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Angleterre - Southgate ou l'aversion du risque

Philippe Auclair

Mis à jour 06/06/2021 à 17:41 GMT+2

EURO 2020 - Gareth Southgate a su apaiser la sélection anglaise depuis sa prise de pouvoir. Mais pour exploiter tout le potentiel d'une génération extrêmement prometteuse de jeunes joueurs anglais qu'il a couvée depuis des années, le sélectionneur des Three Lions, qui affrontent la Roumanie ce dimanche en match de préparation, va devoir prendre des risques. Ce qui n'est pas dans son ADN.

Gareth Southgate

Crédit: Getty Images

On imaginerait bien Gareth Southgate être de ces parents qui coiffent leurs enfants d'un casque lorsqu'ils grimpent sur leur trottinette. Pourquoi courir le moindre risque, après tout? Ce choix est celui du bon sens, même si c'est dans un square et pas dans la rue que ces enfants glissent sur leur engin, car, même dans un square, un accident est si vite arrivé.
Pour lui, le premier 'fondamental' est la sécurité. On le comprend un peu: quand il regarde autour de lui, c'est pour se rendre compte que la famille dont il est devenu le chef en septembre 2016 souffre d'un problème qu'aucun de ses prédécesseurs immédiats n'est parvenu à résoudre pour de bon. Son équipe est fragile, et elle le sait; du coup, elle se montre hésitante, craintive, prudente à l'excès.
Face à plus faible qu'elle, cela n'est pas rédhibitoire, d'ailleurs, car l'Angleterre sait exploiter sa fameuse 'marge de sécurité', comme le prouvent ses parcours en qualifications pour les tournois majeurs. L'approche 'safety first' a au moins ce mérite pour une sélection qui n'a manqué que deux grands rendez-vous depuis 1984: la Coupe du Monde de 1994 et l'Euro 2008. Des cinquante-neuf matches de qualification qu'elle a joués depuis les éliminatoires du Mondial de 2010, les Anglais n'en ont perdu que deux, et, encore, d'un seul but: contre l'Ukraine, en octobre 2009, et la République tchèque, dix ans plus tard presque jour pour jour. Aucune autre sélection européenne n'affiche un bilan aussi impressionnant sur cette période.
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England manager Gareth Southgate announces his provisional squad for UEFA EURO 2020 at St Georges Park on May 25, 2021 in Burton-upon-Trent, England.

Crédit: Getty Images

L'obligation de changer pour avancer

Mais évidemment, tandis que la France, l'Espagne, l'Allemagne et le Portugal furent tous couronnés au moins une fois dans ces grandes compétitions pendant la décennie passée, et que l'Italie, la Croatie et les Pays-Bas eurent la consolation d'en disputer une finale, l'Angleterre n'a à montrer qu'une place de quatrième au Mondial de 2018 comme récompense de sa régularité. Qu'on ait vécu celle-ci comme un succès plus que comme une déception montre suffisamment l'ampleur du chemin qu'il reste à parcourir à Gareth Southgate. Mais comment aller plus loin, plus haut?
Là est le fondement de son dilemme: l'accession aux demi-finales du Mondial russe était basée, non pas sur une transformation, mais sur les mêmes qualités qui avaient permis à l'Angleterre d'asseoir son statut parmi les presque grandes nations du football européen avec Fabio Capello et Roy Hodgson (on laissera de côté les inter-règnes si brefs de Stuart Pearce et de Sam Allardyce). Pas desservie par des tirages au sort et un tableau qui, jusqu'à la demi-finale contre les Croates, l'avaient opposée à des équipes dont elle l'habitude de prendre la mesure, l'Angleterre, solide, prudente et meurtrière sur les coups de pied arrêtés, avait rendu la copie qu'on était en droit d'espérer d'elle au regard du contexte de la compétition. Mais elle n'avait pas su aller au-delà, offrir l'inattendu, trouver l'inspiration qui doit toujours habiter l'esprit d'un vainqueur. Elle avait été elle-même, quand elle se devait de changer pour progresser. Mais changer comment?
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England manager Gareth Southgate talks to Jadon Sancho during an England training session at St. George's Park on October 9, 2018 in Burton-upon-Trent

Crédit: Getty Images

Southgate va devoir se faire violence

Après tout, la tentative d'Hodgson de faire pratiquer un jeu plus dynamique à sa sélection lors de l'Euro 2016 s'était soldée par un désastre en huitièmes de finale face à l'Islande, lorsque, prise de vertige, tétanisée par l'enjeu, l'Angleterre avait sombré. On avait alors pu se demander si ce n'était pas d'un psychiatre plus que d'un entraîneur dont elle avait besoin. Et rendons-lui justice, c'est un peu ce rôle que Southgate a su remplir depuis.
Unanimement apprécié et respecté pour ses qualités humaines, il a su apaiser sa sélection, comme il a aussi sur la faire aimer à nouveau par son public. Dans une Angleterre qui n'en finit pas de se déchirer depuis le Brexit, il a aussi offert une précieuse image de tolérance et de modération. Mais ce ne sont pas ces qualités-là qui transformeront à elles seules son équipe. Southgate, homme de mesure, réticent par nature, va devoir se faire violence pour exploiter le plein potentiel d'un groupe de joueurs dont tout le monde - au sens propre - sait qu'il est exceptionnel.
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England boss Gareth Southgate

Crédit: Getty Images

Grealish, Bellingham et Saka, un pari qui ne ressemble pas à Southgate

Le premier pas était de faire confiance à ces jeunes qui formaient le noyau des équipes de jeunes qui avaient presque tout emporté sur leur passage dans les tournois de l'UEFA et de la Fifa dans la seconde moitié des années 2010, et qui sont aujourd'hui au coeur de la réussite de clubs comme Chelsea, Manchester City et le Borussia Dortmund. C'est chose faite. Mason Mount, Phil Foden, Declan Rice, Reece James, Jude Bellingham et Jadon Sancho ont intégré son groupe; les trois premiers en sont même devenus des piliers; le quatrième n'en est pas loin et le cinquième le deviendra à coup sûr, tandis que le sixième figurera à coup sûr dans le parcours des Anglais dans cet Euro. C'est un début, un beau début, riche de promesses. Mais ne suffit pas d'atteler les poulains à l'équipage, il faut aussi savoir laisser flotter les rênes sur leurs dos - et c'est là où le bât blesse, si c'est l'expression qui convient. Il va falloir décoiffer l'enfant de son casque, ce qui va à l'encontre de l'instinct de ce parent-là.
Le premier match de préparation des Anglais avant l'Euro ne nous aura rien enseigné: une victoire 1-0 plutôt pénible face à la modeste Autriche, disputée par une équipe dont plus de la moitié des joueurs seront sur le banc lors du match d'ouverture des Three Lions, contre la Croatie, ce 13 juin. Si Grealish, Bellingham et Saka avaient été leurs joueurs les plus en vue contre les Autrichiens, il est probable qu'aucun des trois ne sera dans le onze qui sera aligné contre les finalistes du dernier Mondial à Wembley - pas même le joueur d'Aston Villa, autour duquel beaucoup de sélectionneurs seraient heureux de bâtir leur équipe; car ce serait un pari; ce qui constituerait une prise de risque dont tout dans la personnalité de Southgate suggère qu'il s'en passera.
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Jordan Pickford and Gareth Southgate

Crédit: Getty Images

Loyal jusqu'à l'excès : un risque qui peut lui coûter cher

Mais le plus grand risque pour lui serait-il justement de ne pas en prendre, quand cette jeune Angleterre a tellement à offrir? Et voilà le paradoxe de Southgate. Oui, il prend des risques, mais pas ceux-là, pas pour innover, pas pour encourager ses joueurs à le surprendre, pas dans l'espoir de trouver la formule qui pourrait faire passer son équipe dans une autre dimension - mais mû par le désir de protéger le statu quo, de préserver l'équilibre acquis. Quand il a expérimenté, ç'a été en alignant une défense à cinq, histoire d'ajouter un verrou à une serrure dont la solidité ne le convainquait pas. Ce n'était pas en décidant d'associer un milieu purement défensif comme Rice ou Phillips à un joueur plus créatif dans un double pivot, pour voir ce qu'un Grealish ou un Foden pourraient offrir dans un rôle plus reculé, par exemple.
Voilà pourquoi, loyal jusqu'à l'excès, il continue de préférer Jordan Pickford, plus qu'inconstant dans le but d'Everton cette saison, à Dean Henderson, qui prit la place de David de Gea dans celui de Manchester United en Premier League lors de dix des douze dernières journées de championnat. Voilà pourquoi il trouva une place dans son groupe de l'Euro pour Tyrone Mings, pourtant pas si souverain que cela à Aston Villa (certainement pas plus que Lewis Dunk à Brighton, par exemple), et oubliant Fikayo Tomori, titulaire indiscuté dans la défense de Milan depuis son arrivée en prêt de Chelsea.
Voilà pourquoi il décida de nommer dans son groupe des 26 Jordan Henderson (qui n'a pas joué depuis le 20 février,) et Harry Maguire (toujours blessé, incertain pour le match du 13 juin), quand bien même l'Angleterre ait toujours payé cash dans le passé son choix de parier sur la condition physique de joueurs convalescents; et on parle ici de joueurs de la stature de Beckham (en 2002), Rooney (2006 et 2010) ou Michael Owen (2006), autant dire, sans faire injure à Henderson et Maguire, d'un autre calibre qu'eux. Ce n'est pas en répétant une erreur qu'on la réparera. Et le vrai risque, c'est celui-là.
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