Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Les grands maudits de la C1 : Les poteaux carrés du Barça

Laurent Vergne

Mis à jour 10/04/2018 à 20:43 GMT+2

LIGUE DES CHAMPIONS - Deuxième volet de notre série consacrée aux grandes équipes maudites de la C1. En 1961, le FC Barcelone, après avoir mis lui-même un terme au quinquennat de l'ennemi madrilène au sommet de l'Europe, allait échouer aux portes du sacre dans une finale perdue face au Benfica Lisbonne. Le Barça allait attendre plus de trois décennies supplémentaires pour arriver à ses fins.

30 mai 1961 : Le Barça vient de s'incliner 3-2 face au Benfica Lisbonne en finale de la C1. Au premier plan, Luis Suarez est dépité.

Crédit: Imago

Les légendes ont le cuir épais et la carapace tenace. Elles ne se laissent pas si facilement tordre le cou. L'une d'entre elle a longtemps intronisé le FC Barcelone comme le grand maudit de la C1. C'est vrai, il a été le dernier de tous les géants du football européen à décrocher la timbale. Parmi la douzaine de clubs comptant au moins deux victoires dans la plus prestigieuse des compétitions européennes, aucun n'a attendu aussi longtemps que le Barça, sacré pour la première fois en 1992.
Mais parler de malédiction, en l'espèce, apparait pour le moins exagéré. S'il n'a pas remporté la Coupe des champions plus tôt, c'est d'abord parce qu'il ne l'avait que très peu jouée. Lorsque la bande à Johan Cruyff a triomphé à Wembley face à la Samp en 1992, ce n'était alors que la cinquième participation des Catalans à la C1. Difficile de se tailler un palmarès dans une compétition à laquelle vous prenez part tous les sept ans en moyenne. A titre de comparaison, le grand rival, le Real, avait lui pris part aux cinq... premières éditions de l'épreuve. Et les a toutes gagnées.
Le paradoxe, c'est que si le Real était à l'époque incontestablement la meilleure équipe d'Europe au regard de ce quintuplé initial et inédit depuis, il n'était pas forcément la meilleure équipe d'Espagne. Après tout, entre 1956 et 1960, sur les dix titres nationaux en jeu (Liga et Copa del Rey), les Merengue n'en ont remporté que deux fois. Deux fois moins que le Barça, titré en 1959 et 1960 et double lauréat de la Coupe du Roi. Ce Barça-là était grand et séduisant. Il reste comme un des grands oubliés de l'histoire. Si aujourd'hui, vous demandez quel club incarne la fin des années 50, tout le monde ou presque répondra le Real Madrid. Personne ne songera à Barcelone.
picture

La grande équipe du Barça 1961. Czibor est en 5e position à partir de la gauche. Kubala en 7e avec, à ses côtés, Suarez. Kocsis et Evaristo ferment la marche tout à droite.

Crédit: Imago

Puskas : "J'avais l'impression qu'ils pouvaient nous dominer quand et comment ils le voulaient"

Ce 5-0 sur la scène européenne donc traduit bien mal le rapport de force entre les deux grands d'Espagne, le Real étant loin d'écraser la concurrence sur ses propres terres. Mais son hégémonie européenne, avec son effet loupe, a donné aux yeux de l'histoire une vue tronquée. Même Ferenc Puskas, la star hongroise du Real, en convient. "Nous avons gagné la Coupe d'Europe en 1959 et 1960 mais ces deux saisons-là, le Barça était plus fort que nous en Liga. Ils avaient une très grande équipe et j'avais l'impression qu'ils pouvaient nous dominer quand et comment ils le voulaient", a-t-il confié dans le livre Fear and Loathing in la Liga.
Parce qu'il n'a que trop rarement eu l'opportunité de remporter la Coupe des champions, le Barça a vécu chaque tentative avortée comme un crève-cœur. Ce ne fut jamais aussi vrai qu'en 1961. Saison bénite et maudite, puisque ce fut celle de la fin du règne européen du Real, tombé sous le glaive des Blaugrana, avant que les Catalans ne cèdent aux portes du sacre après une finale d'une rare cruauté.
Pour beaucoup, l'équipe de 1960 était plus forte encore. Sacrée championne d'Espagne pour la deuxième année consécutive au nez et à la barbe du Real, c'était encore l'équipe d'Hellenio Herrera, le mythique entraîneur, qui allait quitter le club l'été suivant pour rejoindre l'Inter Milan. Mais cette équipe a connu un échec cinglant en Coupe des champions pour sa première participation.
En demi-finales, le Barça croise la route du Real, quadruple tenant du titre. Ce Real qu'il est en train de dompter dans les affaires domestiques le guillotine dans une double confrontation survolée par les champions d'Europe : 3-1 à l'aller en Castille, 3-1 au retour en Catalogne. La première défaite du Barça au Camp Nou depuis plus de deux ans, toutes compétitions confondues.

Un quintet offensif hors normes

La saison suivante, grâce à son deuxième titre consécutif en Liga, Barcelone retente sa chance en Coupe des champions. Herrera a donc cédé sa place sur le banc à Ljubisa Brocic. C'est peu dire que l'empreinte laissée en Catalogne (où il ne restera qu'une saison) par le technicien yougoslave n'égalera pas celle d'Herrera. Il sera d'ailleurs limogé dès le mois de janvier au profit d'Enrique Orizaola.
Moins de six mois après la démonstration madrilène en demi-finale, les deux ennemis jurés se retrouvent en novembre 1960, cette fois en huitièmes. Si la couverture médiatique est incomparable à ce qu'elle est aujourd'hui, ce Clasico, déjà, émoustille toute l'Europe du football. C'est une affiche de rêve. Le quintuple tenant du titre de la Coupe des champions face au double champion d'Espagne sortant. Mais surtout, les deux meilleures équipes du monde, peuplées d'une constellation de stars ahurissante. Le Real est toujours celui de Di Stefano, Puskas et Gento. Mais le Barça n'a rien à lui envier. Au contraire.
Il est notamment porté par son gardien de but, Antoni Ramallets, et surtout par un quintet offensif. Sa grande figure emblématique, c'est Laszlo Kubala. Né en Hongrie, international hongrois, tchécoslovaque puis espagnol, il est à Barcelone depuis près d'une décennie. En 1958, Kubala convainc deux légendes hongroises, Zoltan Czibor et Sandor Kocsis, de le rejoindre en Catalogne.
picture

Antoni Ramallets à l'entraînement. Le légendaire gardien de but a disputé 384 matches dans sa carrière avec le FC Barcelone.

Crédit: Getty Images

Pour compléter le trio d'inspiration magyare, le Barça peut aussi compter sur Evaristo. Le Carioca a débarqué à Barcelone en 1957 en provenance de Flamengo. Habile dribbleur, buteur efficace, il va être un des premiers Brésiliens à s'imposer de façon indiscutable en Europe. Enfin, pièce finale et non moins capitale, Luis Suarez. Le meneur de jeu espagnol est, à 25 ans, au sommet de son expression footballistique. Trois semaines après cette double confrontation avec le Real, il recevra d'ailleurs le Ballon d'Or 1960. 58 ans après, il reste le dernier Espagnol à avoir remporté ce trophée.
Fort de cet effectif hors normes, le FCB s'est donc imposé deux saisons de suite en Liga. Mais pour abattre définitivement le complexe merengue, c'est sur la scène européenne que les Blaugrana doivent franchir le cap. Lors du huitième de finale aller, superbe, ils arrachent un match nul prometteur (2-2) après avoir été menés au score. Malgré les absences de Kubala et Czibor. La première pierre est posée. Un exploit déjà monumental puisque c'est la toute première fois que le Real ne s'impose pas à domicile en Coupe d'Europe. Depuis la création de la C1 cinq ans plus tôt, il avait signé quinze victoires en quinze matches.

La fin du quinquennat

Le 26 novembre, dans un Camp Nou gavé de 120000 socios, le Barça ne doit pas, ne peut pas laisser passer sa chance. Pas une deuxième fois en six mois. Ce match retour, Barcelone va le gagner, 2-1. Après un quinquennat de domination continentale, le Real est au tapis et, supplice ultime, le coup fatal a été porté par le glaive catalan. De ce match, trois héros ressortent. Ramalets, qui a multiplié les arrêts décisifs dans des moments clés. Quand il a cédé, à trois minutes de la fin, l'affaire était entendue. Puis il y a Kubala. Blessé, contraint de jouer sous infiltration et annoncé sur le déclin, il livre ce soir-là un des plus grands matches de sa carrière. "Il a sans aucun doute écrit là une des plus brillantes et une des plus émouvantes pages de son livre personnel", relate El Mundo Deportivo le lendemain.
Mais si Kubala a été le prince du Camp Nou, ce huitième de finale retour est surtout associé à un homme, et à une image. L'homme, c'est Evaristo. L'image, c'est celle de cette tête plongeante victorieuse à la 82e minute. La photo, où on le voit à l'horizontale, croisant la trajectoire du portier madrilène Vicente Train, est une des plus mythiques de l'histoire du Barça. Et jusqu'au coup-franc de Ronald Koeman à Wembley face à la Sampdoria en 1992, ce but d'Evaristo restera le plus fameux du club.
El Mundo deportivo au lendemain de la victoire du Barça face au Real, avec la fameuse photo d'Evaristo.
L'attaquant brésilien, toujours en vie à bientôt 85 ans, s'était souvenu il y a quelques années de cette soirée :
Nous étions obligés de les battre. Nous étions les deux plus grandes équipes d'Europe, mais personne ne parlait de nous. Nous étions sous-estimés. Le Real avait une grande équipe, mais nous aussi. Je me souviens de nos supporters qui nous suppliaient, oui, ils nous suppliaient de les battre. Ils nous disaient 'S'il vous plait, arrêtez-les, arrêtez-les'.
Côté Real, cette fin de règne possède alors un double goût d'amertume. D'abord en raison de l'identité du bourreau, mais aussi de la polémique née de l'arbitrage des deux arbitres anglais, messieurs Ellis (à l'aller) et Leafe (au retour). Retour de bâton de l'histoire. Le Real Madrid, vu comme le club du pouvoir, celui de Franco, a plus souvent qu'à son tour été accusé de bénéficier de la largesse du corps arbitral. Cette fois, ce fut à lui de se plaindre.
picture

Les joueurs du Real crient au scandale auprès de M.Leafe, lors du huitième de finale retour contre le Barça.

Crédit: Imago

Pour mesurer à quel point cette défaite n'a pas été digérée, il faut se souvenir que Marca avait, en 2010, décortiqué les deux matches à l'occasion du 50e anniversaire. Son titre était sans équivoque : "Honteux". Le débat portait notamment sur le penalty accordé au Barça à l'aller et, lors de la seconde manche, sur un but refusé à Puskas (juste après le but d'Evaristo) et un autre, non accordé, alors que la balle aurait franchi la ligne. "Les Madrilènes ont pleuré après l'arbitrage parce qu'ils avaient perdu", tranche Evaristo dans "Fear and Loathing in la Liga". "Sans cet arbitrage, nous aurions remporté une sixième Coupe d'Europe de suite", assure quant à lui Canario, le milieu castillan.
Personne n'a jamais réussi à mettre d'accord les différentes parties. Une chose est sûre : en cette fin de mois de novembre 1960, personne ne doute alors que le FC Barcelone succèdera au Real Madrid au palmarès de la Coupe des champions. Evidente passation de pouvoir. En quarts de finale, l'équipe de Ljubisa Brocic écarte aisément le FC Hradec Kralove, champion de Tchécoslovaquie (4-0, 1-1), avant de résister à Hambourg en demi-finale, au terme d'un étouffant match d'appui disputé à Bruxelles. Là encore, c'est Evaristo qui libère le peuple catalan en inscrivant l'unique but de la rencontre.

A quitte ou double

Le 31 mai 1961, le FC Barcelone a ainsi rendez-vous avec son destin. Au Wankdorf Stadium de Berne, il affronte le Benfica Lisbonne dans une finale en forme de nouvelle ère après le joug imposé par le Real. Le club catalan joue gros. C'est le match de toute une génération et, chacun le pressent, la dernière chance de celle-ci. En Liga, le Barça a rendu sa couronne. Trois semaines après son élimination en Coupe des champions, le Real est revenu au Camp Nou pour surclasser son rival (5-3). Le Barça terminera la saison à 20 points des Madrilènes.
Surtout, la construction du Camp Nou, inauguré en 1957, a étouffé le club au plan financier. En ce printemps 1961, Kubala, Czibor et Suarez arrivent tous en fin de contrat et s'apprêtent à partir. Un an plus tard, Ramallets s'en ira à son tour, tout comme Evaristo, qui rejoindra… le Real. Faute de cash, le Barça ne peut attirer des vedettes susceptibles de compenser cette saignée. Il va entrer dans une longue période de disette. Les années 60 seront parmi les moins souriantes de son histoire, avec en tout et pour tout une Coupe du Roi et une Coupe des Villes de foire. Barcelone devra attendre 1974 pour goûter à nouveau au titre en Liga.
Cette finale de Berne, c'est donc un véritable quitte ou double. Le Benfica est une équipe qui monte en flèche. Ce n'est pas encore celle d'Eusebio. La Panthère noire, âgée de 19 ans, vient tout juste de débuter en équipe première, le 23 mai, huit jours avant la finale. Il a claqué un triplé annonciateur de son ravageur potentiel. Mais à Berne, il ne joue pas.
Composé exclusivement d'internationaux portugais, ce groupe n'en est pas moins déjà impressionnant avec, en vedette, l'avant-centre et capitaine Jose Aguas. A 30 ans, il est déjà une légende du club benfiquiste. Mais le véritable mythe se trouve sur le banc de touche. Bela Guttman, fascinant personnage et grand voyageur, né dans un empire disparu, l'Autriche-Hongrie, est un révolutionnaire au plan tactique doublé d'un redoutable meneur d'hommes.
Malgré tout, le consensus penche pour une victoire du FC Barcelone, avec sa flopée de stars, son vécu supérieur et son statut de bourreau du Real. Coincé entre deux finales légendaires (le 7-3 du Real contre Francfort en 1960 et la défaite de ce même Real face au Benfica Lisbonne, 5-3, en 1962), cet époustouflant Benfica-Barça n'a pas tout à fait la place qu'il mérite à la postérité. Mais en Catalogne, personne ne l'a oublié. Et ceux qui sont assez vieux pour l'avoir vécu se demandent aujourd'hui encore comme il a pu échapper aux Blaugrana. Ou plutôt, ils ne le savent que trop bien.

Berne, terre maudite pour les Hongrois

Ce soir-là, le Barça n'a de cesse de se tirer des balles dans le pied. Une véritable autodestruction, à l'image du but contre son camp de Ramallets. "Ils ont marqué trois buts et nous leur en avons donné deux, et l'un est totalement de ma faute. Sur le match, ils ont quatre occasions et marquent trois buts", a raconté le gardien de but dans les années 2000. Tout avait pourtant bien commencé avec l'ouverture du score de Sandor Kocsis à la 21e minute. Mais dix minutes plus tard, les Portugais marquent deux fois en 90 secondes, dont le fameux csc de Ramallets. Peu après la pause, le troisième but signé Coluna achève la bête rouge et bleue.
Le Barça aurait pourtant pu surmonter ces errements, s'il n'avait pas été victime d'une invraisemblable poisse, heurtant les poteaux à cinq reprises en seconde période, dont deux en une poignée de secondes lorsqu'une frappe de Kubala est repoussée par le montant gauche... puis le droit. Maudits poteaux… carrés. Le Barça partage ça avec l'AS Saint-Etienne, qui maudira lui aussi les poteaux carrés de l'Hampden Park contre le Bayern. "Toucher une fois le poteau, soit, mais cinq… A la fin du match, leur gardien, Alberto Pereira, est venu me voir. Il m'a dit 'Antoni, c'est le football, parfois la meilleure équipe ne gagne pas", a confié Ramallets à Sid Lowe.
De ce match, il reste pourtant un chef d'œuvre, celui de Zoltan Czibor, auteur à un quart d'heure de la fin d'un but fantastique sur une volée du gauche pleine lucarne, des 25 mètres. Un joyau en pure perte. La cruauté du scénario a quelque chose de déroutant pour les deux Hongrois, buteurs du Barça ce soir-là. Sept ans plus tôt, dans ce même Wankdorf Stadium de Berne, Czibor et Kocsis avaient perdu l'autre match de leur vie, la finale de la Coupe du monde 1954 face à la R.F.A. Sur le même score, 3-2.
Superstitieux, ils avaient choisi avant le match contre Benfica de s'habiller dans le couloir, et non dans le vestiaire. Mais rien n'y a fait. La malédiction du Barça 1961 est un fardeau plus lourd encore pour eux que pour le reste de cette magnifique équipe.
picture

Zoltan Czibor, l'un des maudits de Berne.

Crédit: Imago

Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité