Llorca et Teste interprètent leurs résultats en expliquant que “les présidents des clubs de Ligue 1 considèreraient les entraîneurs comme des boucs-émissaires responsables des mauvais résultats sportifs. Toutefois, changer de coach en cours de saison déstabilise l’équipe plus que tout et rend la politique sportive du club instable.
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Claudio Ranieri sur le banc de Nantes

Crédit: Getty Images

L’économiste Bastiaan Johan Weel, dans une thèse exposée à la BBC en 2013, va même plus loin. Auteur d’une étude sur le football néerlandais entre 1986 et 2004, il a comparé les résultats des équipes venant de se séparer de leur entraîneur avec les résultats des équipes ayant connu une mauvaise série similaire. L’économiste n’y découvre que peu de différences, et conclut : “Les équipes qui connaissent une baisse de forme inhabituelle vont rebondir et retrouver leur place normale dans le championnat, qu’elles changent d’entraîneur ou non.

Régression vers la moyenne

Weel applique en fait la thèse de la “régression vers la moyenne” au football. Ce phénomène statistique a été théorisé par Francis Galton au XIXe siècle. En bref, la théorie veut que, sur le long terme, tout revient à la normale et que les extrêmes finissent toujours par retourner vers la moyenne. Traduite au football, elle stipule donc qu’après une série de défaites, l’équipe concernée finira toujours par inverser la tendance.
D’où, sûrement, la croyance en ce fameux “choc psychologique”. L’inversion de la courbe des résultats, lors de l’arrivée d’un nouvel entraîneur, est automatiquement associée au changement. Or, si l’on croit Weel, les résultats se seraient améliorés quoi qu’il arrive. Elle suffit pourtant pour les dirigeants à justifier le licenciement de l’entraîneur précédent, en invoquant cet effet psychologique assumé sur le groupe. Et donc à perpétuer ces pratiques impatientes.
On ne peut nier que parfois, le message d’un entraîneur ne passe tout simplement plus, et qu’un changement peut-être nécessaire. Mais, à en croire la majorité des études sur le sujet, l’influence du technicien ne serait de toute manière que limitée. Les changements d’effectif réalisés pendant la période estivale, ou la puissance économique du club auraient plus de poids que le coach, malgré la surmédiatisation des entraîneurs à laquelle on assiste ces dernières années. Le licencier répondrait alors non seulement à un besoin d’inverser les résultats, mais également à des critères économiques ou au respect de la volonté des supporters. Et Jocelyn Gourvennec, pour l’instant soutenu par son président, pourrait en être la prochaine victime.
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Jocelyn Gourvennec (Bordeaux)

Crédit: Getty Images

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