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Robert Herbin, idole éternelle

Bertrand Milliard

Mis à jour 04/05/2020 à 20:31 GMT+2

Supporter des Verts depuis sa plus tendre enfance, Bertrand Milliard, journaliste d’Eurosport, a souhaité rendre hommage à Robert Herbin, disparu lundi dernier et raconter ce que le Sphinx représentait pour ses yeux d’enfant. Et même après.

Robert Herbin, de retour sur le banc de l'AS Saint-Etienne - le 25 juillet 1987, à Paris

Crédit: Getty Images

Après avoir assisté le 8 mars dernier à Saint-Etienne - Bordeaux à Geoffroy-Guichard, je m’étais empressé le lundi suivant, comme chaque semaine, de lire la chronique tenue par Robert Herbin dans le journal le Progrès. Ce match, je l’avais pourtant vu, comme tous ceux des Verts, qui plus est au stade, pour une fois. J’avais donc de quoi faire ma propre analyse, l’étayer par celle de Claude Puel et celle des joueurs.
Mais ce qu’il me fallait, c’était celle de Robby, la seule qui ait valeur sacrée pour moi. Simplement parce que cet homme était ma plus grande idole dans le monde du football, et du sport en général. Il y employait toujours le "nous" ou le "on" pour évoquer l’équipe actuelle, preuve de son attachement sans faille à l’ASSE. En 2020, sa parole faisait figure de viatique pour un amoureux des Verts né au début des seventies.
Natif de Saint-Étienne, très tôt exilé en Bourgogne, puis à Paris, je suis néanmoins tombé dans le Chaudron dès mon plus jeune âge. Et comme pour Obélix, c’est irréversible. Mes parents étant restés onze ans dans le Forez mais l’ayant quitté quand j’avais dix-huit mois, c’est par l’intermédiaire de mon grand frère que naît ma passion de l’ASSE. Un soir de dernière journée de championnat, de 5-0 contre Bordeaux écouté au transistor.
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Robert Herbin

Crédit: Getty Images

Force tranquille

Mai 1978. Je n’y connaissais encore rien mais le frangin m’a appris les rudiments, lui qui avait assidument fréquenté les travées de Geoffroy-Guichard : soutenir les Verts sans faille et détester l’OM, le grand rival du début de la décennie. Á l’instar du Docteur Frankenstein, il venait sans le savoir de créer un monstre !
Robert Herbin, à cette époque, ne représente pour moi qu’une imposante crinière rousse et un visage presque toujours impassible. Beaucoup de choses se fixent dans l’imagination car les matches s’écoutent à la radio et on ne voit ses héros que sur des images figées, dans France Football, But ou Onze. Ce personnage singulier m’impressionne, il émane de lui une force tranquille et j’apprends qu’avec lui, Saint-Étienne a déjà beaucoup gagné. Six titres de champion de France et 3 Coupes de France en tant que joueur, 3 autres championnats et 3 coupes en tant qu’entraîneur. Il semblerait que je sois né au football un poil trop tard pour vivre le plus beau.
Qu’importe ! Le 5 mai 1979, mon père m’offre mon baptême de Chaudron. Trois heures de route pour rallier le stade et y voir mon premier match de D1. C’est la toute fin des "années Manufrance". Les Verts reçoivent Metz. Á côté de moi un garçon de mon âge avec ses parents, qui m’initie à son jeu favori : ne pas regarder l’action mais les tribunes. "Au mouvement et au bruit, on sait qu’il y a but." On voit qu’il vient à tous les matches, lui. Car si ce jeu a du succès, c’est que l’ASSE est prolifique à la maison. Elle inscrira cette saison là 59 buts dans son antre ! Alors pour lui, en rater un… Sauf que moi, avec ces bêtises, je vais louper l’unique réalisation de la rencontre, signée Dominique Rocheteau, le buteur maison.
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Robert Herbin

Crédit: Getty Images

Le charisme capillaire

Recadré par mon père, je me montre plus attentif par la suite, mais on en reste à 1-0. On a gagné mais je suis aussi déçu que content. Á la fin du match, mon regard est attiré par un point orange sur le terrain. C’est la chevelure d’Herbin, qui répond au journaliste de Téléfoot, l’émission que je regarde normalement à la télé, quand j’en ai la permission. Je prends alors conscience du fait que je suis réellement là, dans ce stade mythique où mon père s’est époumoné trois ans plus tôt un soir d’exploit européen contre le Dynamo Kiev. Herbin aurait-il même un charisme capillaire ? Désormais, chaque journée de championnat est écoutée à la radio, les voix de Pierre Loctin et Jacques Vendroux rythment les samedis soir, les premières joies et les premières peines de ballon rond.
Le 8 novembre 1980, Saint-Étienne est entré dans les années "Super Télé" lorsque j’effectue avec mon père et mon frère mon deuxième pèlerinage au stade, pour le choc face au FC Nantes, avec qui les Verts se disputent le titre. Le président Roger Rocher évolue vers une politique de "stars" peu conforme aux souhaits de l’entraîneur. Herbin déplore que les nouveaux joueurs ne possèdent pas "l’esprit ASSE". Des valeurs de travail, de courage et d’abnégation. Je retiens aussi ce mot qu’il a tellement employé, la "détermination", c’était son cheval de bataille.
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Robert Herbin est décédé lundi 27 avril à 81 ans

Crédit: Getty Images

Ce soir-là, l’équipe n’a plus grand-chose à voir avec celle d’il y a deux saisons. Exit les Farison, Piazza, Santini, Rocheteau, Curkovic (toujours au club mais qui perd sa place de titulaire dès le mois d’août)… Seuls cinq éléments de mon premier match sont toujours là : les inamovibles défenseurs Janvion et Lopez, les milieux Élie et Larios et l’attaquant Zimako. D’un peu partout sont arrivés Battiston, Gardon, le double finaliste de Coupe du monde néerlandais Rep et bien sûr l’immense Michel Platini, LE meilleur joueur français du moment. Fidèle à ses principes, l’emblématique entraîneur des Verts continue néanmoins à faire confiance à de jeunes joueurs. Laurent Roussey et Laurent Paganelli sont titulaires ce soir là pour le prouver.
La foule est compacte, même en tribune latérale. Nous nous retrouvons debout, tout en haut, presque sans visibilité, serrés comme des anchois. Je n’y vois rien mais je suis fasciné par l’énorme ambiance du Chaudron. Mon père a alors l’idée de m’élever sur une sorte de promontoire qui se situe juste au-dessus de nous. Ça y est, je vois le match.

La trompette de Balasko

Cette fois, je suis venu équipé, d’une écharpe verte et d’une petite trompette, celle-là même dans laquelle Josiane Balasko souffle dans l’ascenseur du "Père Noël est une ordure" ! La réplique exacte, avec les petites touches vertes. Je souffle dedans de toutes mes forces, le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’un spectateur excédé pose sa main sur le pavillon pour me signifier qu’il faut cesser.
Mon unique souvenir de la rencontre est très intense. A la 90e minute, alors que le score est nul et vierge, Platini se voit offrir un coup-franc comme il les aime, parfaitement placé. Cette balle de match vient s’écraser sur la transversale de Bertrand-Demanes. Un long frisson a parcouru le stade. Pas de but mais une expérience bien plus forte que la première ! En fin de saison, l’ASSE fêtera son 10e et, à ce jour, dernier titre de champion de France. Nantes sera son dauphin, à deux points.
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Robert Herbin

Crédit: Imago

Pendant cette période, Sainté réalise encore quelques exploits européens, et non des moindres, en coupe de l’UEFA désormais. En novembre 79, les Verts atomisent le PSV Eindhoven 6-0 après avoir perdu 0-2 à l’aller. Après seulement cinq minutes au retour, ils mènent déjà 3-0. La rencontre n’est pas diffusée en direct mais on l’apprend en fin de journal de 20h. La frustration est énorme de ne pas pouvoir voir cela… Moins de trois semaines après le match de Nantes en novembre 80, c’est à Hambourg que les Verts vont signer leur dernier gros coup continental : les coéquipiers de Platini atomisent le finaliste en titre de la C1 chez lui, 5-0 !
Ce résultat m’est communiqué à mon réveil le lendemain du match par mon frère, que je refuserai de croire jusqu’à ce que j’entende la confirmation à la radio. Lorsque je vois les images, je comprends pourquoi Robert Herbin est surnommé le Sphinx. Á voir son visage, on a l’impression que le score pourrait être le même, mais en faveur des Allemands. Je me souviens parfaitement du match retour, devant la télé, et de l’unique but de Laurent Paganelli, une frappe de mule dans la lucarne. Mon frère, retourné à Saint-Étienne pour ses études, est à Geoffroy-Guichard ce soir-là et me raconte comment le public vert a chahuté Horst Hrubesch, l’homme qui avait offert quelques mois plus tôt l’Euro à la RFA : "Allez Hrubesch, montre nous tes fesses, allez Hrubesch, montre nous ton c.. !" Ce dernier sera définitivement honni à l’issue du France-RFA de Séville 82.

La chute

Malheureusement ces faits de gloire sont suivis de lourdes désillusions et de sévères chutes : ces deux saisons-là, l’ASSE coule en quarts de finale, respectivement face à Mönchengladbach et Ipswich, subissant chaque fois la même défaite 1-4 à domicile… Il y a du talent mais peut-être plus tous les ingrédients de l’équipe "choisie" par Herbin qui brilla en C1 au milieu des 70’s.
La suite est une lente descente aux enfers symbolisée par l’année noire 1982, celle qui aurait pu avoir raison de ma passion pour le foot. Ce sont les années "KB Jardin". Sainté termine 2ème du championnat à un point de Monaco. Un seul point d’écart, on y croit très fort jusqu’au bout, d’autant que les Verts atomisent Metz 9-2 lors de l’ultime journée et sont virtuellement champions jusqu’au but monégasque de Barberis à la 62ème minute contre Strasbourg. Première désillusion.
C’est ensuite cette horrible finale de Coupe de France perdue aux tirs au but face au PSG. Les Verts mènent 2-1 grâce à un doublé de Platini jusqu’à la dernière minute de la prolongation mais se font crucifier par…. l’ex ange Vert, Dominique Rocheteau, avant de céder aux tirs au but. J’étais au Parc pour la demi-finale contre Bastia remportée 2-0 dans une superbe ambiance 100% stéphanoise. Je me souviens d’un supporter s’étant enroulé dans un terrain de Subbuteo, j’avais trouvé ça astucieux mais dangereux pour ledit terrain, élément indispendable de mon occupation principale de l’époque. Deuxième désillusion. Le coup de grâce sera bien sûr la demie des Bleus à Séville, mais c’est une autre histoire.
Le cauchemar sportif de 82 s’accompagne du début de l’affaire dite de la "caisse noire" qui ébranlera totalement le club. Les rancoeurs sont mises à jour, on apprend qu’Herbin n’est plus en phase depuis longtemps avec le président Roger Rocher, obnubilé par l’idée de gagner à tout prix. Au cœur de la saison suivante, le Sphinx est débarqué en cours de route. Il aura ces mots, quelques heures après son renvoi : "Si j'essaye d'être impartial, et c'est difficile, je suis convaincu que cette saison sera bonne. Les problèmes vont venir après : il y aura les problèmes financiers et le déséquilibre dans l'équipe pour la saison future." Partiellement visionnaire. Les Verts terminent 14es cette saison-là puis seront relégués en D2 la saison suivante.
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Robert Herbin et les Verts avant la finale de Coupe d'Europe de 1976 contre le Bayern Munich

Crédit: Getty Images

Cette période me rend incrédule. Ainsi, Saint-Étienne peut avoir un autre entraîneur qu’Herbin ? Je ne l’envisage même pas, je n’ai connu que lui. Qui est ce Guy Briet ? Je n’en veux pas. Critiqué, vilipendé, agressé jusqu’à son domicile par des personnes à la veste rétractable, mon héros est en souffrance. Et je souffre avec lui. Il représente un Saint-Étienne éternel, conquérant, invincible, toujours au sommet ou pas loin. Il m’est impossible d’envisager de voir mon club descendre de son piédestal, ne plus jouer le titre ou l’Europe. Et sans lui. Il faudra pourtant s’y habituer.
L’homme le plus titré de l’ASSE ne délaissera jamais son club de toujours. Il reviendra deux fois sur le banc, dans les "années Casino", à la fin des années 80 d’abord, où il amènera les Verts au pied du podium en 88, une 4e place malheureusement pas européenne cette saison-là. Puis une dernière fois, anecdotique, en D2, à la fin des années 90, en soutien de son ancien joueur Pierre Repellini. Ce n’est plus son Histoire.
Je resterai sur l’image d’un guide, d’un sage, d’un personnage charismatique et incomparable. Atypique dans le milieu du football, cultivé, avare de mots mais à la parole claire, comme l’ont si bien expliqué ses anciens joueurs. Peu enclin à se mettre en avant ou à accepter les honneurs, peu mondain, indépendant et casanier, Herbin développait d’autres passions que le foot : la musique classique, Jacques Brel et les chiens, notamment. Il avait eu au cours d’une interview en 1989 cette phrase épique : "La vraie musique pour moi, c’est la musique classique, celle qui vous élève. J’en ai parlé à la personne qui s’occupe de la sono à Saint-Étienne et peut-être qu’il y a des thèmes de Mahler qui sublimeraient le public et naturellement les joueurs aussi." Il n’a pas été entendu tout de suite mais trois décennies plus tard, c’est Carmna Burana qui est jouée à l’entrée des joueurs sur la pelouse.
Robert Herbin est mort ? Non, Robert Herbin est immortel.
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