Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Maternité des footballeuses, rares exemples et vrais obstacles

Assia Hamdi

Mis à jour 10/06/2021 à 10:53 GMT+2

Fin 2020, la FIFA a annoncé des mesures pour que les footballeuses se sentent mieux protégées pendant leur grossesse. En France, malgré quelques exemples et le soutien de certains clubs, la grossesse semble encore perçue comme un obstacle.

Sara Gunnarsdottir, joueuse de l'Olympique Lyonnais, le 29 août 2020

Crédit: Getty Images

"Je pensais que la direction allait mal prendre la nouvelle mais ils ont bien réagi. Ça fait du bien d’être soutenue, ça m'aide à bien vivre ma grossesse." A 30 ans, la défenseure du FC Fleury 91, Claudine Meffometou, attend aujourd’hui son premier enfant. "Les premières semaines, le médecin avait listé les activités que j’avais le droit ou non de faire. Maintenant que ma grossesse est plus avancée, je ne m'entraîne plus du tout." D’autres footballeuses professionnelles en D1 Arkema qui prennent une pause bébé cette saison ? Citons aussi Sara Björk Gunnarsdottir : en avril 2021, la milieu de terrain a annoncé attendre son premier enfant pour novembre prochain, un carnet rose qui a réjoui les amateurs de foot. Ces deux joueuses restent des exceptions.
C’est "pour ne plus que les joueuses aient à s’inquiéter de leur carrière", dixit Gianni Infantino, son président, que la FIFA a instauré fin 2020 des mesures pour protéger les footballeuses enceintes. Désormais, chacune a le droit à un congé maternité de 14 semaines - dont huit après la naissance de l’enfant -, et pendant lequel "les deux tiers" de son salaire continueront de lui être versés. Toute joueuse pourra aussi, pendant sa grossesse, "recevoir des conseils médicaux indépendants à intervalles réguliers". Après son congé maternité, le club devra "réintégrer" la joueuse, "lui fournir un suivi médical adapté", et mettre à disposition des installations pour qu’elle puisse "allaiter le nourrisson et/ou tirer son lait". Autre détail d’importance : si une joueuse est enceinte, le club pourra aussi recruter une remplaçante en dehors de la période de transferts. Enfin, la FIFA a averti les clubs qu’ils risquent de devoir des "dommages et intérêts", des "sanctions sportives" et même des amendes s’ils résilient le contrat d’une joueuse pendant la grossesse.
"Cette nouvelle réglementation est une bonne chose pour le football en France", selon Badou Sambague. Mais six mois après cette annonce positive, l’avocat en droit du sport ne constate pas encore de vrai changement. "Avant que la grossesse ne soit mentionnée dans les contrats, il faudra d'abord que la mentalité évolue dans les clubs. Etre privé d’une joueuse rémunérée et sur qui on a misé, même si la Sécurité sociale prend le relais, ce n’est pas encore évident à accepter pour certains clubs."

Le risque de "perdre son niveau sportif" ?

L’Olympique Lyonnais, lui, s’est en tout cas empressé d’assurer qu’il "mettra tout en œuvre" pour organiser "dans les meilleures conditions" le retour de Sara Björk Gunnarsdottir, engagée jusqu’en juin 2022. "C’est très bien, ce qu’a fait l’OL", estime Frédérique Jossinet, directrice du football au féminin à la Fédération française de football. Badou Sambague loue aussi l’exemple du FC Fleury, qui "met des moyens pour développer sa section féminine". Pour Sylvain Carric, coordinateur de l’équipe féminine du FC Fleury 91, soutenir ses joueuses en période de grossesse est une évidence. "En tant qu’employeur, si une joueuse tombe enceinte, on doit l’accompagner pour qu'elle garde le meilleur état de forme et qu'elle revienne à son meilleur niveau." En 2019-2020, le FC Fleury 91, avait pourtant un budget prévisionnel de 800 000 euros, soit plus de neuf fois moins que l'Olympique Lyonnais (source : "Comme des garçons ? L'économie du football féminin", de L. Arrondel et R.Duhautois, Rue d'Ulm Eds).
picture

Claudine Meffometou, avant le match Cameroun - Nouvelle Zélande de la Coupe du monde 2019

Crédit: Getty Images

Claudine Meffometou n’est d’ailleurs pas la première joueuse du FC Fleury 91 à tomber enceinte. Sa coéquipière, Charlotte Fernandes, a même eu deux enfants pendant sa carrière ! "Pour le premier, j’étais au club de Juvisy : c’était en 2013 : j’avais 20 ans, j'étais étudiante et défrayée, il n’y avait encore que très peu de contrats dans le football. Mais je n’ai pas ressenti de pression : la preuve, la présidente de Juvisy était venue me voir à la maternité." Quand elle attendait son premier enfant, Charlotte Fernandes a stoppé sa saison au mois d'avril. "Du coup, j'ai fait ma première rééducation seule, car j'étais entre deux clubs. Mais, pour ma deuxième grossesse, quelques mois plus tard, j’étais au Val d’Orge (aujourd'hui le FC Fleury, ndlr)." La joueuse s’est sentie bien accompagnée : "le préparateur venait chez moi pour du renforcement, du crossfit, du cardio..."
"Si une joueuse gagne 1 500 euros par mois et qu’elle joue la septième place en D1, je ne suis pas persuadé qu’elle risquera de perdre son niveau sportif"
D’après Sylvain Carric, dans le football depuis douze ans, les exemples restent rares "parce que les joueuses font carrière avant d’avoir des enfants." Charlotte Fernandes, 28 ans, raconte pourtant que bien des joueuses lui ont confié leur envie de sauter le pas. "Elles m’enviaient en me voyant enceinte, elles voulaient que cela leur arrive." Y a t-il une crainte qui sommeille chez les footballeuses ? "Gunnarsdottir est à Lyon, un grand club, elle a une carrière et elle n'aura pas de mal à rebondir, compare Sylvain Carric. Mais si une joueuse gagne 1 500 euros par mois et qu’elle joue la septième place en D1, je ne suis pas persuadé qu’elle risquera de perdre son niveau sportif." Aux Etats-Unis, les joueuses conservent 75 % de leur rémunération fédérale pendant leur congé maternité. "On n’a pas la même culture ni la même histoire footballistique, justifie Frédérique Jossinet. Là-bas, les joueuses sont populaires et c’est une ligue fermée."
Dans la National Women Soccer League, les exemples de "soccer moms" se succèdent. Par exemple, l’attaquante Alex Morgan, qui a signé un contrat avec Tottenham quelques mois après la naissance de sa petite Charlie Elena, en avril 2020. Ou sa compatriote Sydney Leroux, qui a donné naissance à deux bambins en 2016 et en 2019. La joueuse de l’OL Eugénie le Sommer, qui va évoluer à l’OL Reign en 2021 dans le cadre d’un prêt, évoquait dans Paris Match en 2019 la difficulté pour une joueuse de s’imaginer enceinte. "Je veux en avoir, même s'il est difficile de se dire qu'il faudra mettre sa carrière entre parenthèses durant au moins un an. Rien n'est fait pour nous accompagner. Et nous devons attendre la fin de notre carrière, vers 36 ou 37 ans, pour envisager la maternité."

Des joueuses entre accompagnement incertain et risque d’infertilité

Un arrêt de carrière pour maternité peut encore être une inconnue, pour une sportive de haut niveau. "Elle doit s'arrêter 12 mois au moins, précise Thierry Adam, l'un des rares gynécologues du sport en France. En plus, une footballeuse enceinte devra arrêter de pratiquer son sport au bout de trois mois car son sport implique un risque de chocs mais aussi d'entorse à cause de la laxité ligamentaire pendant la grossesse." Pour Thierry Adam, qui collabore avec les clubs de rugby, les questions autour du corps de la sportive, comme les règles ou la période post-natale restent des tabous pour certains encadrements. "Non seulement la médecine s’est intéressée très tard au corps de la sportive mais elles ont longtemps été entraînées comme des hommes." Pour Sylvain Carric, pourtant, "c’est aujourd’hui dans l’obligation" d'un club d’accompagner une joueuse enceinte. D'autant que trop attendre peut avoir des conséquences définitives, précise Thierry Adam. "Le risque, pour une joueuse, c’est qu'elle ait un projet de grossesse tardif, et que sa fertilité diminue..."
Du côté de la fédération, Frédérique Jossinet observe que la maternité "pas une priorité" pour l'écosystème du foot. "Aujourd’hui, on essaye d'informer les clubs sur la protection des joueuses. Ensuite, les clubs et les médecins doivent faire une vraie communication auprès d’elles, leur parler notamment de l'horloge biologique qui avance." La directrice du football féminin pointe un exemple inspirant, celui du handball français, devenu en avril 2021 le premier sport collectif au féminin à se doter d’une convention collective, laquelle prévoit une couverture de la maternité. "C’est une évolution exemplaire, ils montrent que c’est possible. Il faudrait que tous les clubs s’engouffrent dans ce schéma pour garantir la possibilité pour une joueuse d’avoir un enfant."
picture

Frédérique Jossinet durant le 6e symposium de la FIFA sur le football féminin, le 3 juillet 2015 à Vancouver

Crédit: Getty Images

Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité