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Steven Gerrard n'est pas un problème pour Liverpool mais c'est un casse-tête pour Rodgers

Philippe Auclair

Mis à jour 02/12/2014 à 13:15 GMT+1

Steven Gerrard est au cœur des débats en Angleterre. Liverpool ayant des difficultés, le rendement du leader emblématique des Reds fait jaser. Et laisse beaucoup de questions en suspens comme le démontre Philippe Auclair.

Rodgers et Gerrard

Crédit: Eurosport

Il avait fallu un certain courage au journaliste et écrivain anglais Jonathan Wilson pour poser cette question dans The Guardian: "Steven Gerrard est-il un davantage un problème qu’une solution pour Liverpool ?" C’était s’attaquer à un inattaquable. C’était s’exposer volontairement à la vindicte de supporters des Reds, lesquels n’ont pas la réputation d’avoir la langue dans leur poche, et pour qui le cousin de l’une des victimes de l’horreur de Hillsborough incarne leur club plus que quelque autre joueur. L’un des héros d’Istanbul. L’homme grâce à qui Liverpool avait battu West Ham dans une finale de Cup inoubliable. Mais le plus surprenant de l’affaire est que les réactions de ces fans avaient été très différentes du torrent d’insultes qu’on pouvait escompter. Une majorité d’entre eux partageaient en effet l’analyse de Wilson, laquelle était, il est vrai, basée sur des données statistiques irréfutables.
Et pourtant, cet article avait été publié en avril 2012, bien avant, donc, que l’on émette des doutes sur la condition physique d’un footballeur qui disputa le premier de ses 687 matchs pour les Reds le 29 novembre 1998 – seize ans jour pour jour avant que Brendan Rodgers (qui ignorait l’existence de cet anniversaire) ne décide de l’écarter de son onze de départ pour la première fois en championnat cette saison. Sans Gerrard, lequel avait manqué de nombreuses rencontres après avoir été blessé à la cheville, expliquait Wilson, Liverpool avait remporté 48% de ses matchs de l’exercice 2011-12 (lequel touchait à sa fin, rappelons-le); ce taux n’était plus que de 9% avec lui.
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Steven Gerrard sur le banc avec Liverpool - 2014-2015

Crédit: AFP

Il ne s’agissait certainement pas de nier l’évidence pour affirmer que Gerrard était ‘mauvais’. Il n’était pas non plus encore question d’un ‘déclin’ à l’époque. Il s’agissait simplement de mettre en lumière la difficulté pour Liverpool d’utiliser les qualités – et quelles qualités! – de son skipper sans accepter un déséquilibre certain dans son jeu. Il s’agissait donc de peser le pour et le contre. Tant que ces qualités s’exprimaient dans leur plénitude, le jeu en valait la chandelle. Dans le cas inverse…Ce qui était vrai il y a deux ans ne l’est pas moins aujourd’hui.
La Premier League a changé…
C’est que Liverpool a depuis les ères Houllier et Benitez, deux managers qui avaient su tirer le meilleur parti du footballeur emblématique des Reds. Lequel leur avait souvent sauvé la mise, ne l’oublions pas. La Premier League elle aussi a changé. Le football joué à mille à l’heure des premières années de Gerrard à Anfield, le brasier dans lequel lui-même pouvait flamber, n’est plus pratiqué que dans les divisions inférieures de la League; le jeu s’est ralenti au sein de l’élite, les équipes sont plus mûres, tactiquement parlant, y compris celles qui sortent du Championship – voir le jeu pratiqué par Leicester City et Burnley cette saison, par exemple, même si les résultats ne suivent pas toujours.
Or même ses admirateurs les plus fervents admettront que la discipline n’a jamais été le fort de Steven Gerrard. C’est toujours quand ses entraîneurs ont lâché les rênes sur son col qu’il a été le plus brillant, le plus efficace, le plus déterminant. Il n’a pas perdu son goût pour les ‘passes de Hollywood’ – pour une qui parvient à son destinataire et fait applaudir le public, deux ou trois résultent dans la perte de la possession du ballon. Ce peut être un spectacle magnifique; c’est aussi un risque que Liverpool n’a plus les moyens de courir; plus l’effectif, en tout cas. La liberté dont Gerrard a besoin pour exprimer son talent ne peut lui être donnée que pour autant qu’il a à ses côtés un ou deux milieux de terrain qui acceptent d’être ses porteurs d’eau. Dans le système favorisé par Rodgers depuis deux ans, où Gerrard évolue en position reculée juste devant son back four, ce soutien est inexistant; or il est inutile – et injuste - d’attendre du skipper des Reds qu’il joue lui-même le rôle de protecteur de sa défense. Il était incapable de l’assumer lorsqu’il était au pic de sa condition physique; comment pourrait-il le faire maintenant qu’il est dans sa trente-cinquième année?
Une attaque de feu la saison passée mais une défense…
Vous direz - cela n’a pas empêché Liverpool d’être à deux doigts, deux matchs – de gagner son premier titre de champion depuis 1990 l’an passé, avec un Gerrard qui avait disputé trente-quatre matchs de Premier League, et avait fini troisième meilleur buteur de son club derrière Luis Suarez et Dan Sturridge. Mais si vous y regardez de plus près, vous constaterez aussi que les Reds avaient bâti leur succès exclusivement sur leurs capacités offensives, lesquelles se sont dangereusement émoussées depuis le départ de l’Uruguayen et le repos forcé du jeune "striker" anglais.
Liverpool, vice-champion, avait encaissé 1,32 but par rencontre, ce qui faisait de sa défense la huitième de la Premier League. Cette saison? 1,38, autant dire la même chose. Les buts de Suarez, Sturridge et, à un moindre degré, de Gerrard lui-même (10 de ses 13 avaient été inscrits du point de pénalty) masquaient un déséquilibre foncier dans le jeu des Reds, que le recrutement de Moreno, Manquillo et Lovren n’a certainement pas contribué à corriger.
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Steven Gerrard avec Mario Balotelli et Daniel Sturridge sous les couleurs de Liverpool - 2014-2015

Crédit: AFP

Gerrard, pas le seul responsable
Laissons à Bruce Grobelaar le soin de s’en prendre à Simon Mignolet en des termes que je ne dois pas être le seul à trouver choquants. Le gardien belge, au demeurant excellent contre Stoke, ne doit pas servir de bouc émissaire quand sa perte de confiance est inséparable de celle de toute une équipe quand elle n’a pas le ballon. C’est en puisant dans ses ressources d’énergie et de combativité que cette équipe a empêché Stoke de marquer samedi; pas en démontrant des qualités d’organisation défensive inédites. Non, Gerrard n’est pas le responsable du malaise actuel: cette responsabilité est partagée par tous ses coéquipiers, par son entraîneur, et j’ajouterais: par les recruteurs de Liverpool. Mais il est naturel que le symbole vivant du club focalise l’attention. Qu’il devienne le symbole le plus parlant de ce qui ne va pas autour de lui, quand son inévitable déclin physique est mis en lumière par sa position.
L'exemple Lampard ?
Faisons une comparaison: Frank Lampard, autre parangon du footballeur box to box, aîné de près de deux ans de Gerrard, a été tout simplement brillant quand il est apparu sous le maillot de Manchester City cette saison. Mais Manuel Pellegrini se sert de son vétéran avec modération, et, quand il le fait, ne lui demande, ni de courir d’une surface à l’autre, ni de jouer la sentinelle devant son back four. Lampard évolue en numéro dix. S’il surgit encore dans les dix-huit mètres, ce n’est plus après avoir effectué une course de cinquante mètres auparavant. Résultat net pour les Citizens: cinq buts, tous inscrits dans le jeu, en dix matchs. Serait-ce un modèle dont Rodgers pourrait s’inspirer?
Dans l’absolu, cela parait tout à fait possible. Lucas qui retrouve sa place dans le onze de départ (ce qui fut le cas contre Stoke), avec Jordan Henderson ou Joe Allen – voire Emre Can – comme second milieu, Gerrard qui monte d’un cran, pourquoi pas? Mais dans les faits, ce l’est beaucoup moins. Si Rodgers est devenu plus souple dans sa mise en place tactique après les difficultés rencontrées lors de sa première année à Anfield, il n’est pas dit qu’il bouleverse tout son système pour s’adapter aux caractéristiques d’un joueur qui, si important soit-il, n’a plus le rayonnement d’antan.
Gerrard en froid avec Rodgers ?
L’aura qui entoure et entourera toujours Gerrard ne peut justifier un traitement de faveur. Cela ne veut pas dire que le héros d’hier doive être jeté aux orties: le quitte ou double à venir contre le FC Bâle en Ligue des champions est taillé sur mesure pour lui, par exemple. Qui parierait contre un remake de l’invraisemblable retournement de situation contre l’Olympiakos, il y a dix ans de cela? Il s’agirait plutôt de l’utiliser avec plus de discernement. Pour autant que l’intéressé l’accepte, ce qui n’est pas gagné d’avance. Pour autant que ce soit ce que souhaiterait Rodgers.
Celui-ci a toujours défendu son skipper en public. Difficile de faire autrement au vu de ce que représente Gerrard dans le contexte très particulier de Liverpool. Mais les rumeurs d’un froid (ou pire) entre les deux hommes, qualifiées d’affabulations par le manager, continuent de circuler. Rodgers a indiqué ce lundi qu’un nouveau contrat avait été proposé au joueur dont le bail actuel expire le 30 juin prochain. En octobre dernier, Gerrard avait fait part de son désir de poursuivre sa carrière au-delà de cette date ‘à Liverpool ou ailleurs’, une formulation très sèche qui avait fait se demander si l’enfant de la Mersey ne se sentirait pas prêt à ‘faire une Lampard’ et à aller vivre la conclusion de cette carrière en MLS, un championnat avide de stars qui, c’est vrai, semble taillé pour un joueur de sa dimension – et de son âge.
Alors - qui a le plus besoin de l’autre? Liverpool de Gerrard? Gerrard de Liverpool? Les deux?
Aucun?
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