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Ligue des champions: Chelsea, ses supporters et le racisme: une trop longue histoire, un long combat

Laurent Vergne

Mis à jour 18/02/2015 à 18:19 GMT+1

Ce n'est pas la première fois que des supporters de Chelsea sont impliqués dans des incidents du type de celui qui s'est produit mardi soir à Paris. Bien au contraire. Ils s'inscrivent dans une histoire déjà longue. Trop longue.

Les fans de Chelsea à Stamford Bridge.

Crédit: Imago

L'écoeurant incident survenu mardi soir dans le métro parisien appelle deux réflexions en forme d'évidence. D'abord, Chelsea n'a pas le monopole du supporter imbécile et raciste. Ensuite, tous les supporters de Chelsea ne sont pas de cette veine.
Néanmoins, derrière ces deux vérités, une autre se dresse, tout aussi incontournable : le Chelsea Football Club traîne derrière lui une longue batterie de casseroles brunes, comme autant de boulets à laquelle la séquence de Richelieu-Drouot vient se greffer comme la dernière pièce d'une puzzle en perpétuelle construction. Difficile, donc, d'être totalement surpris, comme certains l'ont souligné sur Twitter.
Connaissez-vous Paul Canoville ? Il fut, le 12 avril 1982, le premier joueur noir de l'histoire de Chelsea. 1982, seulement, oui. D'une manière générale, les joueurs de couleur ont mis du temps à intégrer les principaux clubs d'Angleterre. Howard Gayle fut le premier à Liverpool en 1980. Néanmoins, Chelsea a fait office de dernier de la classe en la matière et certains clubs avaient été bien plus précoces, notamment Arsenal, Manchester United et plus encore Tottenham.

Le premier joueur noir des principaux clubs anglais

ClubJoueurAnnée
ArsenalBrendan Batson1971
Aston VillaStan Horne1961
ChelseaPaul Canoville12 avril 1982
Everton Mike TrebilcockJanvier 1966
LiverpoolHoward Gayle4 octobre 1980
Manchester CityStan Horne25 septembre 1965
Manchester UnitedTony Whelan1969
Middlesbrough Lindy Lindbergh1950
Newcastle Howard Gayle1982
Portsmouth Lindy Lindbergh1948
Stoke CityR.H. Brown1946
Sunderland Roly Gregoire2 janvier 1978
Tottenham Walter Tull Septembre 1909
West Ham John Charles 4 mai 1963
Le jour de sa première apparition sous le maillot bleu, Canoville a été insulté par une partie du public de Stamford Bridge, ainsi qu'il le raconte dans son autobiographie. "Assieds-toi, sale nègre", a-t-il entendu. Après cela, il préfèrera s'échauffer dans les vestiaires avant de rentrer sur le terrain. Un jour qu'il avait ouvert le score pour Chelsea, il a pu entendre la réplique suivante : "non, il y a toujours 0-0, le négro a marqué, ça ne compte pas." Et les bananes ont fusé dans la foulée.
Paul Canoville, premier joueur noir de Chelsea.
Gangréné par le hooliganisme et le racisme, le football anglais a traversé de la sorte les années 80. A Chelsea comme ailleurs. Parfois plus qu'ailleurs. A l'époque de Canoville, Chelsea traverse son désert sportif. Le club évolue en D2, frôle même la relégation au troisième sous-sol. Pourtant, le club sème la terreur. Pas avec ses joueurs, mais via ses supporters. Un groupe, surtout, les Chelsea Headhunters. Les "chasseurs de tête". Pour donner une idée desdites têtes, Andy Frain et Jason Marriner, ses deux principaux leaders, ont un jour effectué le salut nazi à Auschwitz. Les jours de match à Stamford Bridge, les Headhunters attendaient de savoir si le XI de départ serait 100% blanc avant d'acheter leur ticket.
Proches de certaines organisations paramilitaires, du British National Front (parti d'extrême-droite) ou encore de l'organisation néo-nazie Combat 18, les Headhunters ont été infiltrés par le journaliste d'investigation Donal McIntyre. Son documentaire, McIntyre undercover, diffusé en 1999 sur la BBC, a révélé certaines méthodes du groupe de supporters, symbole de l'âge d'or des "firms", ces organisations radicales qui ont pollué le foot anglais. 10 ans plus tard, McIntyre et sa femme ont été agressés dans un bar. Une vengeance, selon lui.

Des Headhunters au sacre multiracial de 2012

Au fil des ans, les Headhunters ont perdu de leur influence à mesure que leurs leaders vieillissaient. Ils n'ont pourtant pas été dissous. En 2010, lors d'un match de Cup face à Cardiff, ils ont été impliqués dans des incidents avec les Soul Crew, un groupe très actif du club gallois. Jason Marriner était encore dans le coup. Et lors du quart de finale de Ligue des champions face au PSG, en mars 2014, ils avaient déjà fait du grabuge dans la capitale.
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30 avril 2011, Stamford Bridge. Un supporter de Chelsea effectue le salut nazi

Crédit: Imago

Chelsea a malheureusement conservé de la sombre époque des eighties un ancrage radical. Mais dans le même temps, l'évolution du club du sud de Londres a été réelle et profonde. D'où une constante contradiction entre ce côté sombre et ce qu'est devenu Chelsea au fil des ans. Il faut se souvenir que les Blues furent le premier club de Premier League à engager un entraineur noir, Ruud Gullit, en 1995. Treize ans seulement après avoir été le dernier wagon du train multiracial via Canoville, Chelsea faisait alors figure de pionnier. Ken Bates, président de 1982 jusqu'à son passage de témoin à Roman Abramovich deux décennies plus tard, a beaucoup œuvré pour purger son club de ses démons racistes. "Les choses ont changé, estimait-il en 2012. Même si cela a été un long et tortueux voyage. Mais tout doucement, les choses ont commencé à changer. Il y a 30 ans, le monde était différent."
De fait, 30 ans presque jour pour jour après les débuts du pionnier Paul Canoville, bientôt suivi par Keith Jones ou Keith Dublin, Chelsea a remporté sa première Ligue des champions avec un grand nombre de joueurs noirs dans son effectif. Didier Drogba reste comme une des icônes de l'ère dorée des Blues au XXIe siècle. Stamford Bridge n'a eu de cesse de lui gueuler son amour. A lui et à d'autres. David Johnston, qui écrit sur le magazine du club, a rappelé mercredi matin que "les 2000 supporters qui ont fait le déplacement à Paris soutiennent un club dont le propriétaire est juif et dont l'essentiel des joueurs sont noirs ou étrangers".
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Essien, Kalou, Malouda et Drogba le soir du sacre historique de Chelsea en 2012 en Ligue des champions.

Crédit: Panoramic

Pourtant, les problèmes demeurent. Les évènements de mardi le prouvent. Surtout, ils ne sont pas isolés. Ces dernières années, les répliques au séisme raciste ont été fréquentes.
  • En 2003, un sondage dans le Times révèle que 47% des supporters de Chelsea affirment avoir déjà été témoins de comportements racistes à Stamford Bridge.
  • En 2007, lorsque l'entraineur israélien Avram Grant succède à José Mourinho à la tête de l'équipe, une partie des tribunes entonne des chants racistes et anti-sémites.
  • A l'issue de la saison 2011/2012, Chelsea est le club de Premier League avec le plus de supporters arrêtés pour des chants à caractère raciste.
  • Depuis 10 ans, Chelsea partage avec West Ham le "record" de supporters bannis de stade pour actes racistes.
Puis il y a eu l'affaire John Terry. En octobre 2011, le défenseur des Blues est suspendu quatre matches pour des insultes racistes envers Anton Ferdinand, le défenseur de QPR et frère de Rio Ferdinand, qui a longtemps composé avec Terry la charnière centrale de l'équipe d'Angleterre. L'histoire avait coûté à Terry son brassard de capitaine en sélection. Mais pour l'ancien attaquant international Stan Collymore, la sanction infligée à Terry s'apparentait à une simple "tape sur le poignet".
Si l'affaire Terry pose problème, c'est d'abord parce qu'elle a touché LA figure emblématique des Blues. Formé au club, capitaine, Terry est l'incarnation de Chelsea. Le "talisman", comme le dit la presse anglaise. Ce n'est pas rien. D'autre part, dans l'affaire, les dirigeants de Chelsea ont été accusés  de vouloir arrondir les angles et de minimiser l'impact moral de l'attitude de leur capitaine.
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Des supporters réclamant l'exclusion de John Terry de l'équipe d'Angleterre après l'incident avec Anton Ferdinand en 2011.

Crédit: Panoramic

La semaine suivant l'incident Terry-Ferdinand, des supporters de Chelsea ont entonné en boucle des chants clamant "Anton Ferdinand, you know what you are", en soutien à Terry, lors d'un déplacement en Belgique en Ligue des champions. Tout le club s'en était trouvé embarrassé et Andre Villas-Boas, l'entraineur d'alors, avait assuré n'avoir rien entendu. Il était le seul. Son argumentaire ?"J'étais concentré sur le match".
Fait après fait, Chelsea avance avec ses boulets. Et si ses supporters n'ont le monopole ni du racisme ni de la connerie, ils continuent régulièrement de brouiller l'image du club. Tous les efforts menés pour se débarrasser de cette gangrène prennent un sale coup avec des évènements tels que ceux du métro parisien. Et si le voyage évoqué par Ken Bates emprunte les bonnes routes, il reste à l'évidence, aujourd'hui encore, tortueux.
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La Blue Army de Chelsea dans les années 80.

Crédit: Imago

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