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"Pour un mec qui ne pense qu'à défendre, ce n'est pas mal, non ?" : René Girard, 30 ans de banc

Martin Mosnier

Mis à jour 01/12/2023 à 09:07 GMT+1

René Girard a annoncé au début du mois de novembre qu’il prenait sa retraite. L’occasion de revenir avec lui sur 30 ans de carrière sur le banc qui l’ont vu côtoyer des étoiles (l’équipe de France), réussir l’impossible (champion de France avec Montpellier) ou rater des défis (Nantes, Paris FC). Figure majeure de la Ligue 1 des années 2010, le Nîmois tourne les pages d’une carrière atypique.

René Girard a pris sa retraite après 30 ans passés sur le banc

Crédit: Getty Images

René Girard a mis fin à 30 années de banc de touche. Trois décennies au cours desquelles il a tout connu. Adjoint au sein de la plus grande équipe de France de l'histoire, il a aussi vécu de l'intérieur le plus grand fiasco de l'histoire des Bleus. Mais René Girard, c'est surtout le plus incroyable exploit du XXIe siècle : le titre de champion de France de Montpellier devant le PSG de QSI et le LOSC d'Eden Hazard en 2012.
De Nîmes au PFC, de Lille à Nantes jusqu'à cette retraite qui s'est imposée à lui, il déroule pour nous le fil d'une carrière atypique où il fut élu deux fois meilleur entraîneur de Ligue 1. Souvent résumé à un style de jeu défensif et réducteur, Girard rétablit certaines de ses vérités au cours d'un flash-back peuplé des plus grands joueurs : Zinedine Zidane, Marcel Desailly et, bien sûr, Olivier Giroud.
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René Girard Montpellier

Crédit: AFP

Commençons par la fin. Pourquoi avoir choisi de mettre fin à 30 ans de carrière sur le banc de touche ?
R.G. : On est dans un monde où je me reconnais moins. Ma dernière expérience au Paris FC a fait chou blanc au niveau des relations humaines. Si j'avais eu une opportunité qui me plaisait vraiment, j'aurais replongé. Le foot a bien changé dans les relations humaines. Ça vaut moins le coup de s'investir aujourd'hui. J'ai été déçu de mes trois dernières expériences : mon passage à Nantes, l'échec à Marrakech et le PFC. Ça fait beaucoup. Ce sont des engagements auxquels j'ai voulu mettre fin, ce qui n'est pas mon genre.
Est-ce que c'est plus difficile aujourd'hui pour un coach d'être garant d'un projet ?
R.G. : Quand des gens vous font venir et essaient de vous faire changer de route, c'est embêtant. J'ai un caractère, une façon de voir les choses. Et on est dans une phase délicate. Le monde des entraîneurs doit être vigilant. Ne pas trop se laisser bouffer par tout ce qui arrive. On est plus indulgent avec ce qui arrive de l'étranger qu'avec les entraîneurs français. On a tendance à mettre des étiquettes aux gens. On m'a taxé d'entraîneur défensif mais on a été champion de France en 2012 avec Montpellier et regardez notre attaque (ndlr : 68 buts cette saison-là)… Pour mon côté volubile, ma participation sur la touche, j'ai entendu dire : "Il est nerveux, caractériel…" Bon, Sampaoli, Bielsa et quelques autres, qu'est-ce qu'on dit ?
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René Girard

Crédit: Eurosport

Vous avez vécu des expériences très diverses sur le banc de touche en 30 ans. En 2000, vous êtes adjoint de Roger Lemerre à l'Euro et vous côtoyez de près sans doute la meilleure équipe de France de l'histoire. Qu'en gardez-vous 23 ans plus tard ?
R.G. : C'était extraordinaire. J'ai quand même été trois fois champion de France, j'ai gagné des Coupes, fait une demi-finale de Ligue des champions. Mais faire un Euro avec cette équipe de France, la plus belle de l'histoire, c'était la perfection au niveau du jeu. Quand j'étais sur la touche ou que je regardais les entraînements, j'étais heureux. Zidane, Petit, Lizarazu... Ils avaient tout au niveau du mental, de la technique, de l'état d'esprit… Je me rappelle de la demi-finale contre le Portugal, c'était incroyable. J'étais heureux de vivre ça au plus près.
Qu'est-ce qu'on apprend de ces joueurs-là ?
R.G. : On n'entraîne pas ces garçons-là… Ils avaient une maturité et une confiance en eux incroyables. Quand j'ai commencé, je me suis demandé si on pouvait perdre un match avec cette équipe-là. C'était un ballet. Quand tu es sur la touche et que tu vois un Zizou en pleine possession de ses moyens, tu es proche de la perfection absolue. C'est le pied ! Même quand tu es technicien et que tu le vis de l'intérieur, tu te dis : 'Mais en fait, c'est facile le foot !' Dans la motivation, dans l'approche des matches, il y a toujours quelque chose à tirer. A force de gagner, leur confiance débordait avec beaucoup de simplicité. Un mec comme Marcel Desailly, pour préparer un match, faisait des gammes techniques en un contre un et répétait tout ce qu'il allait faire pendant le match. Mais avec une simplicité folle.
En 2002, peut-être qu'on s'est vu trop beau
Avec du recul, comment expliquez-vous le crash de 2002 ?
R.G. : Peut-être qu'on s'est vu beau. Je me souviens du match de préparation contre la Belgique qu'on perd (ndlr : 1-2 en mai 2002) alors qu'on ne pensait pas qu'ils ne pouvait rien nous arriver. Cette rencontre était gênante. Il y avait eu beaucoup de festivités. Adidas préparait le maillot avec les deux étoiles, il y avait eu un défilé et on préparait le départ en Corée. C'était la fête. On a tout confondu et on est parti en étant champion du monde avant l'heure. On s'est trop avancés. On a oublié qu'en foot, c'était le terrain qui comptait. Puis on enchaîne avec l'amical contre la Corée du Sud où Zizou se blesse. Et quand le maestro laisse tomber la baguette… Tout le monde était touché, parce qu'on savait intimement qu'il était perdu pour le reste de la compétition. On a perdu de la lucidité.
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Les Bleus de Zidane, sortis par le Danemark à la Coupe du monde 2002

Crédit: Getty Images

Est-ce qu'avant la Coupe du monde, vous aviez senti venir le fiasco ?
R.G. : On ne s'est pas dit qu'on allait dans le mur le jour où la Coupe du monde démarrait. Mais on était nettement moins joyeux qu'en 2000, beaucoup plus soucieux. Soucieux de Zizou, de cette défaite face à la Belgique… Cette équipe ne laissait rien traîner, on était des tueurs. Et perdre contre la Belgique nous avait vraiment contrariés. L'ambiance était clairement refroidie. Je l'ai ressenti personnellement et j'étais inquiet. Et puis, Zidane tirait le groupe et ça a fait fléchir tout le monde.
Beaucoup plus tard, sur SFR Sport, Christophe Dugarry avait déclaré : "En 2002, Roger on l'adorait (...) mais on ne l'écoutait plus, ou plus beaucoup."
R.G. : Mais ce sont des garçons qui te bouffent. Ce sont des gars avec beaucoup de personnalité. Roger était très ouvert, il ne tapait pas sur la table. Et on avait fini par croire qu'on gagnerait tout… Tu es champion du monde et d'Europe, bien sûr, il y a eu un relâchement sans doute.
Vous avez entraîné des générations de grands joueurs. Si vous deviez garder un joueur au cours de toute votre carrière, ce serait lequel ?
R.G. : Oui, j'en ai vu passer notamment en étant quatre ans sélectionneur des Espoirs. Mais, si je dois en garder un, je dirais John Utaka à Montpellier. Il était exceptionnel comme joueur et comme homme.
Un exploit comme ça, je ne suis pas persuadé que ça arrive de nouveau demain
Justement, Montpellier et ce titre inespéré en 2012. Est-ce que c'est votre plus grande fierté ?
R.G. : Oui. On n'est pas taillé au départ pour ça. Le top 5 n'était même pas un objectif. Un exploit comme ça, je ne suis pas persuadé que ça arrive de nouveau demain. Il faut prendre la dimension de ce qu'on a vécu. C'est indélébile. Face à nous, on avait le Lille d'Hazard et le premier PSG de QSI. Ce n'est pas n'importe quoi.
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René Girard et Louis Nicollin le soir du titre de Montpellier en 2012

Crédit: Getty Images

Rémy Cabella mais surtout Olivier Giroud ont fait une grande carrière depuis. Mais vous n'aviez pas non plus un effectif constellé de stars.
R.G. : Réussir à créer un tel collectif, un tel groupe, c'est la force de cette saison. Camara, Aït-Fana, Utaka, ils partaient tous à la CAN en janvier. Si on comparait les effectifs avec Lille ou Paris, il n'y avait pas photo. Mais l'état d'esprit de ce groupe… C'est ma plus grosse satisfaction. Et ce n'était pas un titre de raccroc. On n'est jamais descendu en dessous de la 3e place. Tout le monde se demandait si on allait tenir… Ma grande peur, c'était le relâchement de l'attention, de l'agressivité. Et oui, on l'a fait.
Est-ce qu'à cette époque, vous auriez pu imaginer qu'Olivier Giroud devienne le meilleur buteur de l'histoire des Bleus ?
R.G. : Non, impossible. Qu'il allait faire une belle carrière, oui. Mais celle-ci… D'ailleurs celui qui vous dira qu'il pensait qu'Olivier finirait meilleur buteur de l'histoire des Bleus quand il était à Montpellier est un menteur. Pour moi, c'est un phénomène. Ce que j'admire chez lui, c'est son parcours. Grenoble ne le garde pas. Il va à Istres puis à Tours. Des clubs étrangers se pressent autour de lui. Mais il voulait rester en France. Il a toujours pris le temps de construire les choses. Il a une sérénité en lui… Pourtant, il aurait pu douter. On en fait des caisses sur certains qui n'ont pas fait le quart de sa carrière. Lui est toujours obligé de prouver malgré tous ses accomplissements.
Est-ce que c'est son départ qui vous fait plonger l'année suivante (ndlr : 9e de L1) ?
R.G. : Bien sûr. Le danger dans des clubs comme Montpellier hier ou Lens aujourd'hui, c'est évidemment le départ des joueurs clés. Les remplacer, c'est impossible. Quand on joue Arsenal en C1, il est en face et ça change tout. Bien sûr que c'est un regret que j'aurais toujours.
On ne gagne pas des matches en mettant des coups de tatanes devant
Beaucoup l'ont fait pour vous, comment définiriez-vous le style René Girard après 30 ans de coaching ?
R.G. : On m'a toujours classé comme un joueur défensif. Oui, je jouais numéro 6. Quand je regarde bien, j'ai dû marquer une cinquantaine de buts. Pour un mec qui ne pense qu'à défendre, ce n'est pas mal, non ? J'ai toujours aimé le jeu. J'avais une rugosité qui ne plaisait pas à tout le monde mais je voulais toujours que mes équipes se lâchent. On ne gagne pas des matches en mettant des coups de tatanes devant même si on a voulu me caricaturer comme ça. Je n'ai jamais demandé à mon équipe de balancer. Je voulais un football total : dans l'engagement, l'état d'esprit. Ne jamais lâcher. Mon truc, c'était de m'adapter à tous les adversaires.
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René Girard lors de Montpellier-Lille, saison 2014-15.

Crédit: AFP

Vous êtes finalement de la même famille d'entraîneur que Didier Deschamps.
R.G. : C'est vrai, même si c'est très flatteur. On jouait au même poste d'ailleurs. Ce n'était pas toujours une merveille de football, mais je cherchais l'efficacité.
Est-ce que vous diriez que l'émergence du courant Pep Guardiola, qui a été érigé comme modèle au cours de la dernière décennie, vous a démodé ?
R.G. : Ce n'est pas vexant mais on revient toujours sur les mêmes choses. Le meilleur compliment qu'on pouvait me faire, c'était de dire que mes équipes me ressemblaient. Mais c'est comme sur le terrain, des mecs vont faire deux passements de jambe et vont être considérés comme des phénomènes… L'important, c'est la régularité, l'efficacité. Parfois, je me suis mis en colère par rapport au regard qu'on avait sur moi.
Quel regard portez-vous sur le modèle Guardiola qui a irrigué le football européen ?
R.G. : Guardiola, c'est beau mais il a entraîné directement au Barça. Ça doit être chouette et excitant d'avoir une équipe de très grands joueurs comme ça, non ? Je pense qu'avec ces joueurs, on doit mettre des choses plus facilement en place que dans des équipes moins talentueuses, non ? Parfois, je me dis que j'aurais aimé entraîner des équipes avec ce talent-là mais ça ne s'est pas présenté. Je n'ai sans doute pas fait ce qu'il fallait.
Champion avec Lille, Christophe Galtier a eu l'opportunité d'entraîner le PSG. Pourquoi personne n'a pensé à vous dans de grands clubs alors que vous avez été élu deux fois entraîneur de l'année en L1 ? Est-ce que l'étiquette d'entraîneur défensif qu'on vous a collé vous a pénalisé ?
R.G. : Oui, ça a fait peur à certaines personnes, c'est sûr. Après Montpellier, je n'ai pas si mal enchaîné avec Lille. Un club qui avait des ambitions même si la deuxième année, alors qu'on s'était qualifié pour la Ligue des champions, on a vendu Salomon Kalou et j'avais dit au président (ndlr : Michel Seydoux) que je n'étais pas venu pour ça. J'étais venu pour quelque chose de plus grand. Je suis parti. Donc oui, le regret de ne pas entraîner dans un très grand club, je l'ai.
Ma plus grosse erreur ? Nantes
Si vous ne deviez garder qu'un match de vos 30 ans sur le banc, ce serait lequel ?
R.G. : Il y en a un qui me reste pour toujours. Avant le dernier match de notre saison de champion avec Montpellier, on joue Lille à la maison. Si on fait match nul, on est mort. On marque le seul but du match à la 94e minute grâce à Aït-Fana et Giroud alors que la pression est folle. C'est un moment dingue qui nous permet de jouer le titre à Auxerre la semaine d'après et de priver Lille d'un doublé.
A l'inverse, votre pire souvenir sur un banc ?
R.G. : On va jouer à Evian juste avant la trêve l'année du titre. On perd 4-2 après avoir mené deux fois au score. Dans le même temps, Paris devient champion d'automne après une victoire à Saint-Etienne. J'étais hors de moi. Je leur dis : 'J'espère que vous allez passer des vacances de merde, le plus atroce possible et que vous vous ferez chier autant que moi.' Parce qu'eux partaient en vacances et passaient à autre chose. Quand tu es entraîneur, tu sais quel joueur a préparé les valises pour aller à la montagne ou en famille passer les fêtes. J'avais redouté ça. Ils avaient laissé tomber l'équipe.
Quelle est la plus grosse erreur que vous avez commise ?
R.G. : Avoir signé à Nantes. Je pensais que je pouvais y faire autre chose mais je me suis aperçu que non… Avec le président, ça a été compliqué très rapidement. Je me suis demandé si nous étions dans le même club. C'était pénible.
Quelle est la grande leçon que vous tirez de ces 30 ans au plus haut niveau sur le banc ?
R.G. : Mon rêve, c'était d'être joueur professionnel. Puis de partager des expériences car j'aime profondément le collectif. Et entraîneur, c'est un métier qui apprend l'humilité. Toujours prouver, toujours se remettre en question. La vérité ne tient pas longtemps. Ça va vite, on peut être champion de France puis dans un trou sans fond en un instant. Mais ça vaut le coup…
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Waldemar Kita, le président du FC Nantes (à gauche) et René Girard, en août 2016.

Crédit: AFP

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